La dernière migration de sangliers a sans doute
laissé en nos bois et couverts assez de rescapés pour qu’il y ait lieu de
s’intéresser aux chiens courants propres à leur chasse à tir. En de nombreuses
régions du pays, la chasse aux roquets est tout à fait ignorée. Par conséquent,
partout ailleurs seuls les chiens courants servent à tirailler le sanglier. Il
y a donc lieu de rechercher quels sont les plus recommandés.
On peut éliminer immédiatement les bassets lourds et
lents pour manque d’agilité et de train. Une fois lancé, le sanglier ne musarde
pas et file immédiatement à bonne allure, prenant sur les suivants dénués de
vitesse une avance considérable promptement muée en forlonger.
Si d’aventure un personnage de mauvaise humeur ne veut pas
quitter la bauge et charge ces gros toutous, la casse est à prévoir. Elle est
aussi probable et même certaine avec les très grands chiens courageux, et de
tous points excellents, tels qu’étaient les vendéens-nivernais de M. E. Coste.
Pour avoir vu quelques catastrophes sanglantes dont ils furent victimes dans
des couverts, je demeure partisan du chien de taille moyenne, voire réduite.
Un lieutenant de louveterie, dont les succès aux expositions
et aux épreuves de petite vénerie sont notoires, chasse depuis des années le
sanglier à tir et, avec les mêmes beagles, pratique le courre du lièvre. Le
train et l’agilité du beagle de 0m,40 environ sont très indiqués
pour l’exercice de notre sport, d’autant que ce petit chien si doux et
caressant pour son maître est volontiers batailleur, donc courageux. Avec ses
congénères, il n’est pas tendre et les animaux sujets à réactions ne
l’intimident pas. La chasse du sanglier comporte l’usage du chien ignorant la
crainte, sachant tenir le ferme autrement qu’aux prudentes distances. Sa taille
réduite et son agilité assurent largement sa sécurité, aidant singulièrement à
soutenir son courage. La preuve est faite, en tout cas, que le beagle, dit de
grande taille, possède les qualités voulues. Il présente en plus l’avantage
d’être largement à l’abri de la casse.
Son dérivé, le beagle-harrier, dont la physionomie vire de
plus en plus au harrier de taille réduite, au-dessous de 0m,50 pour
un grand nombre, plus vite, très agile aussi, courageux plus encore peut-être
en vertu de sa parenté avec le harrier dérivé du fox-hound, fait un excellent
chien à sanglier. Ses produits avec les briquets de pays, généralement assez
intrépides eux aussi, se révèlent très bons. Pour avoir chassé plusieurs années
avec ces chiens croisés, j’ai pu apprécier leur qualité. Mais un lot de
compagnons de cette sorte furieusement chasseurs est malaisé à arrêter pour des
hommes à pied. Il comporte le secours d’un cavalier au moins en prévision d’un
débucher à longue distance. C’est ainsi que j’ai vu, en l’absence de cet
auxiliaire, un modeste équipage traverser la moitié d’un département après une
petite laie. Les chiens rentrèrent peu à peu dans les quarante-huit heures,
sauf deux qu’on ne revit plus.
Plus tenaces peut-être encore les croisés de briquets
vendéens et de griffons locaux, tous chiens extrêmement chasseurs, parmi
lesquels d’enragés sur le sanglier. Après la première guerre, il ne demeurait
guère de chiens un peu partout, on cueillait ce qu’on trouvait. Beaucoup de
très et de trop mordants parmi ces porteurs de poil rude. C’est pourquoi, en
dépit de leur taille relativement réduite (peu d’entre eux dépassent 0m,55),
beaucoup des meilleurs se faisaient tuer. Les arrêter quand il le fallait était
un problème, même quand il ne s’agissait que de quatre ou cinq de ces
gaillards.
L’intrépidité des griffons est d’ailleurs légendaire ;
les nivernais que nous avions autrefois dans ma région, au temps où les
vendéens-nivernais y étaient nombreux, ne leur cédaient en rien. Moins grands
et moins volumineux, ils se tiraient mieux des mauvais pas. Le nivernais,
spécialiste du sanglier, est certainement parmi les chiens de taille déjà
importante celui qui connaît le mieux la tactique de la chasse au sanglier au
moment de l’abordage. Le sanglier n’est sans doute pas la bête féroce d’une
certaine littérature, toutefois il faut compter un jour ou l’autre sur l’humeur
quinteuse de celui qui chargera les chiens et plus rarement l’homme. C’est
pourquoi il faut des chiens sachant combattre et adroitement, ne se laissant
pas intimider ou tuer sottement. Le nivernais, régénéré tel qu’il est
maintenant, est bien le compagnon rêvé du tireur de sangliers, même en nombre
réduit à l’extrême.
