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L’ascension du Puy de Dôme

J’y étais. J’en viens. C’est pourquoi j’en peux parler cette fois avec une certaine éloquence.

Le 14 août, à Clermont, au cours de la Semaine fédérale magnifiquement organisée par M. Bourdel, qui est bien l’homme le plus aimable et le plus habile et modeste organisateur de ce genre de manifestations, le 14 août, dis-je, six cents cyclistes se lancèrent à l’assaut du mont vénéré, de notre volcan national, cône parfait au nez écrasé, qui, vu de Clermont, hallucine par sa majesté incontestée. L’on sait que le profil de la route qui y grimpe se décompose ainsi : 7 kilomètres jusqu’à La Baraque (12 p. 100), mais avec des « repos », des reprises de souffle. Puis 2 kilomètres faciles et de pente faible. Enfin, 1 kilomètre à 13 p. 100 jusqu’au péage, et pour finir 4km,200 de pente à 12 p. 100 régulière et sans la moindre « miséricorde ».

Parti seul, dès l’aube, et ne me souciant pas de records, je dus, pour la première fois, multiplié à 2m,20 — ce qui est trop, — faire à pied 2 ou 3 kilomètres. Mon temps fut d’un tout petit peu moins de deux heures. Nous dirons que c’est celui d’un sexagénaire de bonne volonté.

Arrivé au sommet fouetté de vent, éperdument clair et glacial, entre deux atroces journées d’air embrasé et de chaleur, je me composai un sous-vêtement de vieux journaux, me foulardai d’une serviette-éponge et attendis les concurrents en claquant des dents.

Une jeune fille, partie de Clermont dans le groupe de tête, arriva première au sommet, en 57 minutes. Sa moyenne est donc de 15 à l’heure (et il y a 12 kilomètres de 9 à 13 p. 100 sur les 14 du parcours).

C’est, il est vrai, Mlle Lily Herse : elle a l’air d’une enfant. Toute petite et frêle, c’est une flèche ailée. Son style est celui d’un grand champion. Il faut la voir arrachant les derniers 100 mètres pour éprouver vraiment la joie des yeux dans ce parfait amalgame de jeunesse et de force, de légèreté et de puissance.

Mais je passe tout de suite aux phénomènes. C’est à mes yeux notre cher vétéran Cazassus qui égale son record de 1947 et réalise un temps ne s’écartant que de 3 secondes du temps calculé par lui : 1 heure 6 minutes.

C’est l’unijambiste Aurier, qui arrive 3 minutes après Cazassus. C’est le manchot (très jeune il est vrai) qui réalisa un temps encore meilleur, mais ne bat pas, lui, son record, de la bagatelle de 18 minutes ! C’est Renoud, qui, ayant mis 48 minutes, a roulé à près de 18 à l’heure, vitesse digne d’un Fausto Coppi.

C’est Faure, c’est Voinot, Lèbre, Chirol, Aubert, Rota (celui-ci a perdu 10 minutes à réparer un pneu), Aurine, Cretin, Écholier, et le vainqueur de Paris-Brest, l’admirable champion Jo Routens, qui tous ont mis entre 48 et 58 minutes.

Étaient prévues deux catégories (sportifs et randonneurs) et plus de quinze catégories par rang d’âge. Le classement général bouleversa tout cela. On vit arriver certains vétérans avant les jeunes, et les sportifs furent mêlés aux randonneurs.

Et puis il y eut tous ceux dont on ne cita pas les temps. Ce sont les grimpeurs qui mirent plus de 1 heure 45 minutes et durent faire, essoufflés, les « honneurs du pied » à la montagne. Évidemment, ils sont plusieurs centaines, presque tous victimes d’un trop fort développement.

Quant aux dames, toutes jeunes évidemment, elles firent de très belles performances. Notons Mme Pirrin : 1 heure 5 minutes et Mme Canon, 1 heure 11 minutes. Les tandems mixtes furent bien plus lents, comme on s’y attendait.

C’est ainsi que la très athlétique Mme C ..., notre amie, et qui avait gagné le concours du duralumin, ne put réaliser (équipière de notre autre ami M. D ...) que le temps médiocre de 1 heure 36 minutes. Finalement on arrive à cette conclusion bizarre que l’âge joue peu et qu’il n’y a plus de vieillards dès qu’il ne s’agit plus de vitesse pure !

Mais combien j’aime ce genre d’épreuves, vraiment ouvertes à tous et où l’on ne vous demande l’obtention d’aucun brevet pour y prendre part ! Songez que, sur 14 kilomètres, on s’y échelonne sur plus d’une heure et que, par exemple, la très sportive et valeureuse Mme Pirrin est à 8 minutes de Lily Nerse, c’est-à-dire à 2 kilomètres ! On est loin des écarts de secondes qui existent entre professionnels, même au sommet de l’Izoard, et de ces insipides arrivées en paquet sur le ciment d’un vélodrome.

Admirons, pour finir, la prudence, la sagesse dont firent preuve les concurrents en redescendant lentement. Ils comprirent enfin (bien que la route ne fût pas dangereuse et ne comportât aucun virage, puisqu’elle est tracée en ellipse autour du Puy) que les pneus ne résistent pas à l’échauffement des jantes quand on use trop brutalement des freins dans du 12 p. 100. Beaucoup d’entre eux descendirent même à pied, pour se promener avant l’heure du pique-nique. Aucun accrochage, aucun accident.

Et quel cadre ! Toute la chaîne des monts, tout le chapelet des puys extasiés de lumière dans le vent sauvage qui soufflait du nord, et nous clouait sur place ou nous poussait selon que nous nous trouvions sur le versant Limagne ou le versant Auvergne de la montagne vénérée que coiffent encore les restes romains d’un temple à Mercure, et qui vit se poser à son sommet le premier oiseau mécanique de l’aviateur Rénaux, il y a trente-huit ans, en un temps où il fallait plus d’audace pour se poser au faîte du Puy que pour faire, aujourd’hui, le tour du monde.

À quoi tout cela sert-il, diront les grincheux, puisqu’on ne gagne qu’un diplôme ? À quoi bon tant d’efforts pour un parchemin ?

Précisément, c’est là ce qui est magnifique. La grimpée du Puy-de-Dôme est vraiment l’Ascension des Purs.

Henry DE LA TOMBELLE.

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 741