L'Agronomie tropicale de mars-avril 1949 a fait paraître :
« La classification, la répartition et l'utilisation des terres en
Nouvelle-Calédonie », c'est-à-dire le : « Rapport au Seventh
Pacific Science Congress », par Jacques Barrau. Je ne puis qu'en donner
des extraits littéraux et un bref résumé pour, avec l'aide de la toute récente
notice du 16 juin 1949 du ministère de la France d'outre-mer, établir un
bilan de la colonisation en Nouvelle-Calédonie.
Dans cette île, l'unité géographique agricole et sociale,
même biologique, est le bassin. Chaque bassin présente une série de formations
végétales distinctes. Elles servent de cadre à la classification ci-après :
1° La zone littorale, coupée à l'embouchure des cours d'eau
par la mangrove.
2° La savane herbeuse à niaouli jusqu'à 400 à 500 mètres
d'altitude.
3° Les galeries forestières traversant la savane à niaouli, le
long des cours d'eau jusqu'à la forêt humide.
4° La forêt humide qui peut monter jusqu'à 1.000 mètres.
5° La forêt sèche à araucaria et casuarina au-dessous de
1.000 mètres.
6° Le maquis des sommets, surtout sur les sols d'altération
des serpentines.
Domaine des cultures.
— Terres à cultures pérennes : domaine du caféier,
les galeries forestières ; domaine du cocotier, zone littorale.
— Terres à cultures annuelles : galeries
forestières des vallées et savanes attenantes.
Domaine de l’élevage.
— Pâturages d'engrais, galeries forestières et savanes
attenantes le long des cours d'eau. Pacages, savanes herbeuses à niaouli.
Exploitations forestières.
— Toutes les forêts humides, sèches et des massifs serpentineux.
La forêt est évaluée à 70.000 hectares, 12.000 hectares sont exploités. Le
rendement pourrait être sérieusement amélioré. (De tout temps, on a importé du
bois d'Amérique.)
D'un tableau très précis, nous relevons qu'il existe 968
propriétés de moins de 25 hectares, 289 allant de 25 à 50 hectares, 411 de 50 à
250 hectares et 67 de 250 à 500 hectares, soit 1.735 propriétés réunissant
67.306 hectares représentant 95 p. 100 du nombre des concessions et seulement
20 p. 100 de la superficie concédée. Par contre, 95 domaines groupant 190.682
hectares représentent 5p. 100 du nombre des propriétés, mais possèdent 80 p.
100 de la superficie totale des terres.
Les terres sont utilisées ainsi : cocotiers :
5.000 hectares ; caféiers : 5.000 hectares ; bananiers :
1.000 hectares ; ignames, manioc, taros : 1.500 hectares ; maïs :
500 hectares ; froment : 150 hectares ; riz ; 150 hectares ;
patates : 150 hectares ; haricots, pois : 100 hectares ;
pommes de terre : 70 hectares ; pâturages améliorés : 70.000
hectares.
« On voit donc que la petite propriété de 25 à 50
hectares, fondement de la quasi-totalité des systèmes de colonisation essayés,
ne s'est pas intégralement maintenue.
» En effet, bien des colons découragés, dès qu'ils ont
été en possession de leur titre définitif, ont vendu leur terrain, ce qui a
abouti à la création d'un nombre relativement important de propriétés de 250 à
5.000 hectares, dont la plus grande partie a pour fin principale l'élevage. »
Pendant la guerre, le fonctionnement d'une section agricole
de l'armée américaine (F. F. A.) a permis aux colons de prendre un contact plus
étroit avec les méthodes modernes de culture, notamment avec la motoculture. Le
rachat du matériel américain a permis de garder dans le pays 20 tracteurs de 40
à 60 CV, 10 plus légers de 12 à 40 CV et 120 motoculteurs de 5 à 12 CV. Une
grande partie des tracteurs de 12 à 40 CV est utilisée sous forme coopérative.
Cette mécanisation entraînera sans doute une extension des surfaces cultivées.
Cultures asiatiques.
— Depuis ces dernières années, la formule du métayage
conclue avec des Indonésiens s'est généralisée. Certains d'entre eux exploitent
sous cette forme des caféières européennes. D'autres se livrent sur de petites
surfaces à d'intensives cultures avec leurs méthodes traditionnelles.
Environ 2.000 Asiatiques, en majorité Indonésiens, sont
employés par l'agriculture et l'élevage.
Cultures indigènes.
