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Causerie médicale

Le vin et les médecins

L’importante question de la valeur alimentaire du vin vient d’être à nouveau mise au point au récent Congrès de l’Association des Médecins amis des Vins de France, tenu à Bordeaux en septembre dernier, sous la présidence du professeur Portmann, doyen de la Faculté de Médecine et de Pharmacie, par un intéressant rapport du Dr R.-J. Weissenbach, médecin des Hôpitaux de Paris et membre du Conseil supérieur d’Hygiène sociale.

L’analyse nous montre que le vin apporte à notre organisme, sous une forme essentiellement active et assimilable, un complexe de matières minérales (sels de calcium, de sodium, de potassium, de fer, etc.), de substances alimentaires (alcools, sucres, glycérines, acides organiques, tanin, éthers, aldéhydes, acides aminés, vitamines).

Par ces divers composants, le vin, chez l’homme bien portant qui en fait un usage habituel, mais modéré, excite l’appétit, stimule les fonctions motrices et sécrétoires de l’estomac et de l’intestin, l’activité du foie et du pancréas, agissant ainsi favorablement sur l’ensemble de la digestion ; il stimule le psychisme et le fonctionnement neuro-musculaire, action favorable dont les désordres qu’entraîne son abus apportent une démonstration indirecte.

Mais, au point de vue de l’hygiène, le problème alimentaire du vin est dominé par l’action de l’alcool qu’il contient en proportion moyenne de 10 p. 100.

L’alcool est indispensable au vin. Sans alcool, pas de vin. L’alcool, comme l’a dit l’éminent académicien M. Georges Duhamel, « est le substratum nécessaire, mais inanimé du vin ; il en est le squelette ». Il est, en réalité, plus que cela, 95 p. 100 de cet alcool sont transformés dans l’organisme et utilisés par lui ; il dégage 7 calories par gramme et constitue par conséquent un véritable aliment, fournissant peut-être plus de chaleur que d’énergie.

Que l’alcool à doses abusives ait des effets nocifs, nul ne le conteste. Aussitôt absorbé par l’intestin, il passe dans le sang et l’expérience a montré que ces effets nocifs se manifestent dès que ce liquide en renferme une teneur supérieure à un pour mille.

Et c’est en partant de cette constatation que les expériences des physiologistes demandent à être interprétées.

Nous n’en sommes plus au temps où un homme de laboratoire croyait démontrer les méfaits du vin d’après les phénomènes observés chez un lapin auquel on avait injecté de l’alcool dilué par une veine de l’oreille !

Tout récemment, le professeur Ch. Richet fit ingérer à un travailleur manuel, à jeun, un litre et demi de vin à 12° en une heure de temps. Il constata que, pendant la première demi-heure qui suivait cette ingestion, le travail augmenta de 10 à 15 p. 100 pour diminuer ensuite, si bien qu’en fin de compte le rendement était moindre que s’il n’y avait pas eu absorption de vin.

Remarquons tout d’abord que les conditions de cette expérience sont tout à fait anormales ; le vin, pour réaliser l’action bienfaisante que nous avons décrite, doit être pris aux repas et à doses fractionnées dans la journée.

Ceci posé, interprétons les faits, comme le fit le professeur Fabre lors de la discussion de ce rapport :

Que s’est-il passé ? Peu après l’ingestion, l’alcool du vin a commencé à passer dans le sang et a produit son action stimulante tant que le taux est resté au-dessous du seuil critique de un pour mille et son action nocive a commencé à se manifester au bout d’une demi-heure, alors que, par suite de cette ingestion massive, l’alcool a continué à se déverser dans le sang, augmentant sa saturation ; il y eut dès lors intoxication, qui, si légère qu’elle fût, réduisit l’activité des centres nerveux qui commandent aux muscles.

Tous nos aliments sont susceptibles de devenir nocifs lorsqu’ils sont ingérés hors de proportion ; il faut simplement se souvenir qu’avec le vin la marge est plus faible.

Et, si, comme le dit le physiologiste portugais Loureiro, « le vin est le moins nocif des aliments excitants, il n’est pas un médecin qui ne méconnaisse les méfaits qu’entraîne son abus, les lésions de l’estomac, du foie, des reins, du système nerveux plus spécialement ».

Aussi importe-t-il de fixer les doses à conseiller à l’homme dans son régime alimentaire quotidien.

C’est ce que fit le Ve Congrès national des Médecins amis du Vin en adoptant à l’unanimité les conclusions suivantes :

« Sous réserve de certaines intolérances ou incompatibilités individuelles, la ration quotidienne d’un vin naturel, dit « loyal », titrant de 10° à 12°, peut être fixée en moyenne, chez l’adulte sain, à un litre et demi pour le travailleur de plein air, à un litre pour le travailleur d’usine, à trois quarts de litre pour le travailleur intellectuel et pour la femme, mais à une condition formelle, à savoir que la ration quotidienne soit fractionnée et absorbée au cours des repas exclusivement.

» Chez l’enfant, la consommation de vin sera autorisée à partir de l’âge de trois ans, dans les mêmes conditions de répartition que chez l’adulte, mais à doses réduites en fonction du poids, c’est-à-dire un centilitre par kilo corporel et toujours étendu d’eau. »

Dr A. GOTTSCHALK.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 816