La propriété des essaims d’abeilles a toujours été une
question très importante. Depuis quelques années, les restrictions et la cherté
du miel l’ont remise au premier plan de l’actualité apicole, d’autant plus que
le nombre des apiculteurs s’est multiplié dans une grande proportion.
Autrefois, on ne connaissait que le rucher familial installé
à proximité de la maison et, par conséquent, facile à surveiller à l’époque de
l’essaimage. Il n’en est plus de même aujourd’hui, où certains exploitent
plusieurs ruchers forcément éloignés les uns des autres et dont la surveillance
constante est quasi impossible. Heureusement, les ruches à cadres,
agrandissables à volonté, réduisent l’essaimage au minimum, mais on ne peut
quand même le supprimer complètement. Avec certaines races, ainsi que dans les
régions favorables, il se produira toujours un certain nombre d’essaims.
La propriété de ces essaims est devenue la source de
nombreux litiges, car un essaim sortant de la ruche n’emporte pas son
état-civil avec lui. Il est bon de connaître la législation, qui, sur ce point
particulier, aurait grandement besoin d’être révisée et adaptée au niveau des
connaissances actuelles tant sur la protection des ruchers contre le vol par le
piégeage, que sur la propriété des essaims trouvés.
La très vieille loi du 28 septembre 1791 est toujours
en vigueur, ne l’oublions pas ; son texte a d’ailleurs été repris par
l’article 9 de la loi du 6 avril 1889 du Code rural : Le
propriétaire d’un essaim d’abeilles a le droit de s’en saisir tant qu’il n’a
pas cessé de le suivre. Autrement l’essaim appartient au propriétaire du
terrain sur lequel il s’est posé.
Cet article ne vise que les essaims domestiques,
c’est-à-dire provenant de ruches exploitées, car les essaims sauvages,
n’appartenant à personne, ne peuvent faire l’objet d’aucune réclamation ;
ces derniers peuvent être capturés sans formalité par celui qui a la jouissance
du fonds sur lequel ils se sont réfugiés, devenant ainsi sa propriété.
Lorsqu’un tiers réclamera un essaim en vertu de l’article 9, il devra être
à même, le cas échéant, d’établir qu’il s’agit d’un essaim domestique échappé
de son rucher. Cette preuve pourra se faire par les témoins de l’essaimage et
la poursuite de l’essaim.
Même si l’essaim se pose dans une propriété voisine, il
appartient toujours à l’apiculteur propriétaire qui l’a suivi, c’est ce qu’on
appelle le droit de suite. À ce sujet, certains auteurs pensent que le
tintamarre dont on avait coutume d’accompagner la sortie d’un essaim autrefois
dans nos campagnes avait eu comme origine l’idée de marquer partout
l’affirmation par l’apiculteur de la propriété de l’essaim qui s’envolait.
Toutefois, le propriétaire de l’essaim ne doit pas, en principe, pénétrer chez
un tiers sans son autorisation ; si l’essaim suivi se place dans une
propriété close où il est au moins momentanément impossible de pénétrer,
l’apiculteur doit se mettre immédiatement en mesure de faire constater son
droit de suite par un agent, un garde ou des témoins. Si le propriétaire du
terrain était absent pour un certain temps, il est conseillé à l’apiculteur de
prendre, en présence du garde champêtre ou du maire, les mesures susceptibles
de lui permettre de rentrer le plus tôt possible en possession de son bien qui,
d’un moment à l’autre, peut s’envoler et être perdu.
Le propriétaire du terrain ne peut s’opposer à la reprise
par l’apiculteur de l’essaim qui lui appartient. L’apiculteur devra évidemment
réparer les dégâts qu’il aurait pu occasionner au cours de la récupération et
de la cueillette de son essaim.
Notons que le droit de suite dont il est question
n’appartient qu’au propriétaire de la ruche d’où l’essaim est sorti. En
particulier, il n’appartient nullement à un tiers quelconque qui, voyant un
essaim dans les airs, le suit jusqu’à l’endroit où il s’accroche avec l’idée de
se l’approprier.
Si l’apiculteur n’a pu suivre son essaim, ce dernier devient
sauvage et ne lui appartient plus. Il appartient alors au propriétaire du
terrain sur lequel il se pose.
Quand un essaim sorti de l’une de vos ruches et que vous
suivrez ira se poser dans le jardin de votre voisin, si vous pensez que ce
dernier ne vous donne pas l’autorisation de pénétrer dans sa propriété, allez
tout de suite chercher un garde champêtre ou un agent de police et, en sa
présence, demandez poliment à votre voisin la permission de reprendre votre
bien. Si le voisin vous refuse l’accès de son jardin, le garde sera un témoin
qualifié. Adresser aussitôt une requête au juge de paix du canton, demandant un
jugement « en référé », c’est-à-dire sans délai. Si ce jugement, qui
vous donnera certainement gain de cause, est rendu assez tôt, vous pourrez sans
doute récupérer votre bien, le voisin n’osant pas s’opposer à une décision de
justice ; s’il est trop tard, si l’essaim a déménagé, demandez au juge de
paix de condamner votre voisin responsable de la perte de votre essaim à une
indemnité représentant sa valeur, et il est très probable que le monsieur,
après cette leçon, sera plus sociable à l’avenir et vous laissera cueillir tous
vos essaims sans difficulté.