— Le Canaque cultive l'igname en culture sèche et le
taro en culture humide. Son outillage se compose d'un pieu en bois dur, d'une
houe en pierre polie et d'une pelle en bois. Cependant, certaines tribus ont
demandé à bénéficier du matériel de motoculture d'une société coopérative. En
quelques endroits, les canaques cultivent des cocotiers et des caféiers. À Canala,
leur production est plus élevée que celle des Européens.
Élevage.
— L'élevage est très extensif, il se pratique sur les
70.000 hectares de pâturages, mais aussi sur des étendues le plus souvent en
friches de certaines stations et les 251.400 hectares des locations. La surface
totale des propriétés foncières, locations et réserves, est de 649.700
hectares. La surface cultivée n'est que de 11.150 hectares.
Le cheptel se monte à 118.380 têtes, comprenant : 8.430
chevaux, 91.000 bovins, 2.300 moutons, 5.450 chèvres, 11.200 porcs. Il faut
plus de 5 hectares par tête de bétail élevée.
Mines.
— La surface du terrain minier est de 480.000 hectares
en majeure partie dans les formations serpentineuses. On exploite surtout le nickel
et le chrome. On trouve également cobalt, cuivre, manganèse, plomb argentifère,
zinc, antimoine, mercure, fer, houille, or, gypse, carbonate de magnésie.
Le rapport conclut ainsi :
« La Nouvelle-Calédonie, minière par excellence est
donc un pays d'agriculture et d'élevage très extensif. Il n'en a pas toujours
été ainsi et, si les surfaces cultivées sont aujourd'hui si réduites (11.150
hectares), c'est en fait le résultat d'une très réelle carence de main-d'œuvre
et surtout d'une série de crises économiques qui entraînent un climat
d'insécurité fort peu propice à une agriculture et un élevage intensifs.
» On peut noter actuellement une évolution très nette
qui, grâce à une modernisation des méthodes de culture et une organisation
sociale de la population rurale, tant européenne qu'indigène, aboutira
certainement à une extension des surfaces cultivées et à une amélioration des
méthodes d'élevage.
» Parallèlement, les exploitations forestières
s'organisent et s'étendent. Il est logique de penser que, si l'industrie
minière garde toujours une place prépondérante du fait de la nature de l'île,
agriculture et élevage atteindront cependant la limite de leurs possibilités
d'extension. »
Population.
— Il existe environ 19.000 Européens ou assimilés, dont
10.450 à Nouméa, les autres à l'intérieur, 31.500 autochtones (Canaques),
12.000 travailleurs immigrés, Tonkinois ou Indonésiens ; ce dernier
chiffre est variable. L'augmentation par suite de l'excédent, des naissances
sur les décès est de 200 à 250 pour les Européens et d'autant pour les Canaques
chaque année.
La notice récente nous annonce qu'à l'heure actuelle la
presque totalité des terres cultivables est attribuée tant aux Européens qu'aux
« réserves indigènes ». Les personnes désireuses d'acquérir des
immeubles bâtis ou non bâtis doivent dans la plupart des cas acheter ceux-ci
par la voie normale. Il existe un notaire à Nouméa. Pour les propriétés déjà
mises en valeur et les immeubles bâtis, les prix sont assez élevés. Les terres
incultes, mises en vente, le sont à des prix assez faibles variant généralement
de 150 à 400 francs C. F. P. à l'hectare. (Le franc C. F. P. vaut 5 fr. 48 du
franc métropolitain).
Un petit arrivage de travailleurs indonésiens destinés aux
mines a eu lieu récemment.
Commerce.
— La quasi-totalité des conserves de viande, les
coquillages de nacre, les oléagineux, le café, l'essence de niaouli, les masses
de nickel, presque la moitié du minerai de chrome viennent en France.
En 1948, l'importation s'est élevée à 554.000.000 de francs
C. F. P. et l'exportation à 328.000.000 de francs C. F. P.
Les principaux clients ou fournisseurs sont :
l'Australie, les États-Unis d'Amérique, la Nouvelle-Zélande.
Depuis 1916 je suis la colonisation en Nouvelle-Calédonie,
j'ai, l'un des premiers, repris la question de la main-d'oeuvre tonkinoise,
j'ai vu toute la documentation, aussi les principaux colons et les
organisateurs. Voici mes conclusions :
Grand succès au point de vue démographique, et peuplement
blanc. Quant au point de vue économique, tous les colons ont pu vivre en bons
paysans, mais un petit nombre seulement est arrivé à la fortune. Grâce à
l'Institut français de l'Océanie, rattaché à l'Office des recherches
scientifiques, récemment établi à Vata, on peut espérer mieux après la présente
crise de main-d'œuvre, mais il faudra des capitaux importants.
Victor TILLINAC.
|