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Les jeux

dans l’éducation physique des enfants

L’enfant aime jouer ; la chose est manifeste. On en conclut volontiers que son éducation physique peut se faire, et même doit se faire, par des jeux. Tout autre procédé l’ennuie ; il s’y dérobe autant qu’il peut et n’en obtient aucun bon résultat. Pour être efficace, l’éducation physique de l’enfant, et même de l’adolescent, devrait donc être « attrayante », composée de jeux qui amusent, et qui, aussi savamment combinés par les maîtres qu’ardemment pratiqués par les élèves, aboutiraient nécessairement au développement robuste et bien équilibré de toute la jeunesse.

Mais, hélas ! ce sont là de stériles vues de l’esprit réunies en doctrine par des hommes mûrs, parfois très mûrs, qui n’ont jamais su ou qui ne se rappellent plus pourquoi et comment les enfants jouent.

Le jeu, le vrai jeu, est pour l’enfant une activité personnelle, qu’il a choisie, à laquelle il se livre hors de l’autorité de ses parents et de ses éducateurs. C’est une manifestation de sa personnalité naissante ; il s’y complaît, il s’y intéresse, parce qu’il n’y est ni guidé, ni contrôlé, comme dans toutes ses autres actions, par ceux qui, pour l’élever, lui inculquent d’autorité des connaissances à utiliser et des façons de se conduire. Quand il joue, il prend ses initiatives et fait ses expériences.

Le jeu n’est donc pas pour lui un amusement, mais une chose très sérieuse, à laquelle il donne toute son attention. Le tout-petit qui fait des pâtés de sable ne rit pas de son œuvre, mais porte grand intérêt à sa construction ; c’est avec une grande concentration d’esprit qu’il s’efforce de la réussir ; et, s’il y parvient, il a plutôt le contentement d’un artiste que la joie d’un farceur.

Ce sérieux, cette contention d’esprit, cette satisfaction du résultat obtenu par ses propres moyens, on les retrouve dans tous les jeux d’enfants ; et aussi dans les sports d’adolescents, qui ne sont d’ailleurs que des jeux dont on a changé le nom pour satisfaire l’amour-propre des jeunes gens.

L’influence du jeu sur l’esprit et le caractère peut être considérable du fait qu’il demande initiative, sollicite et accapare l’attention, donne du champ à l’imagination, fait consentir par ses règles à la discipline. Nous n’insisterons pas ici sur ces remarquables effets, pour nous attacher à ceux qu’il peut avoir sur le corps.

Ces effets physiques sont fort variables ; ils dépendent de la nature des jeux auxquels l’enfant se livre. Jadis, dans les « récréations scolaires », il se pratiquait un assez grand nombre de jeux qui entraînaient une notable dépense d’énergie, les barres, la balle au chasseur, le cheval fondu. Bien des fillettes sautaient éperdument à la corde ou jouaient allègrement au volant. Tous ces jeux sont tombés en désuétude. Libérés de la classe, la plupart des écoliers ne s’amusent qu’à des « jeux tranquilles » ou de courte durée, dont s’accommodent leur chétivité, leur maladresse et leur manque d’endurance. Les robustes se dépensent en des bousculades et des criailleries en compensation de l’immobilité et du silence qu’on leur impose pour les instruire. C’est bien rarement que ces jeux spontanés ont une influence marquée et heureuse sur le développement du corps.

Les enfants ne sachant plus jouer, on a pensé qu’il fallait le leur réapprendre. Leur éducation physique, basée sur des jeux enseignés et dirigés, donnerait d’excellents résultats puisqu’il est facile de combiner ces jeux de façon que leur coordination et leur ensemble répondent à tous les besoins de développement et d’entraînement corporels ; et cette éducation physique, satisfaisant l’amour du jeu que l’on suppose commun à tous les enfants, serait pratiquée par tous avec enthousiasme. Mais le dirigisme ne vaut pas plus en cette matière qu’en bien d’autres. Imposer des jeux, c’est leur enlever ce caractère de spontanéité et d’initiative enfantines d’où résultent leurs effets sur l’esprit et le corps ; on les transforme en « leçons disciplinées », dont l’écolier n’est que trop saturé, et dont précisément il cherche à se délasser en jouant à sa guise. C’est avec ennui ou ahurissement quand il est tout petit, avec ironie quand il est plus grand, qu’il écoute les grandes personnes qui prétendent le faire s’amuser à leur idée. Il s’ensuit qu’il ne met guère d’entrain à ces exercices prétendus attrayants et n’en obtient que d’insignifiants résultats.

