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Le tir de chasse devant les chiens

Condition physique et condition morale

Quelles que soient les phases du tir qu'on étudie et les considérations qui en découlent, on se rend compte que toutes leurs lignes convergent sur les points de la personnalité et du tempérament de chacun, et qu'elles percent les doctrines les plus épaisses et les mieux défendues.

Quoi qu'on fasse, elles s'y rassemblent toujours sans le moindre souci de transformer en radoteurs les imprudents qui s'égarent dans la complexité de cette question.

Qu'on le veuille ou non, toutes les notions du tir s'appuient sur ce tempérament et sur cette personnalité. Éduqués : ils ont besoin d'être entraînés, disciplinés et développés en ce sens. Ils se trouvent à peu près dans la situation de l'apprenti nageur qui, sûr de ses mouvements quand il les décompose sur la terre ferme, les trouve beaucoup moins familiers dans l'élément liquide auquel ils sont destinés. Vierges : ils demandent à être étudiés, réglés, mis au point par la propre volonté de chacun.

Ce travail préparatoire doit avoir atteint son action machinale avant de faire son entrée dans l'ambiance avec laquelle il lui faut composer pour acquérir son état définitif ; sans quoi il résisterait mal aux coups du sort.

Il faut tenir le métier qu'on s'est donné complètement dans sa main, afin de l'exercer sans y penser. Les nerfs, qui n'interviennent guère tant que dure la partie artificielle de l’étude, prennent leur revanche à l'heure de la pratique.

Dès cet instant critique, il est indispensable de n'avoir plus à surveiller son fusil, car on a bien assez de s'occuper de sa personne. Il reste à convertir en habitudes sur le terrain celles qu'on a prises à l'école, et celles qu'on s'est créées ou rafistolées partout où l'on a pu en trouver l'occasion. Il reste encore, pour les nerveux de race, à ne pas sortir de leurs gonds !

En ce qui concerne les habitudes, c'est une affaire de patience et de volonté continue. Quand il s'agit des nerfs, on ne peut pas compter sur ces deux emplâtres excellents. L'ordonnance qu'on propose à leurs infortunés assujettis se formule ainsi : « Maîtrisez vos nerfs ! » Nous n'en sommes pas l'auteur : c'est un conseil dont on abreuve les intéressés, avec une constance dogmatique et froide, au long de tout ce qui s'écrit dans la littérature cynégétique.

Rien n'est plus facile que de laisser tomber sur ses concitoyens une suggestion aussi limpide lorsqu'on possède des nerfs raisonnables se laissant facilement gouverner. Le malheur est que la subjectivité n'a rien à voir dans cette histoire-là ; pas plus que dans les autres, d'ailleurs. Sans offenser personne : ce n'est pas en faisant passer un avis à travers soi-même qu'on établit une vérité générale.

Maîtriser ses nerfs ! ... Avec quoi ? Pas avec ses mains, hélas ! sinon on aurait vite fait de les entourer d'une ficelle.

Avec son cerveau ? Ce serait indiqué, puisqu'il est le grand patron des nerfs. Il n'en est rien cependant, car il n'est pas toujours le plus fort. Bien des exemples en font foi : surtout après une guerre aussi fautive de cas de nervosité trop nombreux.

Reposez-vous quand vous êtes énervés, recommande-t-on aux malheureux qui, certains jours, sautent en l'air au départ d'une alouette ; calmez-vous avant de repartir.

Que vaut cette paternelle objurgation pour ceux dont le maudit système demande pas mal de temps pour se reprendre et quelques secondes pour récidiver de plus belle ? Absolument rien.

Au contraire, l'éternelle subjectivité conseilleuse, qui ne songe nullement à perdre sa qualité, conduit sans y paraître, et sans qu'on y pense, à la standardisation des tempéraments. Heureusement, ceux qui la manient ne sont pas tous du même avis et cela retarderait la catastrophe s'il en était besoin.

En pareille occurrence, lequel des deux courberait la tête : le tempérament ou la standardisation ?

La seconde, sans s'effacer complètement, serait bien obligée de mettre les pouces. Que ferait-elle devant la nervosité, qui passe comme un coup de vent sur la plus enragée standardisation et lui retourne ses plus beaux principes comme s'ils étaient un parapluie ?

Il est naturel, et souvent utile, de prendre à la standardisation ce qu'elle a de bon en ce qui concerne le matériel de chasse. Mais c'est une autre affaire que de vouloir lui donner en tutelle la personnalité des humains comme le souhaitent certaines de ses ouailles agenouillées dont l'atavisme national semble s'être fait naturaliser. C'est également un rêve, car une réponse favorable à ce vœu exige une faculté d'asservissement qui n'étouffera jamais l'esprit français tel que le Tout-Puissant l'a créé.

La meilleure direction à montrer aux chasseurs dont les nerfs sont atteints est celle de la maison qu'habite leur médecin. C'est la seule décision leur permettant de les combattre.

Ils s'en trouveront bien, parce qu'il ne leur suffira pas seulement de lutter avec eux sur le terrain de chasse, où la routine, si chevronnée soit-elle, des mouvements et même des calculs peut se réduire momentanément à rien sous l'assaut d'une émotion. D'autres complications les guettent.

Le tir à la chasse n'en a, en effet, pas fini avec toutes les gênes qui flânent sur sa route. En plus du tempérament physique qu'on subit et du tempérament moral qu'il faut contenter, la condition physique et la condition morale ne se font pas scrupule d'intervenir.

La condition physique se reflète dans l'état d'entraînement et de santé, grâce auquel on résiste bien à la fatigue, ennemie jurée du tir.

La condition morale est une régulatrice de la forme physique, qui se ressent toujours plus ou moins des dispositions morales avec lesquelles on en fait usage. On ne tire pas, quand on se met en chasse, sous le coup de fouet d'une heureuse nouvelle, comme sous le coup de caveçon d'une contrariété, tant s'en faut, à moins de tomber sur beaucoup de gibier, ou de tuer les premières, pièces rencontrées et de recréer ainsi le miracle de la chasse qui vous fait oublier tout ce qui n'est pas elle.

La condition morale et la condition physique influent l'une sur l'autre ; mais d'un poids différent toujours plus lourd pour l'une ou pour l'autre, selon les tempéraments. Poids sur lequel rejaillit indirectement le nombre inégal des occasions de tirer que le sort réserve à chacun.

On se demandera peut-être à quelle utilité répond la connaissance de telles particularités. Tout simplement à celle de faire comprendre pourquoi il existe des tireurs réguliers et des tireurs journaliers.

Leur manière de tirer n'est pour rien dans ce classement. Un tireur très vite peut, en effet, garder son sang-froid. Un tireur lent peut le perdre. Cela dépend de leur tenue devant les circonstances ; autrement dit : de leur équilibre.

Bien des chasseurs méticuleux, que l'équilibre de leur fusil préoccupe à l'extrême, ne s'inquiètent pas assez du leur. Ils ont tort, parce que, si l'égalité n'est pas établie entre ces deux équilibres, ils ne peuvent pas profiter l'un de l'autre.

Tout cela prouve que, pour les hommes qui ne sont pas nés avec une intuition du tir qui s'impose à leur première sortie, le tir à la chasse n'est pas tout à fait la petite entreprise d'amateur envisagée par les profanes. Encore sa théorie et son exécution proprement dite ont-elles seules été en jeu jusqu'à présent. Peu de chose en comparaison de ce qui l'attend en bien et en mal dans la compagnie des chiens.

Raymond DUEZ.

Le Chasseur Français N°635 Janvier 1950 Page 7