Accueil  > Années 1950  > N°635 Janvier 1950  > Page 32 Tous droits réservés

Le jardinage

école du caractère

On entend journellement célébrer les bienfaits du jardinage pour la santé physique : il n'est pas de quinquagénaire ou même de sexagénaire pratiquant cette occupation en amateur qui ne lui attribue la conservation de sa souplesse, l'élimination de son acide urique et la rubicondité de ses joues, dont ses amis lui font compliment.

Mais on ne parle jamais de sa valeur éducative et de ses bienfaits dans l'ordre moral. Il y a bien longtemps, lorsque je fréquentais l'école communale de mon village gâtinais, l'instituteur nous conduisait, deux fois l'an au maximum, à ce que l'on appelait pompeusement « le champ d'expériences », où il était censé nous donner quelques notions élémentaires sur l'agriculture et l'horticulture. Le brave homme voyait sans doute dans cette expédition semestrielle une simple corvée, et les galopins que nous étions n'y voyaient, eux, qu'une promenade le long des haies chargées de prunelles ou de mûres. L'un et les autres avaient grand tort, et j'ai découvert depuis que ces sorties auraient dû fournir à notre maître l'occasion d'une leçon sur le profit qu'un adolescent peut et doit tirer du jardinage pour la formation de son caractère d'homme, c'est-à-dire pour son éducation de futur travailleur, de futur chef de famille et de futur citoyen.

Le jardinage est d'abord une école de patience et de soumission à la nature. On travaille dans un jardin en vue de résultats non immédiats. Il faut faire des plans à l'avance et en préparer la réalisation méthodique. Lorsque vous voulez semer telle ou telle graine, vous devez d'abord préparer la terre en temps voulu, semer à la période favorable, donner au terrain les soins et façons appropriés, tenir compte des conditions climatiques et de la nature du terrain, ce qui demande du jugement et du bon sens. Parfois, malgré toute votre expérience et vos précautions, les résultats sont compromis par des intempéries imprévues, un gel prématuré, des orages de grêle, des pluies prolongées. Il faut se soumettre et recommencer, s'il est encore temps, ou remettre à l'année suivante. Et puis, la graine une fois mise en terre, il faut encore de la patience pour attendre sa levée, suivre les progrès de la petite plante jusqu'à son plein développement. Et ne faut-il pas une constance voisine de la sainteté pour arracher les mauvaises herbes en sachant que tout sera peut-être à recommencer le lendemain ? Mais, s'il faut être patient et supporter d'un cœur égal une adversité contre laquelle il n'est pas toujours de protection, inversement le jardinage nous apprend aussi à ne jamais désespérer. Combien de fois n'avez-vous pas entendu des lamentations du genre de celle-ci :

« Oh ! i1 n'y aura pas de fruits cette année, je n'ai pas une prune, etc. ... », et puis vous apprenez quelques semaines après que la récolte ne sera pas si mauvaise qu'on l'avait craint. La sécheresse de l'été dernier avait désespéré nombre d'horticulteurs, qui furent bien surpris lorsque les premières pluies firent sortir de terre des légumes semés depuis longtemps et sur lesquels ils ne comptaient plus.

Jardiner, c'est donc travailler pour l'avenir, et quoi de plus utile pour la formation du caractère d'un homme que de savoir de bonne heure établir des plans de longue haleine, étudier les meilleurs moyens de les réaliser, les mettre en œuvre méthodiquement, en tenant compte des circonstances particulières à chaque cas. Si vous voulez récolter tel légume l’an prochain, il faut y penser longtemps à l'avance, choisir le terrain en ne perdant pas de vue ce qui y avait été planté l'an passé, etc. Si vous voulez avoir des fruits sains à la fin de l'été prochain, c'est dès la cueillette de la récolte de cette année qu'il faut vous occuper de lutter contre les parasites et ennemis divers qu'il ne faut plus cesser de pourchasser jusque après la floraison. Cette lutte vigilante contre les ennemis n'est-elle pas aussi une bonne formation pour le caractère, la vie moderne obligeant à rester continuellement au garde à vous contre une foule de difficultés de toutes sortes que nos semblables s'ingénient parfois à semer sous nos pas ?

Pour cela, il faut bien les connaître, ces ennemis. Et le jardinage, tel qu'on doit le pratiquer, nécessite une étude sérieuse de la manière de les combattre, qui comporte elle-même des notions de zoologie, de chimie, d'analyse des terrains, etc. C'est un bon entraînement pour l'esprit. Et cette étude de la nature dans ses diverses manifestations a sa récompense dans le bienfait moral et les satisfactions que procure la contemplation des merveilles qu'elles nous offre. Peut-on trouver chose plus admirable que la métamorphose progressive d'une graine pas plus grosse qu'une tête d'épingle en une plante aux racines profondément accrochées dans le sol, aux feuilles si variées de formes et de dimensions, et finalement en une fleur aux couleurs éclatantes et au parfum délicat ? L'étude de la nature, en même temps qu'elle enrichit la somme des connaissances, apporte un délassement désintéressé au milieu des travaux manuels et conduit logiquement à celle des insectes ou des oiseaux, qui réserve d'autres surprises et d'autres émerveillements. Ces études ont en outre le grand avantage, pour la formation du caractère, de développer au plus haut point le sens de l'observation, dont il est superflu de faire ressortir l'utilité dans la vie de tous les jours.

Je vois encore un grand enseignement à tirer du jardinage : c'est qu'il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu'on peut faire le jour même. Ce précepte est bien connu, puisqu'il est passé en proverbe, mais on le néglige souvent. Le jardinage nous rappelle à l'ordre : chaque traitement doit être fait en son temps et dès que les circonstances atmosphériques le permettent ; si l'on remet de jour en jour, on risque d'être empêché par un brusque changement de temps, gel, pluie, grêle, qui, en se prolongeant, ne permettra plus de réaliser l'opération dans les conditions prescrites, ce qui peut signifier la récolte d'une année compromise.

Si le jardinage donne au jeune homme et à l'homme fait la patience, la constance devant l'adversité, le goût des plans mûrement étudiés et méthodiquement conduits à réalisation, le goût de l'étude et le sens de l'observation avec la ponctualité dans l'exécution des tâches, je crois qu'il mérite, comme je le disais au début, d'être considéré comme un précieux éducateur du caractère. Et, dans un temps où le besoin d'hommes de caractère se fait particulièrement sentir, il n'était peut-être pas inutile d'inviter ses adeptes à réfléchir sur un de ses aspects trop négligés.

Léo JOINART.

Le Chasseur Français N°635 Janvier 1950 Page 32