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Le tir de chasse devant les chiens

L’enseignement par l’image

Si trop de chasseurs insuffisamment avertis des choses de la chasse conduisent à la diable leur éducation de tireurs, il en est d’autres, pas beaucoup plus riches en moyens, qui s’en préoccupent davantage.

À ceux-là, les leçons ne manquent pas, sous la forme de livres, de magazines, de catalogues, illustrés à leur intention, qui leur servent, de leur mieux, la nourriture espérée. Quant à toujours bien les savourer et à en tirer les conclusions nécessaires, c’est une autre question.

Il n’est pas forcément impossible d’expliquer quelque chose d’une façon claire, compréhensible, à la portée de tous ; mais de là à ce que cette explication soit effective, il y a un monde parce que chacun ne l’interprète pas de la même façon. Grande force pour les lois à qui cela permet de se tirer d’affaire, cette diversité se transforme en faiblesse devant un objet qu’on veut respecter.

Parmi les instructions concernant le tir de chasse, celles ayant trait aux corrections de pointage semblent particulièrement accaparer l’intérêt des chasseurs. Celles surtout où les gravures tiennent la vedette. Nous voulons parler des gravures représentant un tireur pointant une pièce de gibier, plume ou poil, prenant son essor ou sa course, dans les directions et sous les angles les plus variés.

Avant la guerre de 1914, la revue : Fermes et Châteaux, s’il nous en souvient bien, avait publié une démonstration de cette nature soulignée d’excellents commentaires de M. André de Lesse, un des grands fusils du moment ; démonstration qui reste un modèle du genre.

Toutes les manières possibles d’atteindre le gibier là où l’on peut estimer qu’il se rencontrera avec le plomb étaient fidèlement indiquées par des photographies, prises sur le terrain de chasse, représentant l’auteur et un autre tireur. Comme toujours en pareil cas, la direction de la gerbe vers le point à frapper était marquée par une ligne pointillée partant des canons du fusil pour s’arrêter au point voulu. Et ce qui est plus rare, ce schéma était accompagné de conseils judicieux précisant la façon de tirer, pour chaque cas, afin que le coup arrivât haut, bas ou en plein, selon la position du but.

On n’aurait su mieux enseigner, et, cependant, ces approximations d’avance à prendre ne pouvaient guère agir que comme conseillères du jugement porté sur la pièce, et non pas comme une exécution de ce jugement réglée, une fois pour toutes, par une façon unique de diriger et d’actionner son fusil, puisque cette exécution relève expressément de l’interprétation personnelle de chacun.

Comme on le voit, des conseils de cette sorte sont loin d’être inutiles. Cependant, il est bon de n’en prendre que ce qu’on peut en prendre, et, malgré les apparences, ce n’est pas beaucoup. Ils vous apprennent ce qu’on doit faire, sans vous en indiquer la manière susceptible de contenter tout le monde : parce qu’elle n’existe pas.

Ainsi, la rapidité du jugement — et, par rapidité du jugement, nous entendons l’opération qui comprend l’appréciation de la distance et de la position du but — la rapidité du jugement, disions-nous, entraîne presque toujours avec elle la vitesse du tir et classe les tireurs dans les catégories que l’on sait.

Un homme dont les méninges éprouvent un certain mal à se décider n’égalera jamais la prestesse d’un homme capable d’établir les grandes lignes d’un roman durant le temps extra-rapide qui sépare le départ de la pièce de celui de son fusil. L’un se trouve à son aise devant une bécassine ; l’autre est à son affaire devant un roi des cailles.

Pour le tir de perdreau filant, à hauteur d’homme, droit devant le chasseur, M. de Lesse recommandait de pointer « comme avec une carabine ». Le conseil est sage en lui-même, malheureusement l’universalité de son exécution n’est pas garantie. S’il est favorable à la masse, il n’avantage pas toute la Confrérie de Saint-Hubert ; non pas que cette manière particulière de pointer appelle la fermeture obligatoire d’un œil comme on pourrait le croire. Pourquoi, d’ailleurs, en serait-il autrement, puisque la visée binoculaire est adoptée par des tireurs à balle ? Quand on la possède bien, ne tire-t-on pas aussi juste à la plaque qu’en se forçant à fermer un œil pour la circonstance ?

Rien ne s’oppose à son emploi, sauf le tempérament.

Nous y voilà une fois de plus ! ... On dira que nous répétons toujours la même chose. Il le faut bien, puisque, dans toutes les phases d’une action, ce sont toujours les mêmes choses qui réapparaissent.

Le fusil dirigé par deux yeux peut, mécaniquement, être meurtrier sur une perdrix filant droit à hauteur des yeux, en la suivant lentement, dans le cas d’un tempérament s’accommodant de ce tir inusité, ou se maîtrisant assez pour le mener à bien. Mais qu’un tempérament ne comprenant que le tir jeté à toute vitesse, dès l’apparition de la pièce, sans viser, sur la seule direction que l’allongement de son bras gauche lui désigne, qu’un tempérament de cette sorte suppose être plus sûr de lui en visant avec soin, en ce cas particulier, il commet une erreur qu’il ne renouvellera pas longtemps.

Cela s’explique aisément. Ayant jugé la pièce en un clin d’œil, et ne l’ayant pas tirée aussitôt, il pèse le pour et le contre, ralentit, perd sa cadence et finalement manque le mieux du monde pour n’avoir pas suivi son intuition.

Une telle nature n’a pas besoin de réflexion, ni du secours du moindre chiffre : ce qui ne signifie pas du tout qu’il les méprise. On peut les respecter, et préférer en même temps qu’ils ne se mêlent pas de vos affaires.

Pour des tempéraments opposés, ils offrent un attrait irrésistible. Connaître les rapports de vitesse entre la pièce, le plomb, l’épaulement, la course du chien de leur arme, est d’un secours précieux. Ils raisonnent posément leur tir avant de presser la détente, et réussissent avec une régularité d’horloge tous les coups les plus communément calculables qui peuvent se passer de génie.

Une scission aussi nette laisse peu de doute sur l’inanité de vouloir assaisonner tout l’univers de chiffres dont l’exactitude représente la vérité, mais n’indique pas la manière certaine de leur donner raison.

Les divergences originaires de l’opposition des tempéraments sont inconciliables. C’est une bouteille à l’encre qu’il ne faut pas trop agiter. La seule certitude qui s’impose à tous est contenue dans la recommandation de tirer franchement, sans hésiter jamais, en s’abandonnant à son intuition.

Si le calcul a des limites, l’intuition n’en connaît guère. Mais le destin n’en est pas très prodigue, et c’est pourquoi elle représente le plus précieux cadeau qu’il puisse vous offrir quand on a l’âme d’un vrai chasseur.

Raymond DUEZ.

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 724