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Les réserves cynégétiques

On ne peut concevoir de repeuplement sans la protection connexe du gibier.

Cette protection ne peut être efficace que si, dans le temps, elle est assurée d’une manière permanente, en toutes saisons, en période d’ouverture comme en période de clôture de la chasse.

Si, dans l’espace, on ne peut l’envisager partout, on doit en concevoir la réalisation sporadique en des lieux judicieusement choisis qui doivent constituer les « réserves cynégétiques ».

La « réserve cynégétique » est donc, avant tout, un lieu de quiétude où le gibier trouvera aussi l’eau et la nourriture.

À la faveur de cette tranquillité, elle sera la terre d’asile où la faune cynégétique, vite adaptée, se réfugiera en cas de danger (et plus particulièrement pendant la période d’ouverture). Elle sera aussi la terre des amours du gibier sédentaire ou migrateur, qu’il choisira avant toute autre pour y installer son nid ou pour y mettre au monde sa progéniture.

Ainsi la réserve, lieu initial de reproduction, peut et doit devenir un lieu et un centre de rayonnement d’un gibier qui, à la recherche d’un espace vital plus étendu, va émigrer vers des lieux moins peuplés.

Telle est la fin même des réserves, que tous les techniciens sont d’accord à leur assigner, qu’elles soient de plaine, de bois ou de montagne.

Telle est aussi la fin des réserves qui ont été constituées en France avec une intensité accrue, mais encore insuffisante.

La plus récente, et peut-être la plus parfaite, est la réserve nationale de Chambord, que décrivait à cette même place (1) avec son talent d’écrivain si personnel, l’éminent auteur cynégétique, trop tôt disparu et dont je m’honore d’avoir été l’élève, que fut M. l’inspecteur général des Eaux et Forêts Pierre Salvat.

I. Les réserves cynégétiques sur le plan technique.

— Les critères essentiels auxquels doivent répondre les réserves de chasse au point de vue technique peuvent être résumés comme suit :

Contenance.

— La contenance de la réserve doit être au moins du dixième de la contenance totale de la chasse dans laquelle elle est créée.

Elle ne peut être inférieure :

—  à 20 hectares pour le gibier ordinaire (perdreaux, lièvres, faisans) ;
—  à 200 hectares pour les grands animaux (cerf, chevreuil, sika) ;

nombres au-dessous desquels la constitution d’une réserve serait illusoire dans ses effets.

Les réserves de grande étendue sont à recommander pour autant qu’elles peuvent être gardées et piégées. Il faut noter toutefois que « la richesse cynégétique d’une réserve est en raison directe de sa richesse agricole » et qu’en terroir riche, en conséquence, les excès ne sont pas toujours à rechercher. Il faut noter également que plusieurs petites réserves judicieusement réparties valent parfois mieux qu’une seule de grande étendue.

Limites.

— La réserve doit avoir des limites aussi simples, aussi naturelles et aussi réelles que possible.

Les routes, les chemins, les rivières, les ruisseaux, les marais, les lisières de bois sont à recommander. Ce sont là des signes suffisamment apparents sur le terrain pour n’être pas transgressés.

Situation.

— Elle doit être située, dans la plus large mesure du possible, au centre de la chasse dans laquelle elle est créée, à proximité d’une maison de garde ou d’une maison d’un exploitant forestier ou agricole intéressé à la chasse. Il est souhaitable, en effet, que la réserve, en sus de la surveillance particulière qu’elle exige, puisse être sous la vue quasi constante de gardes ou de personnes dévouées à la chasse.

Durée.

— La réserve est fixe ; elle doit être établie sur les mêmes lieux pour une durée de neuf années consécutives.

Eau.

— La réserve doit être traversée par des rivières ou par des ruisseaux qui ne s’asséchent pas pendant l’été.

À leur défaut, des étangs et des mares, à condition d’être suffisamment nombreux et également répartis, peuvent suffire.

