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L’art de trouver les truffes

OICI venir la saison des truffes. Ce délicieux champignon de terre est universellement connu. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il existe plusieurs variétés de truffes bien classées par les mycologues, savoir, par ordre de mérite :

    1° La truffe noire, exactement la truffe à spores noirs (Tuber melanosporum) : c’est la truffe classique, la truffe du Périgord, celle que l’on cultive et qui parasite les racines des chênes truffiers ; sa chair est d’un noir violacé, veiné de blanc ;
    2° la truffe d’hiver (Tuber brumale), à chair gris cendré ;
    3° la truffe d’été (Tuber æstivum), d’un gris roussâtre ;
    4° la truffe mésentérique (Tuber mesentericum), également grisâtre, mais d’une granulation grossière.

Ces quatre variétés sont communément appelées la « truffe » et méritent toutes l’attention gourmande de la cuisinière. Mais, à côté de ces vedettes, on trouve aussi des truffes blanches, comestibles, quoique sans saveur, ou d’une saveur sans grand intérêt, savoir encore : Terfezia Leonis, Choeromyces mandiformis et les Elaphomycès, ces dernières non comestibles. Les truffes blanches ne sont donc pas, comme on le croit généralement, des truffes non mûres ou des accidents de truffes noires.

Ceci posé, j’aborde mon sujet. Combien d’amateurs aimeraient ramasser des truffes et en repoussent même l’idée comme une chimère, faute d’avoir sous la main un chien truffier, ou un inestimable cochon de ferme.

À tous ces amateurs, je suis heureux de dire : « Erreur monumentale ! » Voici donc le procédé. Je n’en suis pas l’inventeur. Il m’a été confié, non sans réticence, par un Arménien très malin que les hasards de la vie ou plutôt ses bouleversements cruels ont fait échouer dans ma commune. À lui l’honneur. Ce procédé est simple, passionnant, innocent pour la bourse et suffisamment productif pour mettre en joie le profane. Tout le matériel se réduit à une serfouette de jardin à manche court (30 centimètres), un vieux sac et une musette.

Et, à présent, à l’action : l’opérateur se dirige vers l’endroit « présumé ». Il pose à terre son sac plié en quatre, s’agenouille dessus et d’un coup de serfouette prélève une pincée de terre. Il la flaire. Pas d’odeur révélatrice. Il récidive, plus profondément. Rien encore. Nouvelle tentative à droite, à gauche, en amont : toujours rien. Il se déplace légèrement et recommence. Enfin son odorat perçoit une effluve. Il insiste : plus de doute, il est sur la voie. Et, guidé par un sens très sûr, car l’odeur croît à mesure que le but se rapproche, il tombe sur la truffe. Oh joie ! l’opérateur ramasse sa truffe. Il constate alors qu’elle touche la radicelle d’un arbre. Peu en importe l’essence. Il a le filon. Il prospecte ce filon qu’il remonte comme un fleuve. Les truffes se succèdent par intervalles irréguliers. Elles passent dans sa musette. Lorsque la racine est « vidée », il l’abandonne non sans prendre la précaution de la recouvrir de terre. Notre homme est ménager de l’avenir, il ne l’a point maltraitée. Quelques mètres plus loin, il se met à chercher un nouveau filon.

Il ne faut pas parler de soi. Cependant, et je m’excuse, pour plus de vérité je dis : cet opérateur, c’est moi. À mes côtés fouille le professeur. Il fait beau. Il fait bon. Sous le chaud soleil, la terre dégèle, car nous sommes aux premiers jours de décembre. Les truffes embaument. Nous farcirons avec une abondance inusitée la dinde traditionnelle. En attendant la dinde, nous jouissons royalement de l’ambiance. C’est la pleine nature, perçue par tous les sens. Peu nous importe le public. Nous ne l’avons pas convoqué.

Ce tableau vivant brossé à titre explicatif, je m’empresse de donner quelques détails complémentaires.

Tout d’abord, ne vous imaginez pas, ô mes futurs disciples ! qu’il soit indispensable de posséder au milieu de la figure le nez ornemental de Cyrano. Soyez rassurés quant à votre appendice. La dimension ne signifie rien et les nôtres sont discrets. Le sens olfactif, c’est autre chose. Or un odorat normal suffit parfaitement. Au contact des truffes mûres, la terre est tellement imprégnée d’effluves qu’il faudrait avoir les narines bouchées à l’émeri pour ne rien percevoir. Donc, premier point essentiel, il faut opérer lorsque les truffes sont mûres, soit du 15 novembre au 15 février. Deuxième point, il ne faut pas travailler n’importe où, mais sur des truffières « présumées », j’insiste sur ce mot. Une truffière se présume ou se voit. Il suffit d’un peu d’observation.

