Les stades ont fermé leurs portes, la boue envahit les
sautoirs et les cendrées sont à l'abandon. Les athlètes vont traverser pendant
six longs mois cette période d'hiver, qui est pour eux à la fois repos et
préparation. Quel que soit en effet le sport auquel on se destine, la saison
morte comporte une part importante de préparation technique et de mise en
condition physique. À la base de tous les sports, il y a la course à pied.
J'ai eu le bonheur de demeurer deux mois à Volodalen, La
Mecque du sport suédois, et j'ai pu y constater que tous les spécialistes de
tous les sports, tennismen et boxeurs, footballers et lutteurs, volleyers et
discoboles, gymnastes et escrimeurs, pratiquaient régulièrement le footing
quotidien dans les bois autour du centre d'entraînement.
Le cross-country est un sport à conseiller à tous les
sportifs, quels qu'ils soient. Il n'implique pas la vertigineuse monotonie des
dix mille mètres courus sous un soleil accablant, tour après tour, sur les
pistes d'été. Il est à la fois un sport de touriste de naturiste et d'esthète.
Il permet aux jeunes citadins de s'aérer, de découvrir les sentiers d'automne,
les paysages de forêts et d'étangs, de respirer à pleins poumons l'air des
sous-bois et des prés. Il joint l'agréable et l'utile, il prépare efficacement
un athlète aux compétitions, sans ennui, sans contrainte, en l'initiant à la
nature libre.
La France brille aujourd'hui d'un vif éclat dans ce beau
sport, qui n'est malheureusement pratiqué en grande compétition que par une
dizaine de nations. Nous sommes imbattus dans cette spécialité depuis 1938,
date où l'équipe de France, sous l'impulsion d'El Ghazi, ramena de
Grande-Bretagne le trophée des Six Nations. Depuis la reprise en 1946, nous
avons régulièrement triomphé des Britanniques, des Belges et des Espagnols, qui
disputent avec nous le Cross international, virtuel championnat du monde.
Sur le plan individuel, Pujazon, deux fois vainqueur,
Mimoun, qui l’emporta l'an dernier, apparaissent les meilleurs crossmen
d'Europe.
La Direction générale des sports avait pris une très
heureuse initiative à l'époque où on commença à mettre en application les
règlements de la formation prémilitaire. Elle fit disputer dans chaque canton
de France, puis dans chaque arrondissement, des cross de prospection parmi les
jeunes recrues. Tous les appelés étaient contraints d'y participer. Les
vainqueurs des éliminatoires se rencontraient au chef-lieu du département, les
meilleurs dans une épreuve régionale, et enfin la fine fleur de ces différentes
sélections disputait à Paris un véritable championnat de France des débutants.
Grâce à ce crible géant, qui devait être étendu notamment à l'athlétisme et à
la natation, on découvrit des crossmen de qualité. Bien entendu, cette
formation préliminaire, dont les résultats initiaux étaient excellents, fut
supprimée par la suite, pour raison d'économie. Il est peut-être bon de
rappeler à ce propos la réflexion du premier ministre suédois Branting : « Les
économies qui coûtent le plus cher sont celles qu'on fait au détriment du
capital santé d'une race. »
En Suède, on ignore le cross-country en ligne, tel qu'il est
pratiqué en Occident. Là-bas, c'est le cross d'orientation qui connaît une
immense faveur.
Il m'a été donné d'assister à un cross d'orientation de
grande envergure, au sud d'Upsala. Douze cents concurrents,
représentants cent clubs et toutes les provinces suédoises, étaient rassemblés
dans une vaste clairière au bord de la Baltique, à la nuit tombante. Tous
étaient habillés comme des jockeys, munis de boussoles et de lampes frontales,
et ils attendaient leur relais. Ce fut un avion qui surgit de la mer et qui le
leur lança. C'étaient de courts bâtonnets où était tracé un message du prince Bertil :
« Que le meilleur gagne, pour la gloire de la Suède. » Ils s'élancèrent
et ils coururent, par relais, toute la nuit, cherchant leur chemin à travers
les fourrés inextricables de la grande forêt nordique. Quelques-uns tombèrent
d'épuisement, beaucoup s'égarèrent, les autres luttèrent seuls, contre la nuit,
contre la fatigue, contre les routes embroussaillées où ils trébuchaient dans
des épines. Je les vis arriver le lendemain matin, rompus, griffés, heureux
d'avoir triomphé de toutes les embûches.
Et, à travers ce sport et la passion qu'il suscitait chez
les Suédois, je comprenais mieux la mystérieuse confidence que me faisait un
jour Gosta Ollander, grand prêtre de l'athlétisme suédois : « Les
secrets de notre entraînement physique, nous ne les avons pas inventés. Nous
sommes allés les chercher dans un livre français qui s'appelle l’Émile et
dont l'auteur est Jean-Jacques Rousseau.
Gilbert PROUTEAU.
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