Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°634 Décembre 1949  > Page 784 Tous droits réservés

Le chien d’arrêt

Métissage et sélection

Dans le but de donner plus de vitesse aux chiens d’arrêt continentaux, on les allège, on amincit leurs formes, on modifie leur ossature (1), sans se préoccuper du résultat inéluctable, plus sûr encore que celui d’augmenter le train, qui est de transformer leurs caractères moraux. On y parvient le plus généralement par métissage avec la volonté non seulement d’agir sur le moral, sur le tempérament, ce qui est l’œuvre de la retrempe (laquelle procède généralement du désir de conserver le type de la race retrempée), mais aussi et peut-être surtout sur le physique. La race ainsi modifiée, moralement et physiquement, est souvent assez différente de l’ancienne pour qu’on éprouve le besoin d’adapter son standard à ces transformations. C’est donc bien de métis qu’il convient de parler ; car, même si la lettre du standard est respectée, on joue sur l’interprétation de son esprit. Métissage ou retrempe sont œuvre de longue haleine, délicate, difficile, nécessitant des connaissances étendues, de la patience, du temps et des moyens matériels réservés à une élite, donc à une faible minorité d’éleveurs. Ces procédés sont un danger entre des mains inaptes à les employer. Car, si faire un croisement est à la portée de tout le monde, obtenir par ce croisement le caractère désiré est beaucoup plus difficile ; le maintenir et le rendre transmissible, c’est-à-dire fixé, est une œuvre relevant des créations de l’art.

Mais, si la création de races nouvelles, ou la transformation de races existantes, peut tenter certains cynologues, elle ne justifie pas la destruction systématique et généralisée des autres. Or, en faisant évoluer la plupart de nos races françaises vers un modèle différent de celui qui le caractérise, on les détruit. On les détruit, parce que cette transformation a pour objet d’en modifier le squelette, la forme de la tête, des oreilles, des rayons. Il s’agit de les alléger pour leur donner plus de vitesse ou réduire leur volume, l’un prétendant aller généralement avec l’autre. En opérant par croisement on transforme ainsi assez facilement le physique ; mais, qu’on le veuille ou non, on transforme aussi le moral, et notamment on amenuise certaines aptitudes naturelles, souplesse, facilité de dressage, ténacité sur le gibier piétard, rapport et résistance. Beaucoup d’utilisateurs de chiens continentaux ne sont pas convaincus qu’on ait ainsi amélioré leurs races. Car, enfin, la majorité des chasseurs chasse ailleurs qu’en Beauce, et ce n’est pas par fantaisie, mais par nécessité, que les Auvergnats et les Gascons ont toujours préféré des chiens de bonne taille et bâtis en athlètes pour chasser sur des flancs abrupts, dans les fougères, les hautes friches et les millets. Les besoins sont aussi variés que les goûts ; mais est-ce une raison pour tous les aligner sur ceux d’une minorité, qui, généralement, est étrangère au berceau ancestral de la race où celle-ci se maintient la plus pure, signe évident de la raison d’être de ses caractères ? N’est-ce pas dans le Plateau Central que se rencontrent les braques d’Auvergne les plus purs et les plus nombreux ? N’est-ce pas en Gascogne que se trouvent les purs braques français ?

Il n’est pas douteux que la diversité de nos terrains crée en chaque région des exigences différentes, et dans chaque région elles peuvent varier aussi, tant est diverse la nature des terrains, des cultures et aussi des tempéraments des chasseurs. Vouloir standardiser toutes les races en un modèle uniforme serait aberration ; vouloir les adapter aux besoins de chacun par métissage serait une gageure et ne pourrait aboutir qu’à leur disparition.

Or, dans le temps, l’adaptation et la transformation des races se sont faites naturellement à la demande de la pratique, des terrains et des mœurs du gibier. La sagesse eût voulu que l’on continuât à s’en tenir à l’ordre naturel plutôt que de le violenter et à chercher les évolutions nécessaires par sélection. Elle eût suffi pour fixer dans la plupart des races des chiens trotteurs et des chiens galopeurs, des variétés de grande et de petite taille. Car les races canines, comme la race humaine, produisent des sujets non seulement d’allures différentes, mais aussi des petits et des grands. Il aurait donc suffi d’orienter la sélection dans le sens de l’allure et, si on l’eût jugé utile, dans celui de la taille, pour obtenir des variétés répondant aux goûts et aux besoins de tous, en conservant les précieux caractères moraux.

