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Le calendrier dans l’antiquité

Les mesures du temps en Nilotie

ÈS les temps les plus lointains de l’humanité, les hommes eurent une notion « inconsciente » de la mesure du temps.

Avant même les temps préhistoriques, caractérisés par leur connaissance du feu et de son emploi, les primitifs furent frappés des phénomènes astronomiques naturels les plus sensibles. Ils sont au nombre de trois : la nuit et le jour, les phases lunaires et les saisons solaires.

Petit à petit, l’homme se dégagea de ses entraves zoologiques d’animalité. L’intelligence succède à l’instinct, et le raisonnement se forme. Avec lui l’assimilation des faits observés se dessine, et il tente d’expliquer ceux-ci en fonction de ses connaissances bien élémentaires. Pour ces hommes, l’univers est limité aux espaces qu’ils habitent. Il n’est pas question de voyages autorisant des échanges d’idées. Tout est limité, quand une migration se produit, à de nouvelles remarques, mais ces déplacements sont de peu d’amplitude et se font à l’échelle des générations comme durée.

Ainsi chaque peuplement établira sa chronologie, son calendrier, selon les faits propres à sa région.

C’est ainsi que, pour les archéologues modernes restituant l’ambiance des civilisations anciennes, les Égyptiens paraissent avoir été les précurseurs des calendriers. Cependant il faut tenir compte que les sables de l’Égypte et la sécheresse du pays conservèrent mieux les documents gravés dans la pierre que ne le fit la Mésopotamie humide aux seules tablettes d’argile sèche gravée de caractères « cunéiformes », c’est-à-dire tracés avec un stylet, un coin de roseau taillé en biseau.

Ce serait, du reste, un contresens que de prendre le mot Égypte en son sens actuel, quand paraît la première mesure du temps. Autant vaudrait parler de la France en citant Vercingétorix. De même qu’ici l’on dit « Gaule », là il faut écrire « Nilotie », c’est-à-dire, d’une façon plus vague, « pays du Nil ». À cette époque, en effet, il n’y avait pas encore organisation sociale et donc nation.

Pour ces Nilotiques, tout était subordonné aux conditions matérielles de vie, c’est-à-dire aux très concrètes possibilités alimentaires du sol. Tout leur pays n’est autre qu’une étroite bande immensément fertile, chevauchant de part et d’autre des rives du Nil. Au delà, des deux côtés, c’est le désert immense et infini, avec toute sa stérile désolation.

Formant le plus grand contraste avec ces sables, les rives du Nil étaient d’une fertilité extraordinaire, car régulièrement, chaque année, avec une précision toute mathématique, la crue bienfaisante submergeait tout et déposait sur le sol un bienfaisant limon. Il ne restait plus aux habitants qu’à épandre leurs semences dès la décrue et attendre la récolte très hâtive sous un soleil haut et propice.

Dès le cinquième millénaire avant J.-C., soit il y a 7.000 ans pour nous, les paysans des diverses régions — les « fellahs des Nomes » en termes historiques — remarquèrent qu’à la hauteur du temple de Memphis le lit desséché du Nil se remplissait du « premier flot de l’eau nouvelle », selon une expression du temps, rapportée par les documents hiéroglyphiques.

C’était la certitude de la nourriture pour un an. Aussi les prêtres de leurs religions, en même temps administrateurs politiques et sociaux, décidèrent-ils de faire servir la crue comme point de départ de l’année. Ils le nommèrent le premier thot, ce qui correspond au 15 juin de notre calendrier actuel.

Les astronomes-astrologues nilotiques observèrent qu’à cette même date le lever de l’étoile la plus brillante de leur ciel, Sirius— leur Sothis-Isis, — coïncidait, à l’aube, avec le lever du soleil. Ils y virent une manifestation divine et, à ce que rapporte un texte des Pyramides, attribuèrent à Sothis-Isis « la création du renouveau de la végétation ».

Ce choix comme date de premier jour de l’année était parfait, car elle imposait la mise en train des travaux agricoles. Les prêtres-astrologues notèrent qu’entre deux « montées de Sothis », ce que les astro-physiciens modernes nomment le « lever héliaque », c’est-à-dire coïncidant avec Hélios, le soleil, il y avait 365 jours et autant de nuits, plus un quart de journée.

Pour les agriculteurs, ce quart de journée était sans intérêt, car ce sont les jours et les nuits et les saisons qui règlent l’activité. Il en résulta que, tous les quatre ans, il y avait un décalage d’un jour, et d’un mois tous les siècles environ. En peu d’années, on aboutit, entre la science théorique des prêtres et la notion de calendrier des usagers, à des contresens et des chevauchements agricoles. Les années civiles et celles religieuses ne venaient plus coïncider que tous les 1.460 ans. Les noms des trois saisons nilotiques, dénommées, selon les travaux ruraux : crue (akhet), végétation (pert), chaleur (shémon), n’avaient plus aucun caractère de définition.

En 236 avant J.-C., le pharaon Ptolémée III Énergète tenta en vain d’imposer une réforme par interposition, tous les quatre ans, d’un jour « épagomène » supplémentaire. L’impossibilité de réalisation prévint de l’absence de base de départ d’une ère, car la tradition était de recommencer les datations de millésimes avec l’avènement de chaque pharaon.

Les savants des temps modernes remarquèrent, dans leurs observations astronomiques, le même lever héliaque de Sothis, c’est-à-dire la coïncidence des levers du soleil et de Sirius. C’était en 139 de l’ère chrétienne. Connaissant la durée de 1.460 ans de ce cycle, il fut facile de rétablir par le calcul les dates de coïncidences antérieures : 1316, 2776, 4236, 5546. On les rapprocha des documents hiéroglyphiques et l’on découvrit ainsi, d’après un texte des Pyramides, que celles-ci étaient postérieures à 5546, car en cette époque les bâtisseurs nilotiques n’avaient pas encore la possession des connaissances architecturales qui furent appliquées à leur construction.

La date de 4236 est donc retenue comme celle la plus ancienne ayant fait l’objet de calculs des hommes de son époque.

Pour nous, en l’an 1950, milieu du XXe siècle, le 15 juin sera le premier thot de l’an 6186 de l’ère sothiaque des Nilotiques.

Janine CACCIAGUERRA

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 766