On reproche souvent aux chiens continentaux restés purs,
répondant au standard orthodoxe, d’être lourds. Si ce reproche s’adressait
seulement aux sujets viandeux, aux tissus trop lâches, engoncés et ventrus,
pour tout dire lourdauds, il serait dans l’esprit des standards ; car tous
ceux des chiens de chasse préconisent un gabarit d’athlète, ce qui exclut la
lourdeur. Pas davantage il ne saurait, de la part d’un juge averti, s’adresser
à la taille ; les races sont ce qu’elles sont, et les tailles limites prévues
par les standards ont bien leur raison d’être.
Il est pourtant certain que ce reproche de lourdeur
s’adresse bien souvent à des sujets répondant au mieux au standard de leur
race. La raison en est simple : la théorie de la vitesse. Augmenter la
vitesse des chiens d’arrêt continentaux représente une école ; comme
toutes les doctrines, elle a ses partisans et ses adversaires ; le fait
est que beaucoup d’entre les officiels de la cynophilie sont ses apôtres. Dès
lors, en ce siècle d’aérodynamisme, ils s’en prennent aux formes et donc,
qu’ils le veuillent ou non, au standard ; ils sont choqués par les têtes
puissantes, les oreilles plus ou moins longues et plissées, les membres forts,
les reins épais des continentaux qui se refusent à épouser les formes pointéroïdes,
voire lévriéroïdes, le new-look canin de l’époque, comme les stars doivent
évoluer vers la formule des pin-up girls américaines. Le chien new-look doit
être réputé léger, c’est-à-dire aérodynamique. On veut le voir débarrassé de
tout ce qui, en apparence, est un poids superflu aux yeux du protagonistes de
l’accélération. Alors, on rabote les têtes, on lisse et raccourcit les
oreilles, on fait des cols de cygne, et le fin du fin est acquis si l’on peut
réduire la taille. La question de l’encombrement n’est, pensons-nous, pour rien
de cette question de taille, car, jusqu’ici, à notre connaissance, on n’a pas
fait évoluer le pointer vers un modèle réduit, et, au surplus, les amateurs de
petits chiens peuvent trouver l’objet de leurs désirs dans les races de petit
volume. Il semble bien, pourtant, que cette réduction de la taille soit
souhaitée souvent parallèlement à la suppression de quelques autres attributs.
On peut se demander ce que la taille a à voir dans
l’affaire. Car de quoi s’agit-il, sinon d’augmenter la vitesse ?
Logiquement, de grandes pattes sont plus aptes que des courtes à propulser et
aux larges foulées, avec, au surplus, moins de fréquence de mouvements, donc de
fatigue, donc avec plus de résistance.
Ce n’est pas la taille qui porte en elle-même la cause du
reproche que l’on fait à certains chiens de se mouvoir avec trop de lenteur, au
goût de ceux qui cherchent les chiens vites. Ce ne sont pas, non plus, les
attributs incriminés, signes distinctifs de leur race ; crâne spacieux,
voire bombé, lèvres débordantes (et quelquefois baveuses ...), léger
fanon, oreilles plus ou moins basses, longues ou plissées. C’est quelquefois
leur graisse superflue et, bien plus généralement, sinon uniquement, leur
tempérament.
Car il ne suffit pas, tout de même, de mettre une
carrosserie aérodynamique sur un vieux tacot de 1910 pour en faire un bolide de
course ! Les jeeps américaines ont surpris bien des Français, dont la
manie du profilage s’en prend même aux voitures d’enfants. C’est le moteur, la
mécanique, qui fait avancer la voiture.
J’entends bien, et nous sommes d’accord, cette modification
des formes ne serait pas en elle-même une fin (encore que ... aux yeux de
certains), elle serait une conséquence. Et nous voilà, par cet aveu, au sein de
la question. Elle est ainsi posée : étant donné que la structure des
continentaux ne répond pas à la formule réputée apte à la vitesse, pour
augmenter celle-ci, il faut modifier les formes. Sur la méthode à employer, il
y aurait trop à dire, et cela déborderait le cadre de cet article. Nous voulons
seulement nous borner à réfuter l’argument ci-dessus.
Que la forme des rayons, de la charpente, orientée dans le
sens le plus apte à courir, favorise la vitesse, nul ne saurait le contester.
Mais, comme pour les voitures, c’est avant tout le moteur qui compte et, chez
le chien, le moteur, c’est le tempérament. Les chiens bâtis en galopeurs ne
galoperaient pas s’ils n’avaient aussi le tempérament galopeur. Ils
l’ont, en général, et le fait que la plupart des braques allégés sont galopeurs
prouve bien, dira-t-on, qu’en modifiant leurs formes on a aussi modifié leur
tempérament. C’est l’évidence même, et l’aveu de cette double transformation,
physique et morale, serait le démenti formel à opposer à ceux qui prétendraient
l’avoir obtenue sans apport de sang étranger et sans truquer des pedigrees. Car
le continental orthodoxe est, en effet, bâti en trotteur, et son tempérament
normal n’est pas celui d’un coursier. Si l’on entend par vitesse chez le chien
d’arrêt celle qui est le propre des chiens anglais de field-trials, un
continental ne peut l’acquérir que par l’apport direct ou indirect (par un
chien déjà demi-sang, par exemple) de sang anglais.
