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Tribune libre

Réorganisation de la chasse

L’annonce de la discussion prochaine d’un nouveau projet de loi sur la chasse, les articles de MM. Castaing et Ganeval parus dans Le Chasseur Français en juillet et septembre dernier nous ont valu un abondant courrier de lecteurs. Nous nous excusons de ne pouvoir tout insérer, faute de place, et de publier seulement celles des lettres qui nous ont paru les plus caractéristiques des courants constatés.

Voici tout d’abord l’opinion de M. Gelly, président d’une société de chasse ariégeoise, qui émet de sérieuses réserves sur l’unanimité des intéressés. Mais laissons-lui la parole.

« À propos du projet de loi sur l’exercice de la chasse, il a été dit que les chasses communales veulent rester maîtresses chez elles, comme les chasses privées, tout en acceptant fort bien de recevoir parmi leurs membres un certain nombre de chasseurs sans terre, pourvu qu’elles n’en soient pas submergées.

» Par contre, il n’a été fait aucune allusion au droit des propriétaires non chasseurs dans les nombreuses communes dépourvues de société de chasse. Or il ne faut pas perdre de vue que notre vieille loi du 9 mars 1844 stipule dans son article 2 que « nul ne peut chasser sur le terrain d’autrui sans le consentement du propriétaire ou des ayants droit ». Certes, il serait question d’indemniser ces propriétaires, consentants ou non, mais sur quelle base, s’il n’existe pas d’accord préalable ?

« Croit-on que ce consentement sera unanime, et, dans la négative, faudra-t-il passer outre au droit de propriété ?

» En fait, ce projet, louable en soi, puisqu’il a pour but d’améliorer les conditions de chasse dans l’intérêt général, semble subordonné, en l’état actuel de la législation, à l’accord tacite des propriétaires ruraux qui n’ont pas été consultés.

» Dans les divers commentaires que suscite ce projet, il est souvent indiqué qu’il exprime les vœux de la majorité des chasseurs. En est-on bien sûr ?

» Il y a 2 millions environ de porteurs de permis, il serait intéressant de savoir combien de suffrages ont été exprimés.

» La plupart des chasseurs des campagnes, trop occupés, mal informés, ou manquant de moyens de communication avec leur chef-lieu, n’ont pas pris part aux élections des délégués aux fédérations de chaque département.

» Étant donnée l’importance de cette réorganisation, il nous semble souhaitable, pour des raisons de commodité, que les élections des délégués aux fédérations se fassent à la mairie de chaque commune, comme pour les élections des délégués artisanaux ou à la C. G. A.

» Nous supposons que ce point de vue, par trop simpliste, ne plaira pas à tout le monde, cependant il permettrait une plus large consultation et, par conséquent, de légiférer suivant les vœux de la majorité. N’est-ce pas ce qu’il convient de rechercher ?

» Les intentions de tous étant excellentes, il devrait être facile d’appliquer le remède loco dolenti. »

L. GELLY, Président de la Société de chasse de la vallée du Douctouyre.

M. Lucien Dariès, chasseur creusais, s’élève contre l’affirmation de certains, prétendant que la plupart des sociétés de chasse n’ont d’autre objectif que de réserver à leurs seuls membres la destruction des derniers représentants du gibier à poil et à plume. Il cite fort à propos, à ce sujet, l’exemple de ce qui s’est passé dans son canton :

« À l’ouverture 1945, le canton regorgeait de gibier accumulé au cours de la guerre. Ce fut le carnage. Le gibier se vendait bien. On n’allait pas laisser courir les billets de mille ! Les professionnels quittaient le village à l’aube et rentraient au crépuscule, pliants sous leurs victimes. Ils refusaient le travail. Les enragés n’en dormaient plus. La fusillade crépitait à longueur de journée. Des perdreaux, affolés, se réfugiaient dans les jardins, où le tonnerre les clouait au milieu des choux. On parlait de tableaux extraordinaires et la compétition donnait naissance à des records immédiatement surclassés. Tout lièvre qui manifestait son existence déclenchait sur l’heure une vaste manœuvre d’anéantissement qui ne se terminait que par sa mort, parfois plusieurs jours après. Le cultivateur labourait et gardait ses bêtes avec le pic et le fusil. Tout promeneur était un concurrent. La campagne prenait un air hostile d’embuscade à longue échéance. À la nuit, le feu s’éteignait pour laisser la place au meurtre. C’était l’heure des pièges, et les buissons connaissaient, matin et soir, des visites d’assassins fiévreux. Des camions circulaient pour assurer le ramassage qui s’était organisé de lui-même. Seuls quelques augures s’inquiétaient de l’avenir : ce fut un chahut indescriptible, lorsque, au printemps 1946, ils demandèrent en public si, à ce train, il y en aurait pour longtemps, et ils ne poursuivirent pas leur pensée.

» À l’ouverture 1946, le gibier était redevenu presque rare. Les carniers rentraient vides, les lacets rouillaient sur place, le ramasseur ne venait plus et les derniers lièvres se faisaient tuer après des poursuites aussi rares que laborieuses.

