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Poissons rares

Les corégones

J’ai eu la chance de pouvoir goûter plusieurs fois à la chair des corégones et je l’ai trouvée aussi succulente que celle de nos truites ou des ombres communs que je capturais à la mouche dans nos rivières du Centre. Ils ressemblent beaucoup plus à ces derniers qu’à la truite et peuvent aisément être confondus entre eux.

Comme eux, ce sont des Salmonidés qui ont la nageoire adipeuse caractéristique ; ils ont des écailles très apparentes, mais sont dépourvus de la grande dorsale en forme d’étendard, qui distingue l’ombre commun.

Ce sont des poissons des lacs profonds qui, pendant la plus grande partie de l’année, ne quittent pas les fosses les plus creuses ; certains viennent, à des époques variables, frayer sur les bords et retournent aussitôt après d’où ils étaient venus. On a essayé de les acclimater dans des lacs de profondeur moyenne et dans quelques réservoirs importants ; l’avenir nous dira si ces essais ont été fructueux. Dans ce cas, pareille mesure pourrait être envisagée pour d’autres masses d’eau, étant données la valeur comestible de ces poissons, leur prolificité assez bonne et la rapidité relative de leur croissance.

Les quatre espèces de corégones connues en France sont : la féra, le lavaret, la bézoule et la gravenche, si on les range par ordre de taille. Comme ils se ressemblent tous, il faut les décrire succinctement pour ne pas les confondre.

a. La féra paraît être celle susceptible d’acquérir la plus forte taille. Elle atteint 0m,50 de longueur et le poids de 3 kilogrammes environ. C’est un fort beau poisson, commun dans le lac Léman et d’autres aussi, en Suisse, en Allemagne, en Autriche, etc. ... Son corps est assez épais ; ses écailles de taille moyenne. Son museau est proéminent, la bouche petite, l’œil grand et placé en avant. Les parties supérieures sont d’un bleu verdâtre, lavées de brun clair ; les flancs et le ventre d’un blanc assez brillant. Ses dents sont très petites ; elle n’attaque l’alevin que parvenue à l’âge adulte. Sa chair est blanche, non saumonée, mais d’un goût exquis. Les meilleures proviennent, paraît-il, de la région lacustre avoisinant Genève, où elles se tiennent au printemps. Au début des chaleurs, elles émigrent vers l’est, pour se cantonner dans les fosses profondes près des rives savoisiennes.

La ponte de la fera est tardive ; elle se situe vers la fin de février et se fait dans les grandes profondeurs (150 à 200 mètres). Les alevins grossissent assez vite puisque, à l’âge de dix-huit mois, ils mesurent déjà 0m,20.

b. Le lavaret peut être aisément confondu avec la féra. Son corps est cependant plus allongé et moins épais. La tête est petite, le museau peu proéminent. Les écailles, moins grandes, tiennent davantage à la peau. Le dos est verdâtre, le haut des flancs piqueté de points noirs ; les côtés et le ventre sont d’un blanc nacré. Sa taille est inférieure à celle de la féra et ne dépasse pas 2 kilogrammes. On le trouve dans plusieurs lacs suisses et, en France, principalement dans le lac du Bourget. Certains auteurs prétendent qu’il vit dans le Rhône, l’Isère et quelques autres cours d’eau moins importants. Les pêcheurs de ces rivières que j’ai interrogés à ce sujet m’ont avoué n’avoir jamais capturé ces poissons ; leur présence dans ces rivières est donc douteuse. La chair du lavaret vaut celle de la féra et en diffère fort peu. Sa petite bouche lui interdit de s’attaquer aux grosses proies, et il paraît peu nuisible. Il fraie en décembre, sur les bords des lacs, et se laisse prendre, alors, assez facilement. Hors le temps du frai, il ne quitte pas les profondeurs et ne peut être capturé qu’à l’aide de grands filets profondément immergés.

c. La bézoule ou bézole est peu aisée à différencier du lavaret, sinon par sa coloration plus jaunâtre que verdâtre, et sa taille moindre, maximum 1.200 grammes, m’a-t-on dit. Elle fraie en janvier, mais dans les fosses profondes et non sur les bords. On la rencontre dans le lac du Bourget.

d. La gravenche, corégone spécial au lac Léman, reproduit la féra en modèle réduit et en teinte plus claire. Son dos est plus courbé. Les parties supérieures sont lavées de violet clair, les flancs et le ventre d’un blanc très brillant. Son frai a lieu en décembre, tout à fait sur les bords, sur les galets ou le gros sable recouverts de peu d’eau. À ce moment-là, m’ont dit plusieurs pêcheurs, elles sont très faciles à prendre, en les entourant d’une longue senne qu’on tire ensuite sur les bords. Mais, ont-ils ajouté, on a tant usé de ce moyen, sans aucune retenue, que l’espèce s’est considérablement raréfiée et finira par disparaître, si l’on n’y remédie pas.

e. Le houting. — Je ne parlerai que pour mémoire de ce salmonidé, que je n’ai jamais vu. C’est un migrateur comme le « salmosalar », qui vit dans la mer du Nord et remonte certains fleuves d’Allemagne, de Hollande et de Belgique, notamment l’Escaut et la Meuse, pour y frayer, après quoi il redescend en mer.

Son corps est long sans être mince et recouvert d’écailles petites, nombreuses et brillantes. Son nez est proéminent et même pointu, et de couleur noire. On prétend son goût inférieur à celui de nos corégones d’eau douce, auxquels il ressemble par les formes.

D’autres espèces de ces poissons vivent dans d’autres contrées que les nôtres ; je regrette de n’avoir aucun renseignement sur eux.

Quoi qu’il en soit, chers confrères, quand vous aurez l’occasion de voir des corégones sur votre table, n’hésitez pas à les consommer, quelle que soit leur espèce, et, surtout, ayez garde de les confondre avec l’ignoble hotu, qui peut parfois vous être servi sous le qualificatif trompeur de lavaret.

Il n’y a rien de commun entre ce dernier, salmonidé à la chair succulente, et le détestable cyprinidé, qu’on ne saurait trop proscrire ; ne commettons pas cette lamentable méprise.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 737