L’été 1949, avec les championnats du monde cyclistes,
me fut l’occasion de voyager au Danemark dont on gagne la capitale, Copenhague,
en deux heures trente-trois minutes par avion ; en vingt-quatre ou
quarante-huit heures par auto selon qu’on dort ou non ; en une semaine, au
moins, à bicyclette.
Notre pays n’y a pas glané de particuliers lauriers, en
dehors d’une très belle deuxième place du jeune Normand Bellenger, et d’une
quatrième de la part du presque vétéran Louis Gérardin, chez les sprinters. Je
ne me déclare point en état de débattre cette cause, dite sportive, cette
nécessité devant laquelle l’opinion place nos coureurs de gagner envers et
contre les meilleurs. Me contenterai-je de faire remarquer que notre complexe
de supériorité nous porte à ne pas admettre que nous puissions être
battus ? ... À croire que nous sommes seuls dans le monde.
Dès lors, à quoi bon des courses et championnats ?
Autant décerner, tout de suite, la palme à nos favoris et n’aligner leurs
camarades étrangers que pour les places « à suivre ». Il resterait,
certes, à déterminer ces favoris. Et c’est bien là où nous rigolerions entre
Belges, Italiens, Suisses, Luxembourgeois, Hollandais et Français pour autant
qu’on ne veuille admettre que les Espagnols, les Polonais ou les Américains
n’aient pas la parole ...
Ce qui précède n’exclut ni notre pointe d’amertume de
n’avoir rapporté de Copenhague le moindre maillot arc-en-ciel, ni notre désir
de considérer le problème de la sélection — et surtout celui de la
préparation des coureurs — sous un aspect autre ...
À mon avis, les victoires individuelles ont moins
d’importance que les classements internationaux dans les challenges. Avant la
guerre, nous avons raflé tous les objets d’art mis en compétition. Sur les
résultats de Zurich, Paris, Amsterdam et Copenhague, c’est-à-dire compte tenu
des quatre meetings de championnats du monde d’après guerre, nous sommes battus
et de loin.
Voilà ce qui compte et qui doit nous inquiéter : notre
infériorité en profondeur, qui éclata, déjà, au cours du dernier Tour de
France, où notre équipe nationale fondit au soleil, cependant que les Italiens
rentraient au complet.
Donc je fus au Danemark pour la seconde fois et j’en bénis
le ciel, car il n’est pas de meilleur paradis cycliste.
Réunissez quatre millions de Danois, le roi à leur tête, et
il y aura quatre millions de cyclistes.
— Combien parmi ces messieurs sont à bicyclette ?
demanda S. A. R. le prince Axel de Danemark — à moins que ce ne
soit sa si noble et attachante épouse, sœur de l’inoubliable reine Astrid
— au président de l’U. C. I., lors d’un entretien, en toute
simplicité, comme ce prince en a le secret.
Je ne perçus point la réponse du président, mais je compris
fort bien qu’il n’avait point remarqué mon vélo resté dehors.
Vélo danois !
Le mien, qu’on m’avait prêté, était du modèle course, mais
sans cale-pieds et avec des poignées de freins touristes sur un guidon
surbaissé ; 46 X 16, en roue libre. Pas de dérailleur. Des garde-boue
blancs, en celluloïd, et un porte-lanterne.
Il fit mes délices et, avec lui, je goûtai aux charmes des
routes danoises, qu’elles sillonnent les forêts ou longent la côte balte.
J’appréciai, surtout, le confort et la sécurité des « chaussées
cyclables » valables autant en ville qu’en campagne.
Je me pose en ennemi acharné et irréductible du trottoir
cyclable (1) et de la piste cyclable (1) français ou belges,
notamment. Et je le suis, plus encore, à mon retour du Danemark, car je sais
que notre gouvernement ne portera jamais intérêt suffisant et surtout fidélité constante
à nos propres besoins.
Au Danemark, la partie cyclable est aussi bien entretenue,
sinon mieux, que la chaussée principale. Elle est, parfois, presque aussi
large, sinon plus, si l’on fait la part de la voie montante et de la voie
descendante.
Seul le cycliste y circule, le moteur disposant de la route
proprement dite et le piéton de trottoirs bien à lui.
L’exemple est trop haut, il est trop loin pour qu’on
l’atteigne ...
Si le Danois vit à bicyclette, son engin a ceci de
particulier qu’il n’est pas luxueux, qu’il est lourd et, certes, solide, qu’il
semble disgracieux, mais que, de toute évidence, il est pratique et
équilibré : chasse très nettement positive, guidon haut relevé. Il
s’apparente au vélo d’acrobate.
Au reste, les Danois sont des acrobates qui s’ignorent. Ils
circulent en pelotons compacts, s’entre-croisent, se dépassent avec une
facilité désarmante. Ajoutez à cela qu’ils ne considèrent une automobile ou un
tramway avec aucune attention craintive.
Pour eux, les véhicules sont à égalité. Tout passe au quart
de millimètre ; ce qui fit dire à un confrère :
— Les Danois sont lents par nature, sauf à bicyclette.
Quelle vérité ! Leurs réflexes sont les meilleurs du
monde dans un corps athlétique et un cerveau tranquille.
À quoi bon du luxe pour un vélo qu’on laisse dehors, qui
circule par tous les temps et sans cesse ?
Tel est le raisonnement des compatriotes de l’inoubliable Thorwald
Ellegaard.
Nous pensons, malgré cela, qu’un tel pays se devrait de voir
ses notaires, ses soldats, ses amoureux, ses ouvriers, ses employés, ses
facteurs, ses rois, ses mères, ses épouses, ses jouvencelles, perchés autrement
que sur des carcasses noirâtres, munies d’un seul et long développement.
En admettant le frein à contre-pédalage, nous considérons
qu’il ne peut en être autrement compte tenu des objets, volumineux parfois,
portés à main.
Un confrère a suggéré à l’U. C. I. l’organisation
d’un Salon du Cycle lors des futurs championnats du monde, en s’appuyant sur le
fait que les vélos de nos coursiers furent une réelle curiosité durant une
semaine. Il a raison.
Et la Ligue Vélocipédique Belge, prochaine organisatrice, a
été saisie du projet.
Nous saurons si 1950 marquera le début d’une évolution
commerciale et industrielle, dans le concert d’un meeting spécifiquement
sportif.
René CHESAL.
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