Puisque nous avons dit que les jeux libres actuels n’ont également que peu d’action sur le développement corporel des enfants, faut-il conclure qu’il n’y a aucune part à faire au jeu dans leur éducation physique ? Ce serait paradoxal et quelque peu cruel. Il s’agit, tout au contraire, de rendre par une éducation physique disciplinée tous les enfants capables de se livrer à des jeux libres assez énergiques et intéressants pour améliorer leurs qualités physiques et psychiques ; car, dès qu’ils sont robustes et endurants, les enfants se plaisent à de tels jeux ; et il n’y a qu’à se fier, sous une surveillance discrète, à leurs initiatives pour qu’ils s’en tirent fort bien et en profitent. Le problème est analogue à celui du sport pour les jeunes gens. C’est utopie de penser qu’on amènera par des leçons et des initiations imposées la plupart d’entre eux à prendre goût aux distractions du stade ; ils sont trop faibles pour s’y plaire et pour en profiter. Il faut d’abord leur construire, par des exercices méthodiques, bons muscles, large poitrine et cœur solide. Cela fait, on peut être sûr que nos stades, établis à si grands frais, seront spontanément fréquentés bien plus qu’ils ne sont.

Ainsi l’éducation physique des écoliers comporte deux parties, qu’il y a grand intérêt à ne pas confondre. La première, exclusivement scolaire en ce qu’elle est à la charge des maîtres, est à imposer et à réglementer ; c’est une discipline, au sens premier du mot, un enseignement méthodique que l’on donne aux enfants, et qui a pour but direct d’assurer à leurs jeunes corps, pendant la croissance, un développement normal, bien équilibré. La seconde partie sera celle des jeux, qui aura pour but de mettre à profit les qualités physiques acquises par la première, d’en tirer des distractions, de l’adresse, de l’endurance et quelque formation du caractère. La pratique et l’organisation de ces jeux, le choix que chacun peut en faire doivent être laissés presque entièrement à l’initiative des enfants ; il est bon que pour cela ils s’arrangent entre eux ; car c’est le moyen qu’ils bénéficient réellement des bons effets individuels et sociaux du jeu.

Cette partie de l’éducation physique, qu’on peut appeler complémentaire et qui n’a pas à être rigoureusement obligatoire, est en quelque sorte extra-scolaire. Comme nous venons de le dire, les maîtres n’ont qu’à la surveiller d’un peu haut.

Mais on va croire que c’est laisser aux maîtres de l’enseignement la tâche la plus ingrate, la plus fastidieuse : celle de donner des leçons de gymnastique méthodique, de gymnastique d’ensemble, à mouvements simples et cadencés, en séances quotidiennes ou, tout au moins, tri-hebdomadaires. On répétera que rien n’ennuie davantage, voire que c’est contraire à notre tempérament national !

C’est là un préjugé que dément toute expérience consciencieuse. Il y a, certes, des gymnastiques ennuyeuses ; ce sont celles qui se passent en explications pédantesques, en corrections de gestes et d’attitudes, en mouvements lents et compassés. Mais une séance menée bon train, sous un commandement énergique, stimulant, emporte tout groupe d’enfants dans une exécution pleine d’entrain.

Le problème de l’éducation physique à l’école, qu’on a rendu si complexe, nous paraît donc assez facile à résoudre sur ces bases :

    1° leçon quotidienne collective de gymnastique fondamentale ou de développement ;
    2° jeux à peu près libres pour tous les enfants suffisamment fortifiés et entraînés par cette gymnastique.

Dr RUFFIER.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 795