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Pour une sélection utile

Les concours ont pour but, en principe, de désigner les meilleurs sujets pour la reproduction ; mais les prix qui y sont décernés ne peuvent avoir de signification que s'ils ont une valeur absolue. Tel n'est pas le cas, généralement, en pratique ; cette valeur étant trop souvent relative. Dans les concours d'utilisation, ou field-trials, la chance joue un trop grand rôle, tous les concurrents n'étant pas mis automatiquement en présence d'un nombre égal de gibier et n'ayant pas à résoudre les mêmes problèmes. Dans les concours de beauté, le classement dépend souvent de la valeur des autres concurrents et de l'appréciation très personnelle du juge.

On fonde aussi la réputation d'un chien sur le nombre de prix qu'il a remportés. Un seul premier prix vraiment mérité en exposition devrait pourtant avoir la même valeur que s'il est répété dix fois ; car le chien est dans le standard, il est très bon, ou il ne l'est pas, et l'élevage n'a aucun avantage à retirer de cette répétition de récompenses habilement exploitée du point de vue commercial.

On attache, d'autre part, beaucoup d'importance au titre de trialer, acquis à tout chien classé dans un field-trial. On a raison, si l'on y voit la garantie que le titulaire est apte à remplir ses fonctions normales de chasseur avec, en plus, une aptitude au dressage conventionnel que nécessitent ces concours. Mais, à priori, on s'illusionne trop souvent en attachant au trialer une auréole de super-as. Il peut l'être ; mais il suffit qu'il soit honnête, c'est-à-dire qu'il reconnaisse la présence du gibier, qu'il l'arrête et le respecte, pour être apte à mériter ce titre.

Juger des qualités d'un chien dans le quart d'heure qui lui est accordé pour montrer ses talents est souvent prétentieux. Si l'on considère, enfin, que bien des concurrents doivent, pour se prodiguer en field-trial, opérer sur un terrain et un gibier qui ne sont pas les leurs et qu'au surplus on leur impose certaines contraintes (allure constante, quête réglée) que contredit la pratique normale de la chasse, on peut penser que ces concours ne remplissent pas leur véritable rôle.

Tels qu'ils sont, ils représentent un pis aller qui vaut mieux que rien ; car il est fort difficile de concevoir l'organisation d'épreuves sur un autre principe. Difficile dans le cadre national, il paraît cependant possible de concevoir une méthode de sélection plus efficace dans le cadre régional.

Vers la fin du siècle dernier, le Griffon-Club avait préconisé des groupements locaux d'amateurs de griffons d'arrêt, à l'effectif minimum de cinq membres habitant dans un rayon rapproché les uns des autres, avec pour principal objectif « la comparaison et l'appréciation des chiens de leur entourage ». Reprenant cette idée, nous avons essayé, en 1944, de suggérer la création de tels groupements dont l'un des buts aurait été l'organisation de parties de chasse en commun, au cours desquelles auraient été appréciées les qualités respectives des chiens, en vue d'en tirer profit pour des alliances et pour l'orientation de l'élevage du griffon à poil dur. Jusqu'ici, on ne paraît pas avoir saisi l'intérêt de ces initiatives. Or de quoi s'agit-il, si l'on veut voir dans les concours autre chose que des joutes sportives et des prétextes à réclame commerciale ? Nous pensons que le but à rechercher est de renseigner les éleveurs sur les qualités aussi bien que les défauts des différentes familles de leurs sujets, de discerner les tendances de tels ou tels, aux fins de les canaliser si elles sont désirables, ou de les contrer si elles sont néfastes, de rechercher l'opportunité de telles alliances. Lorsqu'une race atteint un développement important, les dirigeants des clubs spéciaux responsables de leur avenir ne peuvent pratiquement pas être renseignés suffisamment à ce sujet et il leur est très difficile, sinon impossible, de remplir utilement le rôle de conseilleurs qui devrait être leur rôle principal. Ce rôle devrait alors incomber à des délégués régionaux, centralisant les données recueillies par les groupements locaux d'amateurs de leur zone. Certes, cela suppose du dévouement, un bel esprit sportif et un désintéressement total du côté commercial. Si tant de conditions peuvent faire paraître chimérique une telle organisation, c'est la preuve que, lorsqu'une race se propage trop, la décadence la menace dans la mesure où son élevage échappe aux directives et aux contrôles, sans lesquels il n'est plus de méthode.

