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Camps légers d’instruction

Nous avons assez souvent, jadis, déploré la stupidité des interminables heures d’« exercice » que les hommes de ma génération ont subies, dans l’ancienne et inconfortable « tenue » d’alors, dans la cour des casernes, pour nous réjouir aujourd’hui de l’heureuse évolution qui s’est effectuée dans l’éducation physique et sportive du soldat moderne.

Je dirai même que les « camps légers d’instruction », tels que celui de Frileuse, qui peut servir de modèle, pourraient être pris comme exemple par certaines organisations civiles où il s’agit, comme dans l’armée, de satisfaire aux conditions difficiles d’un entraînement collectif portant sur des sujets de provenance et d’aptitudes très diverses.

Le premier avantage évident de ces camps légers sur les anciennes casernes et sur l’éducation physique en salle close est constitué par la vie au grand air dans un cadre forestier ou champêtre, agrémenté d’une rivière, d’installations d’hygiène et de cuisine appétissante, et dont l’absence de hauts murs fait qu’aujourd’hui une caserne — demain, espérons-le, un lycée — ne ressemble plus à une prison.

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Le premier stade consiste à « brasser et catégoriser » les recrues dans le jeu de leurs affectations, de sorte que chaque groupe (origine, province, milieu social, profession) soit, dans la mesure du possible, représenté en proportions équitables. Chaque groupe se trouve ainsi, au départ de l’instruction, à peu près équivalent dans ses possibilités. En même temps s’effectue, par opposition à cette sorte de standardisation, une sélection et un classement par examen médico-physiologique, et par tests tendant à mettre en évidence les aptitudes sportives de chacun. Si bien que, dès cette sélection faite, tous les sujets peuvent commencer leur entraînement, à l’exception de ceux qu’une infirmité légère ou un état physiologique déficient oblige à placer dans un groupe de rééducation, d’observation ou de traitement.

Si bien que, à côté de l’échelon militaire dont la base est la « section », et qui a pour charge l’instruction militaire proprement dite, qui reste nécessaire à la « discipline des armées », il existe des « catégories » homogènes pour ce qui concerne l’éducation physique et sportive, cette dernière prenant une importance de plus en plus grande dans les conditions de la guerre moderne. Tous les soldats d’une même catégorie « médico-sportive » subissent donc ensemble le même programme d’entraînement sportif, quelle que soit la compagnie ou la section à laquelle ils appartiennent. On peut ainsi pousser à fond cet entraînement, sans avoir à traîner des poids morts, tandis que les déficients sont, de leur côté, groupés dans des cours de gymnastique corrective, selon le diagnostic posé (déformations vertébrales, insuffisants musculaires, insuffisants respiratoires, par exemple). On organise enfin des équipes de sports collectifs : football, rugby, basket, etc.

La leçon type emprunte pour une large part à la méthode naturelle d’Hébert, à cette différence près que le plateau classique est remplacé par une « piste du risque ». Sur un trajet de 1.500 mètres environ, le jeune soldat franchit une série d’obstacles l’obligeant successivement à escalader des murs, à grimper à la corde, à sauter en hauteur et en profondeur, à ramper, à circuler dans des barbelés ou des madriers, en plongeant carrément dans l’eau même s’il ne sait pas encore nager. Ensuite, il est initié au combat individuel corps à corps. Il est tantôt en tenue sportive, tantôt avec l’équipement complet.

La collaboration étroite de l’officier des sports et du médecin, dont le rôle et l’autorité ont été renforcés, les visites de contrôle périodiques permettent de suivre de façon continuelle les progrès ou les retards de chacun et de les changer de catégorie s’il y a lieu. On arrive ainsi, grâce à un système de tests et de fiches bien tenues, à des résultats inespérés, tant sur le plan sportif que sur le plan militaire et général. Des mesures ont été prises pour que la quasi-totalité du contingent annuel s’adapte à ces conditions nouvelles et effectue un séjour d’assez longue durée dans les camps légers d’instruction.

Lorsqu’ils auront acquis par cet entraînement une forme suffisante, rien ne sera plus facile pour ces soldats que de se spécialiser dans telle ou telle arme, comme nous l’avons vu dans un article précédent pour ce qui concerne les troupes aéroportées. Et cette façon de procéder doit constituer un exemple pour l’Université et les écoles privées d’éducation physique et sportive. Car elles démontrent, comme nous le prétendions depuis de longues années, qu’en matière de sport comme en matière d’études scolaires, des spécialisations trop précoces s’effectuent aux dépens de la culture générale et aboutissent à la déformation professionnelle. Alors que, au contraire, un athlète complet, une fois son développement général harmonieusement acquis et ses aptitudes particulières déterminées par les tests et par les performances, sera tout préparé pour obtenir dans la spécialité qui convient le mieux à ses tendances et à ses possibilités des progrès rapides et efficaces.

À quelque chose malheur est bon. Les conditions de la guerre moderne auront eu au moins pour conséquence de rendre le service militaire plus attrayant et plus profitable aux jeunes recrues, et de remplacer une partie des heures interminables que nous passions jadis à répéter les mêmes : « Présentez ... armes », et ; « En avant, marche ! », et à ressasser les mêmes slogans appris par cœur, par des heures d’éducation sportive et d’entraînement dont le bénéficiaire profitera dans la vie civile et pour le plus grand bien de sa santé et de son comportement physique et moral.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 743