Dans le but de donner plus de vitesse aux chiens d’arrêt
continentaux, on les allège, on amincit leurs formes, on modifie leur ossature (1),
sans se préoccuper du résultat inéluctable, plus sûr encore que celui
d’augmenter le train, qui est de transformer leurs caractères moraux. On y
parvient le plus généralement par métissage avec la volonté non seulement
d’agir sur le moral, sur le tempérament, ce qui est l’œuvre de la retrempe
(laquelle procède généralement du désir de conserver le type de la race retrempée),
mais aussi et peut-être surtout sur le physique. La race ainsi modifiée,
moralement et physiquement, est souvent assez différente de l’ancienne pour
qu’on éprouve le besoin d’adapter son standard à ces transformations. C’est
donc bien de métis qu’il convient de parler ; car, même si la lettre du
standard est respectée, on joue sur l’interprétation de son esprit. Métissage
ou retrempe sont œuvre de longue haleine, délicate, difficile, nécessitant des
connaissances étendues, de la patience, du temps et des moyens matériels
réservés à une élite, donc à une faible minorité d’éleveurs. Ces procédés sont
un danger entre des mains inaptes à les employer. Car, si faire un croisement
est à la portée de tout le monde, obtenir par ce croisement le caractère désiré
est beaucoup plus difficile ; le maintenir et le rendre transmissible,
c’est-à-dire fixé, est une œuvre relevant des créations de l’art.
Mais, si la création de races nouvelles, ou la
transformation de races existantes, peut tenter certains cynologues, elle ne
justifie pas la destruction systématique et généralisée des autres. Or, en
faisant évoluer la plupart de nos races françaises vers un modèle différent de
celui qui le caractérise, on les détruit. On les détruit, parce que cette
transformation a pour objet d’en modifier le squelette, la forme de la tête,
des oreilles, des rayons. Il s’agit de les alléger pour leur donner plus de
vitesse ou réduire leur volume, l’un prétendant aller généralement avec
l’autre. En opérant par croisement on transforme ainsi assez facilement le
physique ; mais, qu’on le veuille ou non, on transforme aussi le moral, et
notamment on amenuise certaines aptitudes naturelles, souplesse, facilité de
dressage, ténacité sur le gibier piétard, rapport et résistance. Beaucoup
d’utilisateurs de chiens continentaux ne sont pas convaincus qu’on ait ainsi
amélioré leurs races. Car, enfin, la majorité des chasseurs chasse ailleurs
qu’en Beauce, et ce n’est pas par fantaisie, mais par nécessité, que les
Auvergnats et les Gascons ont toujours préféré des chiens de bonne taille et
bâtis en athlètes pour chasser sur des flancs abrupts, dans les fougères, les
hautes friches et les millets. Les besoins sont aussi variés que les
goûts ; mais est-ce une raison pour tous les aligner sur ceux d’une minorité,
qui, généralement, est étrangère au berceau ancestral de la race où celle-ci se
maintient la plus pure, signe évident de la raison d’être de ses
caractères ? N’est-ce pas dans le Plateau Central que se rencontrent les
braques d’Auvergne les plus purs et les plus nombreux ? N’est-ce pas en
Gascogne que se trouvent les purs braques français ?
Il n’est pas douteux que la diversité de nos terrains crée
en chaque région des exigences différentes, et dans chaque région elles peuvent
varier aussi, tant est diverse la nature des terrains, des cultures et aussi
des tempéraments des chasseurs. Vouloir standardiser toutes les races en un
modèle uniforme serait aberration ; vouloir les adapter aux besoins de
chacun par métissage serait une gageure et ne pourrait aboutir qu’à leur
disparition.
Or, dans le temps, l’adaptation et la transformation des
races se sont faites naturellement à la demande de la pratique, des terrains et
des mœurs du gibier. La sagesse eût voulu que l’on continuât à s’en tenir à
l’ordre naturel plutôt que de le violenter et à chercher les évolutions
nécessaires par sélection. Elle eût suffi pour fixer dans la plupart des races
des chiens trotteurs et des chiens galopeurs, des variétés de grande et de
petite taille. Car les races canines, comme la race humaine, produisent des
sujets non seulement d’allures différentes, mais aussi des petits et des
grands. Il aurait donc suffi d’orienter la sélection dans le sens de l’allure
et, si on l’eût jugé utile, dans celui de la taille, pour obtenir des variétés
répondant aux goûts et aux besoins de tous, en conservant les précieux
caractères moraux.
