Nous savons tous qu’il faut restituer à une terre arable les
quantités d’éléments fertilisants exportés par les récoltes, mais ce que nous
savons moins, parce que le plus souvent le phénomène est assez lent pour être
visible, c’est l’érosion continue des sols due à deux causes : la
première les crues et les inondations, la seconde les transports éoliens (de
Éole, dieu du vent des Anciens).
Avant d’étudier l’érosion dans les vignobles, voyons un peu
ce qui s’est passé dans les millénaires qui nous ont précédés ; le second
nous aidera à comprendre le premier.
Aux temps géologiques, le transport des terres a été
considérable.
Le soulèvement du système alpin et des Pyrénées a eu pour
conséquence la formation de grandes fosses plus ou moins comblées à ce moment par
les mers.
À l’est des Alpes, la fosse du Pô ; à l’ouest, le fossé
rhodanien ; au nord des Pyrénées, la grande fosse d’Aquitaine.
On peut, pour cette dernière, avoir une idée de sa
profondeur originelle ; en effet, les forages récents exécutés pour la recherche
des hydrocarbures dépassent souvent 2.000 mètres. Or nous savons que ces
hydrocarbures sont produits par la présence de végétaux enfouis à l’origine
lors de ces gigantesques bouleversements de terrains.
En plus des dépôts marins, les fosses ont été comblées par
la dégradation des montagnes. Celle du Pô par les Alpes, le fossé rhodanien par
les Alpes et l’est du Massif Central ; enfin celle d’Aquitaine, pour la
plus grande partie par les Pyrénées, et par le sud-ouest du Massif Central pour
une faible part.
Les inondations catastrophiques pendant des centaines de
millénaires ont produit ces comblements aidés par une ou deux périodes
glaciaires, les glaciers étant par excellence des démolisseurs de montagnes.
Plus près de nous, l’ensablement des rivières comme la Loire
ou l’Allier, la formation des deltas à l’embouchure des fleuves et
l’assèchement des marais comme celui de la Limagne sont dus aux apports
de matériaux produits par les inondations.
Pour les érosions qui se produisent actuellement, nous citerons
un résultat fourni par un barrage algérien. En cubant le volume des alluvions
déposées au fond du plan d’eau pendant deux ans, on s’est aperçu que le sol
arable du bassin de réception de la rivière avait diminué de 5 millimètres
d’épaisseur en deux ans !
Quant aux méfaits du vieux dieu Éole, nous croyons utile de
citer un passage écrit par un voyageur nord-africain doublé d’un
littérateur : « C’est un vent qui use les montagnes. Il y met le
temps, mais il y parvient. Il émousse les arêtes, lime les surfaces, effrite
les blocs, roule pêle-mêle tous les débris. Il peut soulever d’assez grosses
pierres pour lapider les voyageurs certains jours. Il pulvérisera le monde. Il
fait le sable petit à petit et s’en sert ensuite, rémouleur inlassable, pour
attaquer les obstacles les plus durs ... »
Ce tableau n’a rien d’exagéré. Combien, dans la métropole,
d’arbres arrachés, de gens blessés, de wagons déplacés pendant les fortes
tempêtes. D’autre part, des gens compétents assurent que la fertilité de la
Limagne est due à des apports continus de cendres volcaniques arrachées à la
chaîne des puys par le vent d’ouest.
Si nous nous sommes étendus sur les dégradations des terres
dans le passé, c’est pour convaincre ceux qui liront ces lignes de la nécessité
absolue d’y apporter un remède immédiat.
Quelle est maintenant la part de l’érosion due au
vignoble ?
Quand on parcourt ce dernier, on constate que toutes les
vignes plantées en demi-coteau le sont selon la ligne de la plus grande pente
et quelle que soit l’inclinaison de cette pente. Outre que ce système est
illogique au point de vue de la traction animale, il a le grave défaut de
faciliter l’érosion. Peu à peu, les plants du sommet sont déchaussés et ceux du
bas enterrés, la terre fine, le limon et les matières fertilisantes sont les
premiers à payer ce tribut.
Ce phénomène se passe actuellement et sous nos yeux !
On peut dire sans être taxé d’exagération que ce système de plantation est
celui qui facilite le plus le transport des terres.
Voyons maintenant les remèdes.
Ils sont de deux sortes.
L’un général, qui est le reboisement. Dans les Hautes-Alpes,
le Service des Eaux et Forêts a exécuté, il y a plus d’un siècle, un travail
considérable par le reboisement de très grandes surfaces. Il fallait surtout
arrêter les avalanches ; c’est fait. Les cours d’eau ont été régularisés.
Le reboisement est limité aux terres de faible rapport, celles qui ne payent
pas, car la population de l’Europe, France comprise, augmente sans cesse, et il
faut prévoir son alimentation.
Le second remède est le rôle de l’exploitant ; il y a
d’abord les cultures en terrasses. Elles existent encore chez nous, mais
beaucoup ont leur talus de soutènement ruiné ; soit par insouciance, soit
faute de moyens, ceux-ci n’ont pas été entretenus. À ce sujet, il nous semble
utile d’indiquer que les Américains du Nord ont exécuté, il y a quelques
années, dans une vallée très accidentée de l’immense Chine, des terrasses assez
spacieuses pour un travail facile avec la traction animale. Ils ont consolidé
les rives du cours d’eau et fait divers travaux d’aménagement, telle la
construction d’une route moderne.
Il est évident que ces travaux ont été exécutés avec des
moyens mécaniques puissants.
À défaut de ces derniers, plantez les nouveaux vignobles
suivant les lignes de niveau. Ne dites pas que c’est impossible, il en existe
beaucoup. Ne dites pas non plus qu’il est impossible d’empêcher le déport des
instruments aratoires travaillant dans ces conditions, un forgeron de village
intelligent trouvera un dispositif approprié empêchant ce déport.
N’oubliez pas à ce sujet que les premiers navigateurs à
voile ont trouvé un moyen très simple de faire avancer leur esquif vent de côté
ou vent debout.
Vignerons, pensez à ce que nous venons de vous faire
connaître et imitez vos ancêtres, qui construisaient pour l’avenir.
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
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