Je m’excuse de consacrer une troisième et dernière chronique
au saumon que, certainement, peu de lecteurs ont eu l’occasion de capturer.
On ne le rencontre plus, en effet, en France, avec une
abondance relative, que dans le gave d’Oloron, la Nive, la Loire, l’Allier, la
Canche dans le Pas-de-Calais et les rivières bretonnes et normandes
ci-après : la Sienne, la Sée et la Sélune en Normandie, l’Ellé, le Trieux,
l’Aulne et le Scorff en Bretagne.
Rarement, on en capture quelques exemplaires dans la Somme,
l’Authie, l’Orne, la Vire, le Blavet et quelques autres cours d’eau bretons, et
la Nivelle qui se jette à Saint-Jean-de-Luz. Il y en a également dans le Rhin
et la Bidassoa, eaux frontalières. Il n’y en a pas dans les cours d’eau
méditerranéens.
C’est sous nos yeux que les barrages hydroélectriques l’ont
fait disparaître de nombreuses rivières, puisqu’il y a trente ans à peine on le
capturait en abondance dans la Gartempe, dans la Dordogne, dans la Garonne et
dans le gave de Pau.
Nous avons vu, dans une chronique récente, que les Eaux et
Forêts l’avaient réacclimaté ces dernières années dans les gaves d’Aspe et
d’Ossau en construisant des échelles efficaces et sont en train de le réacclimater
dans le gave de Pau. D’autres projets de réacclimatation sont déjà dressés ;
espérons qu’ils seront prochainement réalisés.
Comment pêche-t-on le saumon à la ligne, puisqu’il est
démontré que, pendant les six ou huit mois de son séjour en rivière, il ne peut
se nourrir ? Il est frappé d’anorexie, son estomac est rétréci, ses
glandes digestives sont non fonctionnelles, et jamais l’autopsie n’a révélé la
présence d’aliments dans son tube digestif. On admet que, soit par irritation,
soit par réflexe de chasseur, il attaque les leurres qui viennent le provoquer
ou lui rappeler les crevettes et poissons dont il se nourrissait en mer.
Au printemps, au début de sa montée et jusqu’aux premières
chaleurs, on pourra le prendre à la grosse cuillère tournante ou ondulante, ou
au gros devon métallique. Il faut un plombage d’environ 20 à 30 grammes
pour les rivières à cours rapide. Signalons l’habitude, au gave d’Oléron,
d’habiller le devon d’un « pyjama » constitué d’un morceau de tuyau
en caoutchouc de couleur rose ou rouge.
Les chaleurs arrivées, on n’aura de chances qu’à la grosse
mouche artificielle, ou à la crevette. Aux grosses chaleurs, après les pluies
d’orage, le saumon est parfois sensible au paquet de gros vers. Signalons que
le saumon mord après les orages, quand l’eau commence à baisser et à
s’éclaircir.
Le matériel, qui était autrefois le gros moulinet tournant,
est de plus en plus délaissé au profit du moulinet à tambour fixe de fortes
dimensions, portant un nylon de 40/100 ou 50/100. Pour la mouche, la canne
importe moins ; un gros bambou peut à la rigueur suffire, mais il faut une
forte soie, si possible à double fuseau.
Que le novice, évidemment, se garde bien de partir à la
pêche au saumon sans avoir au préalable longuement observé les pêcheurs
expérimentés. Qu’il étudie leur matériel, qu’il apprenne à connaître les pools
ou coups où se tiennent les saumons et, si possible, le niveau d’eau auquel tel
ou tel pool est bénéfique. Et, surtout, qu’il voie, avant de se lancer, comment
un pêcheur expérimenté, après vingt minutes ou une demi-heure de combat où la
moindre faute se paie immédiatement d’une casse ou d’un décrochage, amène un
saumon de 8 à 10 kilogrammes, épuisé, à ses pieds et le harponne
prestement d’un coup de gaffe bien placé. Car la gaffe est indispensable. Et je
lui souhaite d’avoir près de lui, à sa première touche, un ancien qui dirige
son combat et porte le coup de gaffe à la victime.
Un dernier mot sur la chair du saumon, qui a, bien entendu,
la couleur rose « saumoné » caractéristique dans le poisson qui vient
de quitter la mer, et dont les muscles en bonne forme contiennent de fortes
réserves de graisses imbibées de pigments roses.
Au fur et à mesure de son séjour en rivière, le saumon
— qui ne mange rien — maigrit et épuise ses réserves. Après la fraie,
le saumon, dit bécard ou charognard, n’offre qu’une chair molle et blanchâtre,
de goût bien médiocre. Aussi veillez, lorsque vous achetez du saumon dont le
prix atteint 2.000 francs le kilogramme, à ce que sa chair soit bien rosée
et non blanchâtre. Car à la dégustation vous seriez déçu.
Dans le Rhin, et surtout dans le gave d’Oloron, les Eaux et
Forêts ont des stations de capture qui leur procurent des œufs de saumon qui
sont ensuite mis en incubation dans des piscicultures. Il est donc possible de réacclimater
le saumon dans une rivière désertée par lui, en construisant d’abord des
échelles aux barrages qui ont tué la migration, et en déversant ensuite de
jeunes alevins de saumons.
Les Eaux et Forêts peuvent fournir les œufs de saumon, et le
Conseil supérieur de la pêche les subventions nécessaires à la construction des
échelles.
DELAPRADE.
|