Mais, dira-t-on, ce n’est pas seulement l’allure qu’il
convenait d’améliorer, c’était aussi le nez. C’est encore un de ces slogans à
la mode qui reprochent aux continentaux de manquer de moyens olfactifs pour la
chasse actuelle (gibier clairsemé et léger) ; mais il suffit d’avoir
utilisé plusieurs continentaux — et non un seul qui par hasard était
justement déficient, comme il arrive en toutes races — pour affirmer
qu’ils n’ont nullement besoin d’un apport étranger pour développer leur odorat.
Il est même hors de doute que tout continental de bonne famille n’a rien à
envier aux étrangers à ce point de vue et que l’amélioration du nez ne
constitue pas un problème, mais un simple objectif, inhérent à tout élevage,
élever consistant non seulement à maintenir, mais à toujours perfectionner.
Quoi qu’il en soit, même si l’amélioration des moyens
olfactifs s’était imposée dans certaines familles, pas plus que pour améliorer
le train, il n’était nécessaire d’abîmer les races, ou de les transformer tant
au physique qu’au moral. Il suffisait de procéder par sélection, d’allier entre
eux les sujets présentant les caractères recherchés. Ce travail eût été d’abord
moins long, moins difficile que celui de la retrempe ou du métissage ; il
eût, dans tous les cas, été plus intéressant et plus profitable. Or, si
certains éleveurs ont toujours fait et font encore de la sélection, il semble
que celle-ci se fasse toujours à sens unique, dans celui du nez ou celui du
type, et qu’elle ait peu porté sur l’allure comme principal objectif. Un
éleveur de braques français, dont la science, l’expérience et la sagacité n’ont
d’égal que la modestie (c’est pourquoi nous taisons son nom) nous a prouvé les
résultats que l’on peut attendre de cette sélection complète. Continuant
l’élevage de son père, qui débuta vers 1875, sans jamais faire appel à un sang
étranger, conservant pure sa famille de braques français, il a réussi à en
dissocier les deux courants de tempérament : trotteurs et galopeurs. Ne
travaillant que pour lui-même et ses amis (il ne vend pas de chiens, mais les
donne), et pensant que chacun de ces deux courants avait sa raison d’être, il
les a spécialisés, au gré des convenances de son terrain et de son gibier, les
trotteurs sur la bécassine et le perdreau, les galopeurs sur la caille et la
bécasse. Cette spécialisation aurait pu être inversée ailleurs ; mais ce
qu’illustre cet exemple, c’est d’abord que, pour obtenir le maximum des caractères
d’un chien d’arrêt, il convient qu’ils soient adaptés au terrain et au gibier
auxquels on le destine. Bien des chasseurs l’oublient en utilisant des
auxiliaires sans se préoccuper de leurs aptitudes particulières. Cet exemple
montre aussi que la vérité n’est pas universelle, celle des uns n’est pas celle
des autres, celle d’ici n’est pas celle d’ailleurs et, si la vitesse
— entendons le galop — est une vertu en tel lieu, sur tel gibier,
pour tel chasseur, le trot en est une également pour d’autres. C’est donc une
erreur d’orienter tous les chiens vers la vitesse unique. Enfin, cela nous
montre que, par la seule sélection bien comprise, un éleveur digne de ce nom,
ayant un peu de temps devant lui et quelques ressources matérielles, peut
arriver à fabriquer exactement le chien de ses désirs.
On préfère, et c’est en apparence plus facile, décider
d’abord que la vitesse est seule vérité ; c’est déjà supprimer une
difficulté. Pour obtenir plus rapidement ce but unique, on érige le métissage
au rang d’une institution nationale. Le résultat est que, tout propriétaire
d’une chienne se prétendant éleveur, le premier venu se croit habilité à faire
des croisements. Or, comme la plupart vendent les chiots au sevrage, ils ne
font pas de sélection. Si, par surcroît, ils mettent ces produits sur le marché
comme de race pure, ces prétendus rénovateurs des races en sont les fossoyeurs.
Si l’on avait fait comprendre aux amateurs que la sélection
dans la race est le seul et le plus sûr moyen de l’améliorer, au lieu de leur
faire espérer des merveilles d’alliances hasardeuses, le métissage et la
retrempe seraient restés, ainsi qu’ils auraient toujours dû l’être, réservés à
une élite de véritables éleveurs. Et l’on ne verrait pas alors des gens de
bonne foi vous présenter, l’ayant payé fort cher sur la foi d’un faux pedigree,
un étrange petit griffon fils d’épagneul breton ou un braque rappelant le
sloughi.
Et nos continentaux conserveraient non seulement leur vrai
physique et leur moral, mais aussi leur réputation, que l’on risque de
compromettre en prétendant la confirmer.
Jean CASTAING.
(1) Voir Le Chasseur Français de novembre 1949.
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