Feu le chien d’Artois véritable, c’est-à-dire non croisé de
normand, était, j’en parle par expérience, un excellent chien à sanglier, très
courageux, n’ayant peur de rien, tenant bien le ferme, très complet, chassant
en chien d’ordre, ce qui ne gâte rien. On a eu l’idée stupide, pour l’embellir
d’une oreille roulée, de le croiser avec le lourd normand, pour faire
l’artésien-normand, lui-même à peu près défunt, sans qu’il y ait lieu d’en être
surpris. Ces gros chiens de 0m,60 et plus chassaient sans doute,
mais lentement, scrupuleusement. Vu leur manque de train et leur volume, ils
n’étaient nullement à la page, ni pour rien en somme, et c’est pourquoi ils se
sont effacés. Leurs uniques descendants sont quelques issus de croisements avec
le harrier, parmi lesquels de jolis chiens bien dégagés qui leur sont
certainement très supérieurs.
Les porcelaines, très nombreux dans l’Ouest, entre 1893 et
1914, plus ou moins modifiés par alliances avec le harrier du Somerset, il faut
le dire, étaient de merveilleux rapprocheurs, suivant le sanglier le nez haut.
C’étaient des chiens excellents dont on ne déplorera jamais assez la
disparition. Avec eux, sauf peut-être les demi-sang plus mordants, pas de
dégâts à redouter ; ils tenaient le ferme à distance, et j’avoue ne pas le
regretter, car cela eût été une pitié de voir massacrer d’aussi jolis et bons
chiens. Le croisement pratiqué in fine avec le Chambray donna de
forts sujets de 0m,60 et au delà, décoratifs à souhait, mais dont
nous n’eûmes pas beaucoup l’occasion d’étudier les talents sur le sanglier lors
de la grande migration de 1918-1919. La plupart d’entre eux avaient disparu
durant la guerre, et les survivants ne laissèrent pas de postérité de valeur.
Leurs dimensions excessives les rendaient plus ou moins impropres à la chasse
du lièvre comme à celle à tir du sanglier. Il faut attribuer, pour une large
part, à ce fâcheux croisement l’abandon de la race en notre région.
Il reste, sans aucun doute, d’autres races françaises
propres à la chasse à tir du sanglier ; mais s’impose-t-il de risquer de
charmants ariégeois ou de jolis petits bleus de Gascogne, pas si nombreux qu’il
le faudrait, lorsqu’on dispose de gaillards que leur taille réduite pour les
uns, leur agilité et leur adresse pour les autres, tiennent largement à
l’abri ?
Le souci d’épargner la vie des chiens de valeur s’est
toujours manifesté, même parmi les veneurs. Au temps où la vénerie était en
pleine prospérité, il y a seulement une trentaine d’années, elle faisait grande
consommation pour le courre du sanglier de fox-hounds acquis à petit prix et de
leurs dérivés les moins distingués. C’est un désir très légitime qui anime le
chasseur soucieux de la conservation de ses chiens et qu’impressionne la vue de
ces massacres dont le spectacle est assez répugnant. L’agilité et la taille
réduite des chiens y parent dans une large mesure. Comme on l’a vu, il ne
manque pas de races propres à les produire et c’est à elles qu’il est sage de
s’adresser.
À ceux qui douteraient de l’influence que peut avoir la
taille sur les pertes à prévoir, j’expose en terminant ce que me contait, il y
a quelques années, un chasseur aux mâtins. Ayant débuté avec des airedales,
moyennant une casse considérable, il avait adopté une famille de fox-terriers à
poil dur, de 0m,40 environ, dont il tirait exactement les mêmes
avantages, tout en évitant pratiquement les pertes ou même les accidents.
Enfin, la lecture de récents ouvrages traitant des chasses exotiques montre à
quel point les chiens de grande taille sont plus exposés vis-à-vis d’animaux
dangereux, alors que s’en tirent les petits chiens, tel l’irish-terrier du
fameux Marcus Dally, dont les exploits sont à peine croyables. Toute cette
littérature passionnerait certainement les lecteurs de cette revue. Qu’ils se
souviennent seulement que, contre bête éventuellement dangereuse, petit chien
est préférable.
R. DE KERMADEC.
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