Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°634 Décembre 1949  > Page 805 Tous droits réservés

Viticulture

L’érosion des sols

Nous savons tous qu’il faut restituer à une terre arable les quantités d’éléments fertilisants exportés par les récoltes, mais ce que nous savons moins, parce que le plus souvent le phénomène est assez lent pour être visible, c’est l’érosion continue des sols due à deux causes : la première les crues et les inondations, la seconde les transports éoliens (de Éole, dieu du vent des Anciens).

Avant d’étudier l’érosion dans les vignobles, voyons un peu ce qui s’est passé dans les millénaires qui nous ont précédés ; le second nous aidera à comprendre le premier.

Aux temps géologiques, le transport des terres a été considérable.

Le soulèvement du système alpin et des Pyrénées a eu pour conséquence la formation de grandes fosses plus ou moins comblées à ce moment par les mers.

À l’est des Alpes, la fosse du Pô ; à l’ouest, le fossé rhodanien ; au nord des Pyrénées, la grande fosse d’Aquitaine.

On peut, pour cette dernière, avoir une idée de sa profondeur originelle ; en effet, les forages récents exécutés pour la recherche des hydrocarbures dépassent souvent 2.000 mètres. Or nous savons que ces hydrocarbures sont produits par la présence de végétaux enfouis à l’origine lors de ces gigantesques bouleversements de terrains.

En plus des dépôts marins, les fosses ont été comblées par la dégradation des montagnes. Celle du Pô par les Alpes, le fossé rhodanien par les Alpes et l’est du Massif Central ; enfin celle d’Aquitaine, pour la plus grande partie par les Pyrénées, et par le sud-ouest du Massif Central pour une faible part.

Les inondations catastrophiques pendant des centaines de millénaires ont produit ces comblements aidés par une ou deux périodes glaciaires, les glaciers étant par excellence des démolisseurs de montagnes.

Plus près de nous, l’ensablement des rivières comme la Loire ou l’Allier, la formation des deltas à l’embouchure des fleuves et l’assèchement des marais comme celui de la Limagne sont dus aux apports de matériaux produits par les inondations.

Pour les érosions qui se produisent actuellement, nous citerons un résultat fourni par un barrage algérien. En cubant le volume des alluvions déposées au fond du plan d’eau pendant deux ans, on s’est aperçu que le sol arable du bassin de réception de la rivière avait diminué de 5 millimètres d’épaisseur en deux ans !

Quant aux méfaits du vieux dieu Éole, nous croyons utile de citer un passage écrit par un voyageur nord-africain doublé d’un littérateur : « C’est un vent qui use les montagnes. Il y met le temps, mais il y parvient. Il émousse les arêtes, lime les surfaces, effrite les blocs, roule pêle-mêle tous les débris. Il peut soulever d’assez grosses pierres pour lapider les voyageurs certains jours. Il pulvérisera le monde. Il fait le sable petit à petit et s’en sert ensuite, rémouleur inlassable, pour attaquer les obstacles les plus durs ... »

Ce tableau n’a rien d’exagéré. Combien, dans la métropole, d’arbres arrachés, de gens blessés, de wagons déplacés pendant les fortes tempêtes. D’autre part, des gens compétents assurent que la fertilité de la Limagne est due à des apports continus de cendres volcaniques arrachées à la chaîne des puys par le vent d’ouest.

Si nous nous sommes étendus sur les dégradations des terres dans le passé, c’est pour convaincre ceux qui liront ces lignes de la nécessité absolue d’y apporter un remède immédiat.

Quelle est maintenant la part de l’érosion due au vignoble ?

Quand on parcourt ce dernier, on constate que toutes les vignes plantées en demi-coteau le sont selon la ligne de la plus grande pente et quelle que soit l’inclinaison de cette pente. Outre que ce système est illogique au point de vue de la traction animale, il a le grave défaut de faciliter l’érosion. Peu à peu, les plants du sommet sont déchaussés et ceux du bas enterrés, la terre fine, le limon et les matières fertilisantes sont les premiers à payer ce tribut.

Ce phénomène se passe actuellement et sous nos yeux ! On peut dire sans être taxé d’exagération que ce système de plantation est celui qui facilite le plus le transport des terres.

Voyons maintenant les remèdes.

Ils sont de deux sortes.

L’un général, qui est le reboisement. Dans les Hautes-Alpes, le Service des Eaux et Forêts a exécuté, il y a plus d’un siècle, un travail considérable par le reboisement de très grandes surfaces. Il fallait surtout arrêter les avalanches ; c’est fait. Les cours d’eau ont été régularisés. Le reboisement est limité aux terres de faible rapport, celles qui ne payent pas, car la population de l’Europe, France comprise, augmente sans cesse, et il faut prévoir son alimentation.

Le second remède est le rôle de l’exploitant ; il y a d’abord les cultures en terrasses. Elles existent encore chez nous, mais beaucoup ont leur talus de soutènement ruiné ; soit par insouciance, soit faute de moyens, ceux-ci n’ont pas été entretenus. À ce sujet, il nous semble utile d’indiquer que les Américains du Nord ont exécuté, il y a quelques années, dans une vallée très accidentée de l’immense Chine, des terrasses assez spacieuses pour un travail facile avec la traction animale. Ils ont consolidé les rives du cours d’eau et fait divers travaux d’aménagement, telle la construction d’une route moderne.

Il est évident que ces travaux ont été exécutés avec des moyens mécaniques puissants.

À défaut de ces derniers, plantez les nouveaux vignobles suivant les lignes de niveau. Ne dites pas que c’est impossible, il en existe beaucoup. Ne dites pas non plus qu’il est impossible d’empêcher le déport des instruments aratoires travaillant dans ces conditions, un forgeron de village intelligent trouvera un dispositif approprié empêchant ce déport.

N’oubliez pas à ce sujet que les premiers navigateurs à voile ont trouvé un moyen très simple de faire avancer leur esquif vent de côté ou vent debout.

Vignerons, pensez à ce que nous venons de vous faire connaître et imitez vos ancêtres, qui construisaient pour l’avenir.

V. ARNOULD,

Ingénieur agronome.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 805