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Un oiseau peu connu

Le tichodrome échelette

Voilà un oiseau que peu de chasseurs ornithologistes ont eu l’occasion de rencontrer en pays de plaine ; mais ceux qui explorent les grandes étendues rocheuses de nos montagnes le connaissent « surtout sous le nom de grimpereau de muraille. » C’est en effet un habitué des rochers les plus escarpés, qu’il explore méthodiquement dans leurs moindres crevasses, à la recherche de menus insectes. Pour progresser le long de ces parois, parfois verticales et très lisses, l’oiseau ne peut prendre appui sur sa queue comme le font les vulgaires grimpereaux.de nos arbres. Ses rectrices sont en effet assez courtes et peu résistantes. Il résout alors le problème d’une façon très élégante : il s’aide de ses ailes et il est vraiment curieux de voir un tichodrome se hisser avec célérité, collé à la roche, en s’appuyant sur les rémiges primaires de ses ailes déployées. C’est d’ailleurs un de nos plus jolis oiseaux indigènes, remarquable par la rare distinction de son plumage et l’originalité de ses mœurs. À peine de la taille d’un moineau, il a le dos d’une couleur gris-souris très fin, avec la gorge et le ventre noirs. Les grandes rémiges sont noires, marquées de lunules blanches près de leur extrémité. Toutes les couvertures, les scapulaires et la moitié basilaire des rémiges moyennes sont d’un rose rouge très vif, qui tranche agréablement sur le foncé de l’aile. La queue est noire, barrée de blanc à l’extrémité. Le bec, très long et très fin, est noir, ainsi que les tarses et les pieds qui portent des ongles très développés. L’hiver, le ventre et la gorge tournent au blanchâtre. Enfin, comme il est de règle dans le monde des oiseaux, la femelle présente des teintes un peu moins nettes.

Ce sont ces magnifiques couleurs qui ont fait surnommer cet oiseau par le naturaliste Girtanner : « la rose vivante des Alpes ». D’après nos ornithologistes les plus réputés, il est presque exclusivement cantonné dans les Alpes, les Cévennes et les Pyrénées. Ménégaux l’a signalé comme exceptionnellement de passage en Normandie et en Anjou.

C’est pourquoi on ne peut passer sous silence la présence de tichodromes en Dordogne, notamment dans le Bergeracois au début des hivers 1947 et 1948.

Il a d’abord été observé dans les falaises rocheuses de Baynac et sur les murailles de son célèbre château, puis le long des murs de la centrale hydro-électrique de Mauzac, au château de Lanquais et aux carrières avoisinantes (une capture en décembre 1947). Je l’ai vu progresser avec aisance le long des cheminées de la centrale électrique de Tuilerie, dont il a exploré tous les vitrages riches en moustiques et petites araignées, sans se soucier du bruit des machines ni des allées et venues du personnel. Il a aussi été vu en pleine ville de Beaumont et dans les rochers de Bayac (une capture en novembre 1948).

L’observateur le moins averti est tout de suite frappé par le vol très particulier du tichodrome, vol hésitant, peu soutenu, entrecoupé, rappelant celui de la chauve-souris ou d’un gros papillon auquel l’oiseau fait plutôt penser par sa forme et ses vives couleurs. Autre trait frappant des mœurs de ce petit passereau : son manque presque absolu de méfiance, qui permet de l’observer tout à loisir, et quelquefois lui est fatal ... quand un chasseur collectionneur le guette. J’ajouterai, pour être complet, que le tichodrome échelette (Tichodroma muraria) (Linné) appartient à la même famille que nos grimpereaux communs : les Certhiidés, et que c’est un oiseau à régime exclusivement insectivore et par conséquent très utile. Il est malheureusement peu commun, même dans la haute montagne, qu’il habite habituellement.

Sa présence dans nos régions est-elle purement accidentelle, provoquée peut-être par le manque de nourriture, ou quelque autre mobile inconnu ? Mais pourquoi la veine de migration aurait-elle suivi de préférence la vallée de la Dordogne, deux années de suite ?

Ne serait-il pas plus plausible d’admettre que ces oiseaux demeurent et se reproduisent dans les falaises abruptes de la haute Dordogne, soit par couples, soit en petite colonie ? De fait, il serait tout naturel qu’ils soient venus nous honorer de leurs incursions. Les tichodromes se sont-ils fixés ou ont-ils été observés en d’autres points de France, éloignés des montagnes ? C’est ce que pourront nous apprendre, grâce à la grande diffusion du Chasseur Français, quelques lecteurs qui auraient eu l’occasion de rencontrer ce charmant passereau. Mais je m’aperçois que j’ai empiété un peu dans le domaine de M. Pierre Mélon, qui connaît si bien la faune de nos Alpes. J’espère qu’un jour ses observations viendront compléter les miennes dans ces colonnes, quand il nous décrira les mœurs des tichodromes, non dépaysés comme les miens, mais dans leur patrie d’élection.

Pierre ARNOUIL

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 777