Est-ce à dire que le continental resté pur ne se meut, comme
un slogan le laisse croire, qu’au pas ou au petit trot, qu’il chasse dans les
bottes de son maître et, donc, ne peut prendre ces initiatives, avoir cette
entreprise que la rareté et les mœurs nouvelles du gibier imposent
aujourd’hui ? Les utilisateurs savent bien que non. Le continental pur ne
brigue pas le championnat de course, sa vitesse ne se mesure pas en
mètres-seconde, il répugne à cette quête pendulaire et théorique qui nécessite
une allure constante, même en des champs dépourvus de gibier ; mais il
sait, avec intelligence, parcourir un chaume en lacets, il le fait au galop
s’il le croit utile, il monte dans le vent s’il le faut, et, autant qu’il le
faut, il longe les bordures, inspecte les haies et fossés avec sagacité ;
il bat le bois avec ardeur ou avec prudence ; bref, il nuance sa quête et
son allure, suivant le terrain et suivant son intuition. J’ai possédé deux
chiennes griffonnes dont l’allure en plaine ou au marais était le petit trot,
ce qui, malgré leurs excellentes qualités, leur interdisait les field-trials ;
au bois, elles quêtaient au grand galop, comme de vrais setters. Je connais une
braque française qui, selon le terrain et surtout l’abondance du gibier, trotte
ou galope, pointe ou, sans avoir été dressée à cela, quête croisé à bonne
allure. Selon qu’on la verrait sur un terrain ou sur un autre, on la
qualifierait, à tort dans tous les cas, de chienne trop lente ... ou
rapide. Grâce à cette aptitude à nuancer sa quête, le chien continental,
souvent parti dès le lever du jour, rentre, le soir, à nuit tombante, sans
avoir changé sa façon de faire et sans être claqué, prêt à repartir le
lendemain. Si ce n’est pas cela que l’on demande à un chien d’arrêt, la
question peut, évidemment, se poser autrement ; mais à ceux que cette
formule accommode le chien continental convient tel qu’il est.
Il convient tel qu’il est parce que les tempéraments des
chasseurs, leurs goûts, leur terrain et la façon de se comporter de leur gibier
diffèrent tellement qu’ils peuvent, dans la variété des races et dans les
tempéraments différents des sujets, trouver exactement l’auxiliaire adéquat à
leurs besoins. Car cette quête nuancée n’est cependant pas uniforme ; dans
toutes les races, quelle que soit leur structure, certains sujets ont une
propension au galop, d’autres s’en tiennent au trot plus ou moins, ou pas du
tout, alterné de galop. Or cette différence d’allure, parfois très sensible
entre sujets d’une même famille, voire d’une même portée, n’est nullement liée
à leur structure ; elle dépend uniquement de leur tempérament. Les vieux
éleveurs de continentaux l’ont maintes fois observé et sont bien convaincus que
ce ne sont pas leurs oreilles, leur crâne, leurs babines, ni même leur fanon
qui les empêchent de courir s’ils ne sont pas nés de tempérament galopeur. La
théorie fait parfois rire la pratique. La théorie taxe de chien lourd
— entendez trottineur, mou, chien à roulettes et autres qualificatifs
— un braque à la tête typique, dans la taille maximum du standard. Mais la
pratique lui réplique qu’avec leurs oreilles plissées, leurs têtes à l’ancienne
mode, ces chiens de haute taille (dans la limite de leur standard) ne sont
nullement inférieurs à ceux réputés plus légers ; ils ont conservé en
outre les qualités morales, la finesse de nez et l’incomparable résistance de
leurs aïeux ; quant à leur allure, on peut prouver qu’elle n’est pas
attachée aux oreilles et au masque continental. Nous connaissons des chiennes
braques françaises exemptes de tout sang étranger, dont la taille (0m,53
et 0m,55), la tête un peu trop sèche vis-à-vis du type orthodoxe et
l’oreille trop plate et trop courte ont été vues avec faveur par certains
protagonistes du rabotage et qualifiées de légères et sportives, entendez aptes
à chasser au galop. Or elles sont, l’une trois quarts trotteuse et l’autre cent
pour cent. Un mâle de la même famille, de 0m,62, au masque bien
français, à l’oreille plissée et de longueur rituelle, avec, aussi, juste un
peu de fanon prescrit par le standard, fut taxé de « chien lourd » en
exposition, mais, malgré tout, sacré champion de beauté : ce chien chasse
au galop avec l’aisance, les foulées, l’allure d’un setter, et tient son train
tout un jour s’il le faut.
Ce chien n’est pas une exception, mais bien un
prototype : un athlète bien membré, au rein puissant, au vaste coffre, avec
une tête proportionnée, où loge une entière cervelle, donc bien équilibré. Un
tel sujet, fût-il orné d’oreilles longues et plissées (preuve de certaines
qualités chères aux initiés), sera toujours plus résistant qu’un chien
claquette et efflanqué, eût-il la tête sèche et les oreilles d’un
sloughi ; et sans la résistance, à quoi sert la vitesse ?
Jean CASTAING.
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