Enfin, dans les ruisseaux à faible débit, s’asséchant pendant la saison chaude, la construction de barrages successifs, créateurs de biefs nombreux, peut permettre la permanence de l’eau.

Dans tous les cas, les berges des rivières, ruisseaux, étangs ou mares devront être aménagées par places discontinues pour que le gibier puisse s’y abreuver en toute facilité : le plan incliné au bas duquel sont placées de grosses pierres constitue l’aménagement type dans le genre.

Nourriture.

— La réserve doit renfermer les cultures nécessaires à la nourriture du gibier ; cette condition subsidiaire dans les terres riches est indispensable dans les terres pauvres.

Cette nourriture sera trouvée le plus souvent dans le cycle des assolements des terres de la réserve.

Dans les réserves à terres pauvres ou insuffisamment pourvues de terrains cultivés, des cultures de chasse peuvent être mises en œuvre sur des parcelles réservées à cet effet.

Les céréales à retenir pour ces cultures sont, d’après leur valeur cynégétique :

—  en tout premier lieu, le sarrasin (blé noir), très apprécié du faisan, mais aussi du lièvre et du chevreuil, et de tout le gibier à plumes, qu’il soit sédentaire ou de passage ; en terres pauvres, où le gibier ne peut trouver un gagnage suffisant, il doit être laissé sur pied ; en terres riches, il peut être coupé, mais aussi tardivement que possible ;

—  l’avoine, à condition de ne la récolter que très tardivement ou incomplètement ;
—  le moha, la céréale des terres maigres et légères.

Parmi les plantes sarclées, on doit surtout citer :

—  le topinambour, dont le couvert très dense fait un remarquable abri au gibier et dont la récolte tardive des tubercules ne lui est en rien nuisible ;
—  le trèfle ou la luzerne, à condition de ne pratiquer la première fauchaison qu’après la fin juillet d’en effectuer la coupe par fractions, par damiers échelonnés dans le temps (cette mesure est nécessaire pour écarter des dents de la faucheuse le plus grand nombre possible de couvées de perdreaux) ;
—  le pois lupin, qui a donné de très beaux résultats en Sologne ;
—  le maïs, partout où il peut arriver, même partiellement, à maturité ;
—  le tournesol, enfin, à condition qu’il soit en mélange avec les céréales.

Les assolements le plus souvent retenus pour les réserves de chasse dans le Centre de la France sont :

Sarrasin Sarrasin Sarrasin Sarrasin
Avoine Avoine Avoine Sarrasin
Topinambour Pois lupin Luzerne Avoine
    Luzerne Luzerne
      Luzerne

Dans les réserves pour grands animaux, l’emploi de pierres à sel (posées dans des fourches ou sur des troncs d’arbres), pierres à sel dont sont friands les ruminants, permet le cantonnement du gros gibier.

Remises et abris.

— La réserve doit renfermer les remises et les abris nécessaires au gibier.

Les remises, ce sont les champs de luzerne, de topinambours, de pommes de terre, de betteraves, etc., où le gibier (perdreaux, lièvres et faisans) doit trouver dès l’ouverture le refuge nécessaire.

Les abris, ce sont les bois, les haies, voire les friches déjà anciennes et en partie boisées, où le petit et le grand gibier doivent trouver en hiver protection contre le froid et aussi parfois une partie de leur nourriture. Les jeunes tailles sont, en l’espèce, à préférer aux vieux taillis comme les coupes de faible importance à celles de grande étendue.

Tranquillité.

— La réserve doit être, autant que possible, placée dans un endroit réputé par sa quiétude et sa tranquillité. La proximité de routes trop passagères, de chemins trop fréquentés, est un obstacle certain à la concentration du gibier. La proximité des villages, où les chiens et les chats sont toujours nombreux, ne peut être tolérée qu’exceptionnellement.

Garderie.

— La réserve doit être gardée et piégée par un garde digne de ce nom.

