Baden-Powell dut se préoccuper du sort des adolescents de
seize ans qui ne voulaient pas quitter le scoutisme, tant ils y trouvaient
d’activités joyeuses et utiles. Quelques-uns pouvaient devenir les chefs de
leurs cadets, mais les autres ? Ils risquaient d’entraver la marche
normale du groupe ... Or était-il sage de laisser livrés à eux-mêmes des
jeunes gens parvenus à un âge particulièrement critique, alors qu’ils
désiraient continuer à appliquer la loi scoute ?
Baden-Powell eut ainsi l’idée d’une branche supplémentaire
au mouvement scout, qu’il appela « la route ». On a comparé assez
souvent la vie à un chemin pour qu’il soit inutile d’expliquer ce symbole.
Un petit livre génial, La Route du succès, parut en
1922 et parla aux aînés dans ce même esprit frais, sain, qui domine le
scoutisme pour les garçons. Voici une de ses phrases les plus
caractéristiques : La route n’a pour but de faire du jeune homme ni un
fat, ni une sainte nitouche, mais de guider sa joyeuse énergie dans une voie
qui lui procurera plus de bonheur, en lui faisant vivre une existence qui en
vaille la peine, au service du prochain.
C’est, en effet, l’idée de dévouement à autrui qui est
l’essence de l’idéal « routier », Les initiales « R. S. »,
qui signifient « routiers-scouts », expriment aussi leur
devise : « Rendre service ».
Pour bien réaliser cette ambition, le routier se livre à des
travaux individuels et collectifs extrêmement variés. Il cherche d’abord à se
perfectionner lui-même, pour être plus apte à se rendre utile. Être fort
pour mieux servir est encore une des phrases favorites de ses chefs.
L’entraînement physique est donc son premier souci.
Les routiers cherchent ensuite à posséder une sérieuse
culture intellectuelle, civique, morale. Les étudiants qui font partie du
« clan » mettent leurs connaissances au service de leurs camarades,
et les employés comme les ouvriers gagnent énormément à ce contact. Chaque
réunion est marquée par un « cercle d’études » où les sujets les plus
variés sont soumis à une libre discussion. Les grandes questions sociales y
tiennent évidemment la première place. Les routiers, tout en sachant demeurer
étrangers à la passion politique, examinent les problèmes d’actualité les plus
brûlants. Enfin, ils aiment se communiquer leurs impressions sur les livres,
les films, les œuvres artistiques ... Comme ils sont d’origine et, le plus
souvent, de convictions intimes très différentes, ils apprennent à affronter
leurs points de vue dans la plus amicale tolérance.
Les « clans » doivent se spécialiser. Les uns se
consacrent à l’art dramatique, et qui n’a pas entendu parler des
« Comédiens routiers » d’Île-de-France, dont l’ardente compagnie fut
lancée par M. Léon Chancerel ? D’autres se livrent à des études
ethnographiques et vont, par équipes, visiter des coins retirés de la campagne
française. D’autres se passionnent pour les explorations souterraines, le
nautisme, le vol à voile. D’autres étudient les plantes, les roches, les
animaux, et le Clan naturaliste des Éclaireurs de France, dirigé par
l’explorateur Henri Lhote, a réalisé des travaux très appréciés par les milieux
scientifiques. Dans leur spécialité déjà indiqué, les routiers cherchent à se
perfectionner sans cesse.
Ils aident d’autre part leurs cadets, les éclaireurs, soit
en remplaçant les chefs absents, soit en accomplissant des besognes rudes. Par
exemple, avant un camp, ils aménageront le terrain, exécuteront des travaux de
bûcheronnage ... Ils se chargeront du ravitaillement si celui-ci présente
des difficultés.
Mais ils savent aussi s’employer en dehors du
scoutisme ! Sans parler des « bonnes actions » que la guerre
leur a permis d’accomplir (défense passive, évacuation d’enfants, travaux
agricoles, récupération de ferraille), ils apportent leur concours aux œuvres
d’entr’aide, et on les voit, les Unionistes prêter la main à l’Armée du Salut,
les Scouts de France offrir leur aide aux kermesses catholiques, les Éclaireurs
de France se dépenser dans les fêtes organisées au profit de l’école publique.
Pendant une de leurs excursions, ils sauront réparer un pont,
une chapelle, construire un observatoire, dresser une table de signalisation
touristique.
Leurs « camps volants » sont l’occasion de monter
des spectacles populaires en plein vent, pour amuser les villageois ou les
enfants d’un sanatorium ...
Où leur aide est la plus précieuse, c’est dans les colonies
de vacances. Ils y méritent vraiment le nom de « semeurs de joie ».
Tout d’abord, ils savent à merveille s’adapter à la mentalité enfantine, et on
ne pourrait pas en dire autant de tous les moniteurs. D’autre part, ils
connaissent à profusion des chants, des danses, des bans, des jeux, qui
enthousiasment les petits.
Bref, les routiers se signalent à l’attention comme une
élite de jeunes gens capables et dévoués, sur qui l’on peut compter. Ils
s’attachent à se dégager d’un certain « puérilisme » dont on les a
souvent accusés, et parfois avec raison, il faut le reconnaître. Tout en
restant fidèles aux principes de base du scoutisme, ils s’efforcent d’évoluer
avec l’époque, non pas à l’écart, mais dans la vie.
Fernand JOUBREL.
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