Mais, dira-t-on, ce n’est pas seulement l’allure qu’il convenait d’améliorer, c’était aussi le nez. C’est encore un de ces slogans à la mode qui reprochent aux continentaux de manquer de moyens olfactifs pour la chasse actuelle (gibier clairsemé et léger) ; mais il suffit d’avoir utilisé plusieurs continentaux — et non un seul qui par hasard était justement déficient, comme il arrive en toutes races — pour affirmer qu’ils n’ont nullement besoin d’un apport étranger pour développer leur odorat. Il est même hors de doute que tout continental de bonne famille n’a rien à envier aux étrangers à ce point de vue et que l’amélioration du nez ne constitue pas un problème, mais un simple objectif, inhérent à tout élevage, élever consistant non seulement à maintenir, mais à toujours perfectionner.

Quoi qu’il en soit, même si l’amélioration des moyens olfactifs s’était imposée dans certaines familles, pas plus que pour améliorer le train, il n’était nécessaire d’abîmer les races, ou de les transformer tant au physique qu’au moral. Il suffisait de procéder par sélection, d’allier entre eux les sujets présentant les caractères recherchés. Ce travail eût été d’abord moins long, moins difficile que celui de la retrempe ou du métissage ; il eût, dans tous les cas, été plus intéressant et plus profitable. Or, si certains éleveurs ont toujours fait et font encore de la sélection, il semble que celle-ci se fasse toujours à sens unique, dans celui du nez ou celui du type, et qu’elle ait peu porté sur l’allure comme principal objectif. Un éleveur de braques français, dont la science, l’expérience et la sagacité n’ont d’égal que la modestie (c’est pourquoi nous taisons son nom) nous a prouvé les résultats que l’on peut attendre de cette sélection complète. Continuant l’élevage de son père, qui débuta vers 1875, sans jamais faire appel à un sang étranger, conservant pure sa famille de braques français, il a réussi à en dissocier les deux courants de tempérament : trotteurs et galopeurs. Ne travaillant que pour lui-même et ses amis (il ne vend pas de chiens, mais les donne), et pensant que chacun de ces deux courants avait sa raison d’être, il les a spécialisés, au gré des convenances de son terrain et de son gibier, les trotteurs sur la bécassine et le perdreau, les galopeurs sur la caille et la bécasse. Cette spécialisation aurait pu être inversée ailleurs ; mais ce qu’illustre cet exemple, c’est d’abord que, pour obtenir le maximum des caractères d’un chien d’arrêt, il convient qu’ils soient adaptés au terrain et au gibier auxquels on le destine. Bien des chasseurs l’oublient en utilisant des auxiliaires sans se préoccuper de leurs aptitudes particulières. Cet exemple montre aussi que la vérité n’est pas universelle, celle des uns n’est pas celle des autres, celle d’ici n’est pas celle d’ailleurs et, si la vitesse — entendons le galop — est une vertu en tel lieu, sur tel gibier, pour tel chasseur, le trot en est une également pour d’autres. C’est donc une erreur d’orienter tous les chiens vers la vitesse unique. Enfin, cela nous montre que, par la seule sélection bien comprise, un éleveur digne de ce nom, ayant un peu de temps devant lui et quelques ressources matérielles, peut arriver à fabriquer exactement le chien de ses désirs.

On préfère, et c’est en apparence plus facile, décider d’abord que la vitesse est seule vérité ; c’est déjà supprimer une difficulté. Pour obtenir plus rapidement ce but unique, on érige le métissage au rang d’une institution nationale. Le résultat est que, tout propriétaire d’une chienne se prétendant éleveur, le premier venu se croit habilité à faire des croisements. Or, comme la plupart vendent les chiots au sevrage, ils ne font pas de sélection. Si, par surcroît, ils mettent ces produits sur le marché comme de race pure, ces prétendus rénovateurs des races en sont les fossoyeurs.

Si l’on avait fait comprendre aux amateurs que la sélection dans la race est le seul et le plus sûr moyen de l’améliorer, au lieu de leur faire espérer des merveilles d’alliances hasardeuses, le métissage et la retrempe seraient restés, ainsi qu’ils auraient toujours dû l’être, réservés à une élite de véritables éleveurs. Et l’on ne verrait pas alors des gens de bonne foi vous présenter, l’ayant payé fort cher sur la foi d’un faux pedigree, un étrange petit griffon fils d’épagneul breton ou un braque rappelant le sloughi.

Et nos continentaux conserveraient non seulement leur vrai physique et leur moral, mais aussi leur réputation, que l’on risque de compromettre en prétendant la confirmer.

Jean CASTAING.

(1) Voir Le Chasseur Français de novembre 1949.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 784