Nous avons vu le mois dernier comment le spéléologue
parvenait à surmonter les principales difficultés de l’exploration souterraine.
Mais il arrive un moment où cette exploration s’arrête : toute avance
semble impossible, et l’on déclare que l’on a atteint le fond du gouffre ou de
la grotte.
Nous nous insurgeons aujourd’hui contre cette manière de
voir. Lorsque la spéléologie en était à ses premiers pas, il était normal que
nos précurseurs, mal éclairés, mal outillés, et qui avaient devant eux un
domaine totalement inexploré, s’arrêtent au premier obstacle sérieux. Il n’en
est plus de même actuellement, et il est temps de ne plus considérer un gouffre
ou une grotte comme une cavité isolée, mais comme une portion plus ou moins
développée d’un réseau souterrain complet. Celui-ci comprend un plateau
d’alimentation, un réseau hydrographique composé de plusieurs affluents, enfin
une rivière principale sortant à une résurgence parfois lointaine, le tout
pouvant être actif ou fossile.
Toute recherche doit avoir pour but de reconstituer le
réseau complet, tel qu’il a été creusé par l’eau. Atteindre simplement le fond
d’un gouffre est un travail incomplet, qui pourra être dépassé par une équipe
plus audacieuse ou plus entreprenante.
Certains sportifs en mal de record cherchent actuellement à
établir une distinction entre le gouffre le plus profond du monde et le réseau
complet comportant la dénivellation la plus grande. Cette distinction est
absurde. Ils font intervenir la difficulté qu’il y a à remonter du fond du gouffre
après y être descendu. Mais, avant de pouvoir traverser de haut en bas le
réseau complet, il a fallu vaincre de multiples obstacles plus durs que leur
simple aller et retour. Ils font penser à un alpiniste gravissant un sommet par
une voie très difficile, qui, faute d’avoir vaincu un ultime obstacle le
séparant du sommet, est obligé de redescendre par la même voie au lieu de
trouver sur l’autre versant un chemin plus facile.
Voyons donc le genre d’obstacles qu’il faut essayer de
vaincre.
Le Siphon.
— Dans une rivière en activité, le moindre plafond de
galerie un peu trop bas, formant voûte mouillante, est un obstacle des plus
sérieux. Lorsque la galerie est noyée sur quelques mètres seulement, certains
audacieux parviennent à franchir le siphon en plongée. Ils sont très rares, et
j’éprouve pour eux la plus vive admiration.
Depuis quelques années, le grand développement des appareils
respiratoires individuels pour la pêche sous-marine a apporté un élément
nouveau. Mais l’on admet actuellement que les plongées prolongées sont
extrêmement pénibles au-dessous de 9°, et la plupart des rivières souterraines
de montagne sont entre 2 et 6°. Ce difficile problème trouvera
vraisemblablement sa solution dans les années qui viennent, par l’emploi
simultané d’appareils respiratoires individuels et de combinaisons étanches
légères.
Les étroitures.
— On rencontre très souvent, comme obstacle terminal
d’une grotte, une chatière ou une fissure trop étroite pour laisser le passage
du corps. Il suffit parfois de creuser à la main un sol marneux ou ensablé, ou
de forcer au burin ou au marteau un passage rocheux ou concrétionné. Lorsque
l’on rencontre la roche vive, les explosifs deviennent nécessaires. Depuis
quelques années, ce genre de travail est facilité par l’emploi des charges
creuses, ou perforateurs, qui remplacent le pénible travail préparatoire des
trous de mine. Des résultats remarquables ont été obtenus à la Henné Morte et à
la Dent de Crolles.
Les éboulements.
— Une grotte, depuis son abandon par les eaux qui l’ont
creusée, a pu être rebouchée par alluvions, concrétions ou éboulements.
Les alluvions ont pu obstruer la galerie sur des distances
très grandes, et la désobstruction pourra être longue, mais elle doit toujours
être tentée.
Les concrétions forment des murs compacts de grande dureté,
mais ce ne sont souvent que des cloisons de faible épaisseur.
Les éboulements, obstruant en totalité une galerie, ont un
aspect décourageant par leur instabilité. Toutes les pierres bougent lorsqu’on
en déplace une. Mais l’obstacle est rarement considérable, et la patience finit
par en venir à bout. À la Dent de Crolles, où nous avons mis ce principe en
application, nous avons réussi une quinzaine de désobstructions, dont la plus
longue a demandé vingt-six heures.
Fonds de gouffres.
— Lorsqu’il s’agit d’un simple gouffre s’ouvrant
directement au sol, toutes les pierres venues d’en haut viennent s’accumuler
dans le fond. Dans ce cas, l’épaisseur du colmatage pierreux peut être
considérable. Parfois on est guidé par l’existence d’un léger courant d’air, et
l’obstacle peut être vaincu s’il est inférieur à 10 mètres d’épaisseur.
Dans le cas contraire, le travail à effectuer est hors de proportion avec les
moyens matériels dont dispose actuellement une équipe bien outillée. C’est ce
qui nous permettra de laisser aux générations futures, et pendant longtemps
encore, la joie de faire à leur tour de sensationnelles découvertes.
Pierre CHEVALIER.
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