Un avion américain a transporté 308 passagers qui, dans
l'enthousiasme de leur arrivée, ont grimpé sur les ailes, répondant en cela aux
exigences des photographes et, avant la lettre, de la postérité.
Pendant ce temps l'hélicoptère, tout mignon, poursuit sa
route du ciel qui tombe droit vers nous ; car cet engin de l'avenir
atterrit, tout tranquillement, à la verticale.
Les Pâques futures se passeront dans le ciel. L'automobile,
elle-même, risque d'être débordée. Il reste à la gloire du vélo d'avoir
engendré le tout.
Notez bien que l'avion actuel — (qu'il soit géant ou
miniature, baleine ou sauterelle) — aura « bonne mine » devant la
fusée interplanétaire.
* * *
Voyons comment notre père le vélo se tirera d'affaire.
Certains le voient s'apparentant au cheval et s'extrayant de
l'usage commun, d'où sa survivance, uniquement par le vélodrome et les courses
de professionnels sur route.
C'est déjà un premier sauvetage ; encore que les
courses sur route, au train où elles y vont, finiront par dresser contre elles
les pouvoirs publics, les usagers normaux de ladite route et les riverains
d'icelle. Passe, en effet, de voir des coureurs ; mais ne passera pas du
tout, un jour, de subir l'assaut d'escadrons motorisés dont certains rappellent
assez l'invasion, la conquête, l'occupation et l'inquisition.
Nous, qui ne souhaitons pas, on s'en doute, la mort de la
course sur route, propagande mouvante du cyclisme, nous rallierons à ceux qui
ont charge et devoir de freiner l'extravagance des balanceurs et des faucheurs.
Là n'est pas aujourd'hui la question. Elle consiste à savoir
comment le vélo tout simple, tout bête, celui qu'on propulse avec ses muscles,
se tirera de l'offensive du moteur.
L'auto perdra, dans quelques lustres, de fervents qui seront
devenus des volants ; mais, s'étant transformée elle-même en amphibie,
elle se rattrapera avec les amateurs de rivières.
Le vélo, propulsé musculairement (et uniquement cela,
j'insiste) a plus à craindre du moteur adjuvant, amovible ou non, dont la tenue
et la présentation progressent à pas de géant.
Au demeurant, ce vélo à moteur portera lui-même bientôt des
ailes. L'ère de l'aviette s'ouvre. Nous ne sommes plus loin d'entrer dans nos
maisons par les toits, devenus terrasses d'atterrissage, qui par aviette, qui
par avionnette.
Gabriel Poulain, le seul qui vola sans moteur, à bicyclette
et par ses propres moyens pendant plus de 10 mètres, pourrait, utilement, se
remettre au travail, concurremment avec un fabricant de moteur miniature.
Ce qui libérerait d'autant la route.
* * *
Pour me résumer, j'estime que, dans cinquante ans — ou avant
— celui qui entendra rester sur terre, sans pétarader, sera le plus heureux des
humains ...
Il est à présumer qu'on n'y rencontrera que le cycliste pur,
vrai, sincère, c'est-à-dire le cycliste pédaleur qui n'aura pas voulu d'un
moteur ni d'une paire d'ailerons ... et le piéton qui aura refusé de se
coiffer d'une hélice et de se vêtir d'un moteur ...
Tous deux seront sans doute un peu désuets sous un monde qui
s'entrecroisera, s'entrechoquera et, vraisemblablement, s'étripera, dans le
ciel ...
* * *
Enfin la vie sera redevenue belle ...
Les courses sur route auront retrouvé leur signification.
Elles ne seront plus des numéros acrobatiques au milieu de mastodontes
bruyants, car les officiels, eux-mêmes, jugeront les coureurs du haut des
nimbus.
Les organisateurs de courses sur piste, dans ce laps de
temps, auront compris que le pari mutuel (qui fait déjà florès sur les
vélodromes danois) appliqué aux hommes peut rapporter à l'État et au sport
autant que s'il est appliqué aux chevaux.
Les cyclotouristes se la couleront douce au long de
l'immense réseau routier français, orgueil jusqu'à ce jour de notre pays. Tout
au plus pourra-t-on craindre que les Ponts et Chaussées, n'ayant plus les mêmes
crédits pour l'entretenir, le laissent retourner à ses origines ...
Le charme n'en sera pas rompu pour autant, car l'usure en
sera aussi moins accentuée.
* * *
Finis les convois routiers qui sont pour nous, cyclistes,
vils serfs, une féodalité d'ailleurs malodorante !
Finis les cars orgueilleux auxquels la largeur de la route
est insuffisante et qui ne sauront jamais monter la Forclaz sans reculer dans
les virages !
Finis les bolides, dont les conducteurs ivres, fous,
inconscients de toute façon, se croient des as du macaron. Ceux-là s'essaieront
au manche à balai.
Tout cela volera ...
... et dégringolera de temps à autre.
Bah !
Oui, évidemment, dessous, il y aura nos têtes ... et
c'est bien l'ennui ; mais on aura certainement trouvé, d'ici là, des mécanismes
dits de sécurité qui réduiront les chutes.
Tout volera ...
... sauf nous, cyclistes purs, vrais ...
... sauf, aussi, le tracteur agricole, la motoculture ;
car je ne sais si le labour, l'ensemencement et la moisson pourront s'exprimer
autrement que sur la terre nourricière ...
Les beaux jours, pour la bicyclette, commencent.
René CHESAL.
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