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Les finesses du lancer léger

Quiconque possède un moulinet à tambour fixe garni de nylon, fixé sur une gaule quelconque, et quelques leurres peut dire, après un quart d’heure d’exercice : « Je pêche au lancer léger. »

C’est exact ! Mais il y a autant de différence entre ce débutant et un vrai pêcheur qu’il y en a entre un cycliste à ses débuts et un coureur ou un cyclotouriste.

Les deux premiers prennent du poisson — s’il y en a, — les autres déroulent des kilomètres, mais la satisfaction qu’ils éprouvent, les uns et les autres, est en raison directe de leurs possibilités et surtout de leur matériel.

Nous cantonnant dans notre sphère halieutique, nous allons essayer d’égaliser les chances, ou tout au moins de mettre les débutants au niveau de leurs illustres confrères.

Voyons tout d’abord le moulinet : quelle qu’en soit la marque, il est à même de nous permettre du bon sport : qu’il soit robuste, doux, d’assez grand diamètre, il sera un auxiliaire fidèle et sûr.

Ayez-en soin ; ne le graissez pas avec l’eau de la rivière additionnée des grains de sable qu’il aurait pu récupérer quand vous le posez sur le sol, et vous aurez un engin convenable.

Que la canne soit quelconque, d’une élasticité en rapport avec le poids que vous lui faites propulser, avec un point spécial et mérité à celles construites en bambou refendu ou en acier ; qu’elle ait ou non des enjolivures, elle vous permettra de beaux lancers.

Une tige de bambou d’une seule pièce, rigide et nerveuse, sera plus à rechercher qu’un refendu de pacotille.

N’hésitez pas à vous offrir une bonne marque ; là encore, vous en serez récompensés.

Mais c’est au bas de ligne qu’on va reconnaître un raffiné et un pêcheur averti. J’ai pu constater, et d’autres avec moi, bien sûr, que neuf sur dix des praticiens du lancer léger n’utilisent pas de bas de ligne. Ils attachent le leurre directement à leur nylon ... et en avant. Cette hérésie leur coûte souvent bien cher et leur cause de nombreux déboires ; je vais être voué aux gémonies, à l’annonce d’une telle prophétie, par une foule de confrères. Je les adjure de me lire et de comprendre.

Vous savez que je parle avec une profonde expérience des choses de la pêche et que j’ai toujours essayé de guider mes jeunes confrères, soit dans mes livres, soit dans mes causeries, vers une amélioration de leur façon d’agir. Si je n’ai pas réussi, qu’ils me pardonnent cette velléité d’altruisme et continuent leurs errements routiniers.

Je disais donc qu’il est avantageux d’employer un bas de ligne, voici pourquoi :

D’abord, la partie qui voisine avec le leurre a tout avantage à être le moins visible possible, et, alors que le corps de ligne sera du 20/100, le bas de ligne n’aura que 15 ou 18/100.

Le poisson le verra moins et, en cas d’accrochage dans les herbes, cette partie la plus faible cédera la première ; la perte sera limitée au leurre.

Qui de vous n’a tempêté, n’a dévidé toute la collection de mots plus ou moins académiques qu’il avait à sa disposition, lorsque la casse s’est produite au ras du scion, alors que vingt mètres de nylon partaient avec la cuiller ?

Il en eût été tout autrement avec un bas de ligne moins résistant.

Ce qui empêche un tel agencement, disons-le franchement, c’est la paresse : on perd du temps à fixer ce bout de nylon, on s’énerve parfois et surtout on pense : « J’ai pris du poisson sans cela, je continuerai donc ainsi. »

Jusqu’au jour où tout s’en va, qu’on a perdu toute sa réserve de ligne et qu’on a gâché sa journée.

Les confrères fortunés ayant quelques bobines de réserve dans leur sac verront là un petit malheur, mais que le désastre se répète plusieurs fois dans la même séance — et cela arrive dans les rivières encombrées, les meilleures cependant — et ils commenceront à avoir des doutes sur la valeur de leur procédé.

Quoi qu’il en soit, voici comment je pêche au lancer léger :

Tout d’abord, je vous conseille de ne pas dépasser le 20/100 pour poissons moyens et même le 18/100, si vos prises éventuelles ne dépassent pas le kilo — je parle aux débutants, bien entendu, — pour votre corps de ligne en nylon.

À l’extrémité, un émerillon minuscule, en deux pièces, bien rodé, bronzé de préférence, et à système, de façon à pouvoir, en une seconde, changer le bas de ligne.

Celui-ci, d’un diamètre plus faible, aura 20 à 25 centimètres de longueur, terminé par deux boucles, l’une destinée à être fixée à l’émerillon précité, l’autre pour arrimer le leurre.

Vous en préparerez quelques-uns à la maison, pris dans un rouleau de nylon que vous avez abandonné parce qu’il avait trop d’ajoutures, ou dans une pochette de 5 mètres, vendue couramment sur le marché.

Ne faites pas comme un ami qui, ayant confectionné ses bas de ligne avec un vieux nylon, fusé et cassant, découvert au fond d’une boîte, me disait que je lui avais raconté une stupidité.

Un peu de bon sens, joint au raisonnement, n’a jamais nui à personne ...

Vous avez dû remarquer, comme moi, que certains pêcheurs ne se servent que du 30, 35/100 sous le prétexte que « ça » ne casse pas.

Évidemment ! du 60/100 serait encore plus résistant, mais si un jour ils peuvent, en eau claire, voir le comportement des voraces qu’ils veulent capturer, ils changeront d’avis, pour la truite surtout.

Elle arrive, en vitesse, par côté et brusquement crochète et fuit : elle a vu la corde à puits remorquant la cuiller.

La finesse du corps de ligne n’est pas un obstacle à son emploi, la roue libre du moulinet jouant à merveille son rôle de « dompteur ». Je veux croire aussi que la science du pêcheur entre en jeu.

Allons, jeunes confrères, vous allez préparer des bas de ligne et je suis certain que plus jamais vous ne les laisserez à la maison.

Et pour le brochet ? Ah ! cela, c’est une autre histoire : il faut que le bas de ligne, en fil d’acier très fin, soit tout de même moins résistant que le corps de ligne.

C’est le seul cas, peut-être, où il soit nécessaire d’employer un numérotage plus élevé, sans pour cela atteindre les gros diamètres ; avec du 28/100, on peut se mesurer avec de très fortes pièces, si on connaît son affaire.

Certainement, l’expérience, ici comme en toutes choses, constitue un atout certain dans notre jeu, mais tout vient à son heure et, quand vous aurez grincé des dents bon nombre de fois, le sourire du triomphe viendra récompenser votre persévérance.

Marcel LAPOURRÉ.

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 736