La chèvre est essentiellement transhumante et nomade. Mais
il est remarquable de constater que sa faculté d’adaptation est extrême
puisqu’elle peut parfaitement s’habituer à la stabulation complète comme l’a
prouvé pendant des générations la zootechnie caprine du Mont d’Or lyonnais.
Lorsque la chèvre est soumise à un tel régime, il faut
s’évertuer à lui rendre la vie aussi agréable que possible, car ses goûts sont
au demeurant modestes, malgré sa dignité de grande dame poétique ! Comme
certaines douairières, elle craint l’humidité : et cela, beaucoup plus que
le froid. Une litière est donc souvent nécessaire, mais non indispensable. Elle
a pour but d’isoler les animaux d’un sol froid qui ne doit jamais être humide.
Pour cela, on aura pris soin de donner au sol une inclinaison d’un centimètre
par mètre. Si l’on songe déjà au fumier, la litière doit absorber les urines,
sinon les crottes de bique — qui ne sont pas grégaires lorsque les chèvres
qui les égrènent sont en bonne santé — se disperseront très facilement. La
litière enfin peut favoriser la chaleur stabulaire autour du ventre des animaux
et se montrer favorable à la digestion et à l’élaboration du lait.
Il y a longtemps que l’on a conseillé de donner à la chèvre,
par mesure d’économie — ô vache du pauvre ! — une litière rude
et peu coûteuse faite de fougères séchées, de genêts en Bretagne, etc. On peut
évaluer à un demi-kilogramme au minimum la quantité de litière qui est
journellement nécessaire à une chèvre. Enfin vous savez bien — je l’ai dit
souvent dans ces colonnes — que la propreté est indispensable pour éviter
l’odeur du lait, de la viande et même une partie de la prétendue odeur
« hircine ». Et dire que pour cette seule raison odorante des boucs
nauséabonds — et choisis encore comme tels, ce qu’il y a de plus fort
— peuplent des étables bovines afin d’écarter les épidémies. Je pense que
cette habitude routinière ne réussit pas beaucoup. En tout cas l’étable sentira
sûrement un peu plus mauvais !
On peut remplacer la litière par une claie ou caillebotis en
bois. Pour nous chevriers, ce caillebotis sera fait de plusieurs parties afin
de faciliter le nettoyage : carré de 1 mètre ou rectangle de 1 mètre
sur 0m,80 ; il est constitué par des lamelles de 1 centimètre
à 1cm,5 clouées sur des lattes de soutien. Nous ne considérons pas
la claie ainsi décrite comme une litière (au point de vue qualité) du troisième
degré, le premier étant représenté par la paille et le second par les genêts,
ajoncs séchés ou de la tourbe. En effet la claie n’est pas un ersatz de
litière : elle peut être utilisée en tout temps et favorise la bonne tenue
sanitaire de la chèvrerie.
Nous ne recommandons pas spécialement la tourbe, dont les
fines poussières peuvent irriter les yeux ou souiller le lait à l’heure de la
traite. Néanmoins, par mesure d’économie, on peut l’utiliser comme litière de
premier étage, recouverte qu’elle sera ensuite par la paille ou ses succédanés.
Mais le caillebotis est bien plus commode, car il peut très facilement
dispenser de paille en été. Bien entendu, l’écoulement des urines doit être
facilité par l’inclinaison du sol et les rigoles, comme on l’a vu plus haut.
Cette urine pourra, il est vrai, humecter les poussières de tourbe, mais il ne
faudrait pas en abuser.
Le fumier de chèvre est généralement considéré comme
beaucoup plus actif que celui des autres habitants de la ferme. Il est
notamment plus riche en azote et acide phosphorique. Huart du Plessis déclare
même que 18 kilogrammes de fumier caprin équivalent à 100 kilogrammes
de bon fumier de ferme. La densité de son emploi doit donc être moins
forte ; il est même recommandé de le mélanger au fumier de cheval ou de
lapin. Il vaut mieux ne pas le laisser séjourner trop longtemps à l’étable et
le mettre dans une fosse couverte sans oublier de l’arroser souvent avant
l’utilisation, car nous savons déjà que les « crottes de bique » ne
se mélangent pas facilement à la paille. Ce fumier est propice aux sols
argileux, froids et compacts. Il convient fort bien au tabac, au chanvre et au
colza, mais il hâte un peu trop la croissance du blé et du lin, on dit
facilement, dans une formule un peu alchimique, qu’il est « chaud ».
Enfin, détail pittoresque, selon un auteur allemand, il écarterait les taupes.
La chèvrerie doit être nettoyée à fond toutes les semaines
pour éviter bien des ennuis, notamment les maladies contagieuses. À certains
moments, mon maître Crepin ne fut pas du même avis. En sa chèvrerie du Val Girard,
il laissa en permanence le fumier pendant tout un hiver ; et cela à force
d’ajouter régulièrement de la paille sous le ventre des animaux : ce qui
était, je crois, une expérience. Au printemps, à la sortie de ce vrac, on
constata que les émanations connexes et gazeuses amélioraient sensiblement la
santé de personnes souffrant des bronches. On faisait en somme une cure
d’ammoniac.
Malgré tout, cette application médicale ne justifie pas
pleinement un tel état de choses. Notons cependant que ce cas particulier
n’empêchait pas une propreté ambiante et diffuse que rien ne peut abolir.
L’empirisme et la routine n’étaient pas de mise en effet pour Joseph Crepin.
Mais en Valais, par exemple, ce genre de choses est courant, avec toute la
négligence coupable des gens de la terre, et surtout des montagnards, pour la
propreté. Ainsi on va même en hiver jusqu’à priver d’oxygène ou presque des
bêtes pour qu’elles aient plus chaud. Où diable va se fourrer la logique !
Ch. KRAFFT DE BOERIO.
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