Au printemps, en mars, lorsque les truffes sont « passées », l’attention sera retenue dans une forêt ayant quelque réputation par la présence de moucherons dansant en multitude au ras du sol. Cette sorte de bal n’aura lieu qu’au soleil ou par temps chaud et lourd. Les moucherons en question sont, je le suppose, les insectes parfaits des « asticots » ayant habité les truffes en décomposition ; L’amateur contrôlera le gisement et prendra en note la station pour l’automne suivant.

Dans une clairière, ou, mieux, à la lisière d’un bois soupçonné de receler des arbres truffiers, l’amateur recherchera dans le vert des mousses et des gazons les tonsures rousses à allure de terre brûlée. Ces plaques se voient de loin. Elles sont aussi révélatrices pour l’initié que les fameux « ronds de sorcières » bien connus des ramasseurs de mousserons (tricholome de la Saint-Georges).

Il faut savoir que les chênes ne sont pas les seuls arbres truffiers, mais que souvent les vieux tilleuls et même les buis ont des racines parasitées.

Enfin, le chercheur sera peut-être étonné en piochant une « tonsure » sise à plus de vingt mètres d’un arbre isolé de trouver une truffe. Cet arbre, malgré la distance, sera bien le père nourricier. Qu’il cherche alors son fil d’Ariane. Sans aucun doute, il le trouvera.

Ce sport, on le voit, ne réserve que des joies. Si l’amateur en revient parfois avec le bout du nez « sale », peu importe : on ne le prendra pas pour un disciple de Rabelais. Voici cependant une petite aventure personnelle. Un jour trois fois heureux, malgré mon très riche butin, je continuais à piocher avec persévérance ; mon nez était littéralement saturé par l’odeur d’une truffe proche insaisissable. Elle ne pouvait pourtant fuir à mon approche à la manière d’une taupe. « La truffe est là, me disais-je, je la sens bien. Puisqu’elle n’est pas devant moi, ni à droite, ni à gauche, c’est qu’elle est derrière », et je me retournai, l’outil levé.

En effet : de ma musette ouverte les effluves partaient comme des flèches et poussées par un petit vent complice, etc., etc. ; j’avais compris.

J. LEFRANÇOIS.

Ma communication sur les reptiles m’a valu deux critiques très courtoises et extrêmement intéressantes : l’une de M. Pierre Sorbier, à Prades (Ariège) ; l’autre de M. R. Guigou, lieutenant de louveterie, à Marseille.

Ces critiques, faute de place, ne peuvent paraître in extenso dans Le Chasseur Français. J’avertis donc mes lecteurs qu’ils ne doivent voir dans ma communication de simple observateur qu’une initiation à la connaissance sommaire des reptiles, et non une nomenclature complète de tous ceux pouvant être rencontrés occasionnellement en France.

Toutefois, dans la classification, j’ai omis les « cistudes », ou tortues d’eau douce d’Europe, qui, malgré leur aspect très différent, sont bien des reptiles. Cette rectification s’imposait sans sortir de la généralité.

Enfin, je n’ai pas parlé de la faune méridionale. Elle est vraiment exceptionnelle et, au surplus, je la connais mal. Les représentants les plus typiques en sont, pour les sauriens, outre un lézard ocellé de forte taille pouvant atteindre 60 centimètres, les geckos et le seps, orvet à quatre pattes rudimentaires (Chalcides lineatus) ; pour les couleuvres, la couleuvre à escaliers (Rhinechis scalaris), la « quatre raies » et la couleuvre légendaire, mais cependant certaine, de Montpellier (Cœlopeltis insignitus ou Cœlopeltis monspessulana), reptile de transition possédant deux crochets venimeux atrophiés. Toutes les trois sont agressives et très mordantes. Les deux dernières sont les plus grosses d’Europe et de taille parfois extraordinaire.

Au sujet des vipères, je n’ai cité que la vipère Berus et la vipère Aspic, les plus communes. Par avance, Jean Muller a relevé le gant en signalant sur le mont Ventoux, face nord, une colonie de la petite vipère d’Orsini (Vipera Ursinii), mais c’est encore une exception qui nous sort du cadre que je m’étais primitivement fixé.

En résumé, le titre seul de mon article est coupable. Il aurait pu m’attirer les foudres de nos naturalistes méridionaux. Il ne m’a procuré qu’une douche bienfaisante de renseignements précieux pour tous suivant la formule : Utile dulci. J’aurais mauvaise grâce de m’en plaindre.

J.L.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 824