On entend journellement célébrer les bienfaits du jardinage
pour la santé physique : il n'est pas de quinquagénaire ou même de
sexagénaire pratiquant cette occupation en amateur qui ne lui attribue la
conservation de sa souplesse, l'élimination de son acide urique et la rubicondité
de ses joues, dont ses amis lui font compliment.
Mais on ne parle jamais de sa valeur éducative et de ses
bienfaits dans l'ordre moral. Il y a bien longtemps, lorsque je fréquentais
l'école communale de mon village gâtinais, l'instituteur nous conduisait, deux
fois l'an au maximum, à ce que l'on appelait pompeusement « le champ
d'expériences », où il était censé nous donner quelques notions
élémentaires sur l'agriculture et l'horticulture. Le brave homme voyait sans
doute dans cette expédition semestrielle une simple corvée, et les galopins que
nous étions n'y voyaient, eux, qu'une promenade le long des haies chargées de
prunelles ou de mûres. L'un et les autres avaient grand tort, et j'ai découvert
depuis que ces sorties auraient dû fournir à notre maître l'occasion d'une
leçon sur le profit qu'un adolescent peut et doit tirer du jardinage pour la
formation de son caractère d'homme, c'est-à-dire pour son éducation de futur
travailleur, de futur chef de famille et de futur citoyen.
Le jardinage est d'abord une école de patience et de soumission
à la nature. On travaille dans un jardin en vue de résultats non immédiats.
Il faut faire des plans à l'avance et en préparer la réalisation
méthodique. Lorsque vous voulez semer telle ou telle graine, vous devez
d'abord préparer la terre en temps voulu, semer à la période favorable, donner
au terrain les soins et façons appropriés, tenir compte des conditions
climatiques et de la nature du terrain, ce qui demande du jugement et du
bon sens. Parfois, malgré toute votre expérience et vos précautions, les
résultats sont compromis par des intempéries imprévues, un gel prématuré, des
orages de grêle, des pluies prolongées. Il faut se soumettre et recommencer,
s'il est encore temps, ou remettre à l'année suivante. Et puis, la graine une
fois mise en terre, il faut encore de la patience pour attendre sa levée,
suivre les progrès de la petite plante jusqu'à son plein développement. Et ne
faut-il pas une constance voisine de la sainteté pour arracher les mauvaises
herbes en sachant que tout sera peut-être à recommencer le lendemain ?
Mais, s'il faut être patient et supporter d'un cœur égal une adversité contre
laquelle il n'est pas toujours de protection, inversement le jardinage nous
apprend aussi à ne jamais désespérer. Combien de fois n'avez-vous pas
entendu des lamentations du genre de celle-ci :
« Oh ! i1 n'y aura pas de fruits cette année, je
n'ai pas une prune, etc. ... », et puis vous apprenez quelques
semaines après que la récolte ne sera pas si mauvaise qu'on l'avait craint. La
sécheresse de l'été dernier avait désespéré nombre d'horticulteurs, qui furent
bien surpris lorsque les premières pluies firent sortir de terre des légumes
semés depuis longtemps et sur lesquels ils ne comptaient plus.
Jardiner, c'est donc travailler pour l'avenir, et
quoi de plus utile pour la formation du caractère d'un homme que de savoir de
bonne heure établir des plans de longue haleine, étudier les meilleurs moyens
de les réaliser, les mettre en œuvre méthodiquement, en tenant compte des
circonstances particulières à chaque cas. Si vous voulez récolter tel légume l’an
prochain, il faut y penser longtemps à l'avance, choisir le terrain en ne
perdant pas de vue ce qui y avait été planté l'an passé, etc. Si vous voulez
avoir des fruits sains à la fin de l'été prochain, c'est dès la cueillette de
la récolte de cette année qu'il faut vous occuper de lutter contre les
parasites et ennemis divers qu'il ne faut plus cesser de pourchasser jusque après
la floraison. Cette lutte vigilante contre les ennemis n'est-elle pas aussi une
bonne formation pour le caractère, la vie moderne obligeant à rester
continuellement au garde à vous contre une foule de difficultés de toutes
sortes que nos semblables s'ingénient parfois à semer sous nos pas ?
Pour cela, il faut bien les connaître, ces ennemis. Et le
jardinage, tel qu'on doit le pratiquer, nécessite une étude sérieuse de la
manière de les combattre, qui comporte elle-même des notions de zoologie, de
chimie, d'analyse des terrains, etc. C'est un bon entraînement pour l'esprit.
Et cette étude de la nature dans ses diverses manifestations a sa récompense
dans le bienfait moral et les satisfactions que procure la contemplation des
merveilles qu'elles nous offre. Peut-on trouver chose plus admirable que la
métamorphose progressive d'une graine pas plus grosse qu'une tête d'épingle en
une plante aux racines profondément accrochées dans le sol, aux feuilles si
variées de formes et de dimensions, et finalement en une fleur aux couleurs
éclatantes et au parfum délicat ? L'étude de la nature, en même temps
qu'elle enrichit la somme des connaissances, apporte un délassement
désintéressé au milieu des travaux manuels et conduit logiquement à celle des
insectes ou des oiseaux, qui réserve d'autres surprises et d'autres
émerveillements. Ces études ont en outre le grand avantage, pour la formation
du caractère, de développer au plus haut point le sens de l'observation,
dont il est superflu de faire ressortir l'utilité dans la vie de tous les
jours.
Je vois encore un grand enseignement à tirer du jardinage :
c'est qu'il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu'on peut faire le jour
même. Ce précepte est bien connu, puisqu'il est passé en proverbe, mais on le
néglige souvent. Le jardinage nous rappelle à l'ordre : chaque traitement
doit être fait en son temps et dès que les circonstances atmosphériques le
permettent ; si l'on remet de jour en jour, on risque d'être empêché par
un brusque changement de temps, gel, pluie, grêle, qui, en se prolongeant, ne
permettra plus de réaliser l'opération dans les conditions prescrites, ce qui
peut signifier la récolte d'une année compromise.
Si le jardinage donne au jeune homme et à l'homme fait la
patience, la constance devant l'adversité, le goût des plans mûrement étudiés
et méthodiquement conduits à réalisation, le goût de l'étude et le sens de
l'observation avec la ponctualité dans l'exécution des tâches, je crois qu'il
mérite, comme je le disais au début, d'être considéré comme un précieux
éducateur du caractère. Et, dans un temps où le besoin d'hommes de caractère se
fait particulièrement sentir, il n'était peut-être pas inutile d'inviter ses
adeptes à réfléchir sur un de ses aspects trop négligés.
Léo JOINART.
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