» Au printemps 1947, les augures revinrent demander au public si le grand silence de la campagne ne les inquiétait pas. Il n’y eut pas de chahut, mais l’idée d’une protection du gibier fut repoussée.

» Il fallut plusieurs mois pour que les mieux placés s’aperçoivent que le gibier ignorait les lois de la génération spontanée et ne se développait pas.

» Avant l’ouverture 1947, un petit nombre de petits propriétaires apportaient leurs terres à la société qui se formait immédiatement. Une réserve était créée. Le nombre de jours de chasse était limité à deux. La chasse ouvrait sans que la société ait pu faire autre chose. Au printemps 1948, on lâche une centaine de lapins dans des régions où il était devenu très rare. Une discipline librement acceptée empêche les chiens d’errer. On ne voit plus de bergers-mitrailleurs. À l’ouverture 1948, la situation est la suivante : le gibier a presque totalement disparu, lapins y compris, des territoires non surveillés. Sur le territoire de la société, le lapin ayant normalement repeuplé, on « s’amuse » au lapin toute la saison. On y tire quelques lièvres, et il y a du perdreau. On signale quelques faisans.

» L’idée de la société fait des adeptes, mais de très vives critiques à caractère de slogans politiques s’élèvent toujours. Au printemps 1949, on lâche cent lapins. Un garde assure la quiétude du gibier et détruit pies, corbeaux et buses en qualités appréciables.

» À la veille de l’ouverture 1949, qui s’annonce ici très favorable, l’idée de la société progresse lentement. Ses plus acharnés adversaires s’y rallient, ce qui est la preuve de la réussite, et ceux qui boudent reconnaissent qu’il y a dans le territoire de la société une abondance de gibier comparable à celle de 1945. Ce sont là les faits. Ce ne sont pas des phrases vides que l’on se permet de lancer sans y mettre un peu de matière grise. Notre société ne comporte qu’une faible partie de la commune. Nous n’avons qu’un désir : la voir grandir. Il n’existe pas d’exclusive. Ceux qui sont contre peuvent chasser dans tout le reste du territoire. On ne peut prétendre que pour chasser il soit obligatoire d’adhérer. Ce qui est, par contre, exact, c’est que, si l’on veut tuer du gibier tout le long de la saison, l’adhésion soit une nécessité sine qua non, parce que, hors de ce territoire, il ne reste plus rien. »

Et M. Dariès conclut :

« Regardons la réalité en face. Chez nous, l’expérience est faite : réglementation = repeuplement normal du gibier ; liberté = disparition totale du gibier par destruction systématique. »

Lucien DARIÈS.

Terminant cette revue, voici l’opinion d’un vieux, chasseur épris de liberté :

« À propos du projet de loi sur la chasse, on a déjà écrit bien des choses. Les intentions du gouvernement, généralement critiquées, sont en fait une spoliation. Il serait toutefois permis d’y échapper à la condition de faire garder et de piéger les territoires que l’on veut conserver.

» Quant aux projets du S. H. C. F., ils ne laissent aucun espoir aux petits propriétaires. En envisageant de fixer à un minimum de vingt-cinq hectares la superficie nécessaire pour pouvoir conserver le droit de chasser, on supprimerait tout simplement une foule de petits chasseurs assez inoffensifs au point de vue destruction du gibier.

» Quelqu’un de ces messieurs qui légifèrent si facilement a-t-il déjà pensé à ces « plus de soixante-cinq ans » qui ne sont plus aptes à parcourir plaines et guérets du lever au coucher du soleil et qui, assis sur un pliant, le fusil sur les genoux, la pipe aux gencives, attendent qu’un lapin, un geai ou un ramier, parfois une grive, viennent se faire occire, et cela sur un ou deux hectares de bois qu’ils ont acquis à cette intention ?

» Va-t-on leur dire : « Vous êtes trop vieux, vous avez fini votre carrière de chasseurs. Allez au café, faites une manille ou ce que vous voudrez, mais débarrassez la nature de votre présence. Nous n’avons cure des frais que vous avez pu faire pour vous procurer une satisfaction qui n’est plus de votre âge, nous ne voulons plus vous connaître. L’intérêt général de la chasse est en jeu et aussi celui des gros propriétaires. »

» Est-ce cela de la justice ? Est-ce là la liberté dont se réclame si volontiers la République quatrième du nom !

» N’avons-nous pas acquis, après deux guerres successives soi-disant contre la barbarie, le droit de continuer de chasser sur la terre qui nous appartient ou même que nous louons ?

» Il existe des remèdes bien plus efficaces pour protéger la chasse que ceux que préconisent nos législateurs de tous poils : que les arrêtés préfectoraux interdisent le tir de tel gibier à partir de telle date, c’est bien ; que la police et les gardes particuliers verbalisent contre les braconniers et les propriétaires de chiens errants avec un peu plus d’entrain et qu’on nous f ... la paix, ce sera mieux. La chasse ne s’en portera pas plus mal. Les vieux chasseurs non plus. »

Léon MAHIEU.

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 731