Un groupe de véritables amateurs vient de nous donner un exemple de ce qui peut être réalisé en ce sens. Il s'agit d'amateurs de notre vieille race nationale, le Braque français, que certains disent mort, mais qui est bien vivant et fort apprécié au sud de la Garonne, notamment, son pays ancestral. Cultivant, lui ou ses parents et ses amis, depuis plus de trois quarts de siècle une famille de ces chiens, non commercialisée et restée pure, le Dr Castets, éleveur consommé dans toute l'acception du mot, après avoir dispersé gratuitement quelques-uns de ses excellents produits entre des amateurs sûrs, a jugé le moment opportun de faire le point des qualités, défauts et tendances de la famille. Avec l'aide de l'un de ses disciples, M. J. Duran, un Gascon parisien, les possesseurs de sujets de la famille de Clairfontaine ou apparentés, ont été conviés, le 27 juillet 1949, quelque part dans le Gers aux fins de présenter leurs chiens ; douze furent ainsi rassemblés ; ni engagements, ni prix, ni règlement ; aucune formalité officielle. Chaque propriétaire fut invité à faire chasser son chien comme il en a l'habitude. La présentation n'était limitée ni dans le temps, ni dans l'espace ; chaque sujet fut examiné aussi longtemps qu'il était nécessaire pour bien se rendre compte de ses aptitudes. Sur chacun d'eux fut rédigée une fiche, préalablement établie selon des normes judicieusement étudiées ; tout y était prévu : l'allure dans toutes ses nuances, la quête, l'initiative, la façon d'arrêter et de présenter le gibier le plus commodément pour le tir, le port de tête, etc., etc. Aucun classement ne fut établi ; il ne s'agissait pas d'un concours, mais d'un examen destiné à se rendre compte de la valeur intrinsèque de chaque sujet, et non de sa valeur relative. La relativité est, en effet, essentiellement variable et ses conclusions sont vides de sens, quand par exemple on veut comparer un sujet de tempérament trotteur avec un sujet galopeur, un chien apte au gibier pistard avec un autre prédisposé aux arrêts de longueur sur gibier ferme.

Les conclusions de cet examen ont été très utiles pour la direction future de l'élevage de cette famille. Elles ont confirmé tout d'abord que la patiente sélection avait porté ses fruits quant aux moyens olfactifs, au sujet desquels il n'est que de maintenir, paraissant difficile de perfectionner encore. En effet, malgré la sécheresse et l'effroyable chaleur, pas une faute de nez ne fut commise. Aucun chien ne s'est tapé dans le gibier, aucun faux arrêt n'a été commis. Seul, un concurrent a fait quelques arrêts de places chaudes, non maintenus d'ailleurs. Pour tous les autres l'arrêt signalait la présence nette et vraie du gibier.

Quant à la quête, elle apparut intelligente, en rapport avec les moyens des sujets et leur genre de chasse. Par moyens, nous voulons dire allure : les sujets de tempérament galopeur croisent suffisamment, selon la nature des lieux, toujours naturellement, explorant le terrain le plus utilement ; les sujets de tempérament trotteur fouillent les champs selon leur instinct et sont, évidemment, plus à l'aise en terrain couvert. Chacun d'eux représente une formule différente ; on ne saurait les opposer, mais, au contraire, il convient de les utiliser selon les goûts ou les besoins. Toutefois, il a été constaté que le tempérament trotteur était plus généralisé chez les femelles, les mâles étant, pour la plupart, dans la formule galopeurs. Il y a vingt ans, c'était le contraire ; on en conclut, et l'allure trop lente de certaines femelles le confirme, que l'élevage doit rechercher à déceler des lices plus rapides, afin de maintenir parallèlement au courant trotteur, dans l'avenir, le courant galopeur bien fixé chez les étalons. La preuve a été administrée, une fois de plus, que l'allure, c'est-à-dire la vitesse, ne dépend pas du type physique : des mâles aux oreilles et babines typiquement braques, que certains jugeraient lourds, galopent allègrement et maintiennent leur galop ; des chiennes d'apparence plus légère chassent en trottinant.

On conçoit l'intérêt que peut présenter une telle initiative pour un élevage rationnel. Les field-trials, qui rassemblent des concurrents de toutes races, de toutes régions, et même ceux réservés aux chiens de même race, concurrents trop peu nombreux eu égard au cheptel total, et au surplus toujours les mêmes, ne peuvent fournir de tels enseignements. Ils ont leur raison d'être, malgré leur imperfection et leurs lacunes ; mais ce sont des réunions sur la formule dont nous venons de donner l'exemple qui devraient être au premier chef des préoccupations des clubs et des vrais amateurs. Mais il faudrait que l'amateurisme comprenne que, pour mériter son nom, il doit chercher dans les concours un moyen d'orienter et d'améliorer l'élevage, et non une réclame commerciale. On ne verrait pas, alors, des concurrents se réjouir d'avoir remporté par hasard un premier prix avec un chien médiocre, devant un as qui, malchanceux, n'a pas pu se classer.

Bravo ! Gascons, pour avoir donné l'exemple, vous que l'on taxe trop souvent d'hérétiques du sport canin.

Jean CASTAING.

Le Chasseur Français N°635 Janvier 1950 Page 17