Accueil  > Années 1950  > N°635 Janvier 1950  > Page 26 Tous droits réservés

Le cross-country

Les stades ont fermé leurs portes, la boue envahit les sautoirs et les cendrées sont à l'abandon. Les athlètes vont traverser pendant six longs mois cette période d'hiver, qui est pour eux à la fois repos et préparation. Quel que soit en effet le sport auquel on se destine, la saison morte comporte une part importante de préparation technique et de mise en condition physique. À la base de tous les sports, il y a la course à pied.

J'ai eu le bonheur de demeurer deux mois à Volodalen, La Mecque du sport suédois, et j'ai pu y constater que tous les spécialistes de tous les sports, tennismen et boxeurs, footballers et lutteurs, volleyers et discoboles, gymnastes et escrimeurs, pratiquaient régulièrement le footing quotidien dans les bois autour du centre d'entraînement.

Le cross-country est un sport à conseiller à tous les sportifs, quels qu'ils soient. Il n'implique pas la vertigineuse monotonie des dix mille mètres courus sous un soleil accablant, tour après tour, sur les pistes d'été. Il est à la fois un sport de touriste de naturiste et d'esthète. Il permet aux jeunes citadins de s'aérer, de découvrir les sentiers d'automne, les paysages de forêts et d'étangs, de respirer à pleins poumons l'air des sous-bois et des prés. Il joint l'agréable et l'utile, il prépare efficacement un athlète aux compétitions, sans ennui, sans contrainte, en l'initiant à la nature libre.

La France brille aujourd'hui d'un vif éclat dans ce beau sport, qui n'est malheureusement pratiqué en grande compétition que par une dizaine de nations. Nous sommes imbattus dans cette spécialité depuis 1938, date où l'équipe de France, sous l'impulsion d'El Ghazi, ramena de Grande-Bretagne le trophée des Six Nations. Depuis la reprise en 1946, nous avons régulièrement triomphé des Britanniques, des Belges et des Espagnols, qui disputent avec nous le Cross international, virtuel championnat du monde.

Sur le plan individuel, Pujazon, deux fois vainqueur, Mimoun, qui l’emporta l'an dernier, apparaissent les meilleurs crossmen d'Europe.

La Direction générale des sports avait pris une très heureuse initiative à l'époque où on commença à mettre en application les règlements de la formation prémilitaire. Elle fit disputer dans chaque canton de France, puis dans chaque arrondissement, des cross de prospection parmi les jeunes recrues. Tous les appelés étaient contraints d'y participer. Les vainqueurs des éliminatoires se rencontraient au chef-lieu du département, les meilleurs dans une épreuve régionale, et enfin la fine fleur de ces différentes sélections disputait à Paris un véritable championnat de France des débutants. Grâce à ce crible géant, qui devait être étendu notamment à l'athlétisme et à la natation, on découvrit des crossmen de qualité. Bien entendu, cette formation préliminaire, dont les résultats initiaux étaient excellents, fut supprimée par la suite, pour raison d'économie. Il est peut-être bon de rappeler à ce propos la réflexion du premier ministre suédois Branting : « Les économies qui coûtent le plus cher sont celles qu'on fait au détriment du capital santé d'une race. »

En Suède, on ignore le cross-country en ligne, tel qu'il est pratiqué en Occident. Là-bas, c'est le cross d'orientation qui connaît une immense faveur.

Il m'a été donné d'assister à un cross d'orientation de grande envergure, au sud d'Upsala. Douze cents concurrents, représentants cent clubs et toutes les provinces suédoises, étaient rassemblés dans une vaste clairière au bord de la Baltique, à la nuit tombante. Tous étaient habillés comme des jockeys, munis de boussoles et de lampes frontales, et ils attendaient leur relais. Ce fut un avion qui surgit de la mer et qui le leur lança. C'étaient de courts bâtonnets où était tracé un message du prince Bertil : « Que le meilleur gagne, pour la gloire de la Suède. » Ils s'élancèrent et ils coururent, par relais, toute la nuit, cherchant leur chemin à travers les fourrés inextricables de la grande forêt nordique. Quelques-uns tombèrent d'épuisement, beaucoup s'égarèrent, les autres luttèrent seuls, contre la nuit, contre la fatigue, contre les routes embroussaillées où ils trébuchaient dans des épines. Je les vis arriver le lendemain matin, rompus, griffés, heureux d'avoir triomphé de toutes les embûches.

Et, à travers ce sport et la passion qu'il suscitait chez les Suédois, je comprenais mieux la mystérieuse confidence que me faisait un jour Gosta Ollander, grand prêtre de l'athlétisme suédois : « Les secrets de notre entraînement physique, nous ne les avons pas inventés. Nous sommes allés les chercher dans un livre français qui s'appelle l’Émile et dont l'auteur est Jean-Jacques Rousseau.

Gilbert PROUTEAU.

Le Chasseur Français N°635 Janvier 1950 Page 26