La surveillance y sera facilitée, le cas échéant, par la création de sentiers de ronde conduisant à des points d’observation (lisières de bois, sommets, etc.), d’où le garde « doit voir sans être vu ».

La destruction des animaux nuisibles par tous les moyens, et plus particulièrement par le piégeage, devra y être conduite toute l’année.

L’emploi des pièges à palettes sur des coulées n’y sera toutefois toléré qu’en janvier et février.

Un seul garde peut suffire pour la garderie et le piégeage d’une réserve pour le petit gibier de 200 hectares, ou d’une réserve pour les grands animaux de 600 hectares.

II. Les réserves cynégétiques sur le plan administrant.

— Il faut d’abord distinguer celles qui sont le fait de propriétaires particuliers ou de sociétés privées qui les ont délibérément et judicieusement créées sur leurs territoires de chasse.

Rien n’est à dire à leur endroit ; elles sont établies sans contrainte, par des initiés ; leurs résultats sont le plus souvent excellents.

Puis viennent les réserves de caractère plus administratif ; on peut les diviser en cinq groupes :

    a. Les réserves communales ;
    b. Les réserves intercommunales ;
    c. Les réserves départementales ;
    d. Les réserves nationales ;
    e. Les réserves domaniales.

a. Les réserves communales.

— Elles sont créées par les sociétés communales de chasse, sous leur seule responsabilité. Le président de la société communale est de droit directeur de la réserve.

La surveillance est assurée par la société communale, qui pourra, à titre exceptionnel, demander le concours des gardes de la fédération départementale ou faire appel à son aide financière.

b. Les réserves intercommunales.

— Elles sont créées par plusieurs sociétés communales de chasseurs dont les territoires sont contigus.

La surveillance incombe aux sociétés communales qui pourront éventuellement demander le concours des gardes de la fédération départementale ou faire appel à l’aide financière de ladite société.

c. Les réserves départementales.

— Elles sont créées par les fédérations départementales de chasseurs sur des territoires pour lesquels le droit de chasse aura été loué ou abandonné à ces sociétés pour une durée qui ne pourra pas être inférieure à neuf années.

Le président de la fédération départementale exerce la direction de la réserve.

La surveillance est assurée par les gardes de la société départementale, qui pourra, à titre exceptionnel, solliciter l’aide financière du Conseil supérieur de la chasse.

d. Les réserves nationales.

— Elles sont créées soit par l’État (administration des Eaux et Forêts), soit par le Conseil supérieur de la chasse, soit par des sociétés reconnues par le gouvernement et dotées de la personnalité civile.

Leur création fait l’objet d’un arrêté pris par M. le ministre de l’Agriculture, qui nomme les directeurs de ces réserves sur la proposition des administrations ou organismes intéressés.

Ces réserves, sauf dérogation exceptionnelle prononcée par M. le ministre de l’Agriculture, ne peuvent être constituées que sur des terrains appartenant à l’État, à des établissements publics ou à des communes.

L’administration et la garderie de ces réserves sont à la charge des personnes morales affectataires des réserves.

e. Les réserves domaniales.

— Elles sont créées par l’administration des Eaux et Forêts, dans les principaux massifs boisés dont elle a la charge.

La direction et la garderie en sont assurées par le Service forestier.

Tels sont les critères essentiels auxquels doivent répondre, sur le plan technique ou sur le plan financier, les réserves cynégétiques créées en France.

L’effort accompli n’est pas négligeable, puisque leur recensement, au 1er janvier 1949, fait ressortir leur nombre à 9.668 pour un total de 1.016.546 hectares.

Il faut toutefois souhaiter encore à leur endroit une augmentation quantitative et qualitative pour que la chasse en France vive et demeure la richesse nationale qu’elle a été dans le passé.

F. VIDRON.

(1) « Chambord », Le Chasseur Français, no 631, septembre 1949.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 771