Il y a quelques années, une aventure nous est arrivée au
sujet de la cueillette d’un essaim ; l’histoire vaut d’être contée étant
donné son épilogue.
Or donc, par une chaude journée du mois de mai, nous
bavardions tranquillement à l’ombre à proximité de notre rucher d’élevage de
reines avec un collègue apiculteur venu nous rendre visite, lorsque tout à coup
un essaimage se produisit sur une ruche dont les abeilles étaient très douces
et bonnes productrices, et que nous réservions pour y prélever des cadres
d’élevage. Après avoir essayé avec du sable, puis un jet d’eau, de faire poser
l’essaim, celui-ci alla malheureusement s’installer au pied d’un poirier dans
le jardin d’un mauvais voisin, lequel est fâché avec tout son entourage. Sans
nous faire trop d’illusions quant à l’issue de notre démarche, nous allons
demander au voisin de bien vouloir nous laisser reprendre notre essaim. Trop
heureux d’une occasion de faire du mal, il nous répond : « L’essaim
est là, il y restera ». Voyant cela, nous allons tout de suite chercher un
garde, à qui l’entrée est également refusée. En désespoir de cause, l’huissier
est appelé. Au moment où il arrive, le voisin était fort occupé à noyer
l’essaim avec des arrosoirs d’eau et à le saupoudrer de soufre ; il continua
son beau travail, bien tranquillement, sous les yeux de l’huissier, qui n’eut
qu’à faire son constat, les jardins n’étant séparés que par un grillage.
Plainte au procureur de la République, jugement. Bref, le voisin fut condamné à
nous payer 4.000 francs de dommages pour la perte de l’essaim, plus à sa
charge 500 francs d’amende et les dépens. Il ne s’attendait sûrement pas à
cette leçon, ce bon monsieur qui, au contraire, croyait nous mettre en défaut
pour des prescriptions légales de distances ; heureusement pour nous, nous
étions en règle. Depuis ce temps-là, si nous n’avons pas son sourire, nous
avons au moins la paix ; nous ne lui en avons jamais demandé davantage.
Disons un mot en passant du piégeage des essaims, qui est
devenu une méthode économique et quelquefois malhonnête pour se procurer des
abeilles à peu de frais à l’aide de ruchettes-pièges enduites d’un produit
attire-essaims que l’on peut facilement fabriquer soi-même.
S’il pratique dans les lieux déserts et loin de tout rucher,
le piégeur ne captera que des essaims sans propriétaires et perdus ; mais
des praticiens sans scrupules en sont venus à tendre des pièges à proximité des
ruchers d’autrui, et d’autres à cueillir des essaims posés à proximité de ces
ruchers. C’est un vol qui est sévèrement puni par les lois.
Tout glaneur d’essaims doit admettre qu’un essaim abandonné
est toujours la propriété de quelqu’un, que ce soit l’apiculteur ou le
propriétaire du terrain. S’il s’en empare sans autorisation, il peut être
poursuivi pour vol. En conséquence, il doit s’enquérir si dans le voisinage de
l’essaim abandonné n’existe pas un rucher et, de plus, il doit se mettre en
rapport avec le propriétaire du terrain qui est devenu le propriétaire de
l’essaim abandonné.
Les apiculteurs n’étant pas toujours à même de surveiller
leurs ruchers éloignés, il leur est conseillé d’opposer l’écriteau suivant sur
leurs propriétés. « Tout ramassage d’essaim est interdit sur cette
propriété. » Après entente avec les voisins, de semblables écriteaux
peuvent être placés sur les terrains d’alentour. Ainsi l’apiculteur peut créer
autour du rucher une zone de protection. De plus, il y a intérêt à amorcer des
ruches vides, avec du produit attire-essaims, dans les environs immédiats des
ruchers à l’époque de l’essaimage na6turel. Ces ruches éviteraient la perte de
quelques essaims, et ce ne sera pas du temps perdu de les visiter de temps à
autre pour remplacer celles qui seront garnies.
Pour conclure, le piégeage des essaims dans les bois et loin
des ruchers ne porte préjudice à personne. On s’expose simplement à se faire
voler les ruches-pièges. Les convenances exigent que le piégeur demande
l’autorisation du propriétaire du fonds sur lequel il piège et qu’il avise le
garde champêtre pour plus de sécurité.
Roger GUILHOU,
Expert agricole.
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