L'arrière-saison est particulièrement propice aux échanges
d'idées entre disciples de saint Hubert ; toutes n'ont pas,
malheureusement, la même valeur, et il suffit d'écouter, au soir des journées de
chasse, les conversations tenues au coin du feu pour constater que, parmi de
judicieux propos, il apparaît parfois des opinions passablement saugrenues.
Parmi celles-ci, nous avons entendu l'éloge de la cartouche
à deux fins entrepris à nouveau par des gens convaincus, mais peu compétents.
Dans ces colonnes, nous avions, il y a une dizaine d'années, essayé de faire justice
de cette idée malencontreuse ; aujourd'hui, nous allons encore
entreprendre d'éclairer quelques retardataires.
Et d'abord, qu'appelle-t-on cartouche à deux fins ?
Évidemment, c'est une cartouche destinée au tir de deux gibiers assez
différents que l'on peut rencontrer sur le même terrain. Si, comme nous l'avons
exposé dans une précédente causerie, la cartouche à deux fins est, par le choix
judicieux de son chargement en plomb, susceptible de procurer aux moyennes
distances un nombre suffisant d'atteintes efficaces sur les gibiers envisagés,
elle répond à une utilisation rationnelle de la puissance des projectiles.
Mais, dans l'esprit de trop nombreux chasseurs, la cartouche
à deux fins est trop souvent une cartouche chargée avec un mélange de deux
numéros de plomb aussi disparates que possible, chaque numéro étant le
plomb-type convenant à chaque gibier. Nous entendons préconiser, en particulier,
un mélange de n° 8 et de n° 4 comme excellent pour tirer le lièvre et
la perdrix ; examinons cette conception d'un peu plus près.
Une cartouche calibre 16 renferme 28 grammes de plomb n° 8,
soit 410 grains ; elle peut être chargée également avec 28 grammes de n° 4,
comportant 138 grains. Si nous essayons de réaliser un chargement mixte composé
de 14 grammes de chaque numéro, il comprendra un total de 205 + 69 = 274 grains.
Or le plomb n° 8 en canon cylindrique assure, vers 35
mètres, une densité de quatre atteintes au décimètre carré et il est, au point
de vue de la puissance, à sa limite d'efficacité sur la perdrix.
Le chargement mixte ne permettra, lui, que deux atteintes et
demie à cette, même distance et sera inefficace une fois sur deux ; très rarement,
un grain de n° 4 viendra causer une blessure grave.
Sur le lièvre, la cartouche ainsi constituée se comportera
assez bien au-dessous d'une vingtaine de mètres environ, mais, une dizaine de
mètres plus loin, le plomb n° 8 ne peut plus causer de blessure sérieuse au
lièvre ; seuls les 69 grains de n° 4 comptent et agissent, comme
s'ils provenaient d'une arme de petit calibre chargée de 14 grammes seulement ;
le groupement est donc très insuffisant.
En résumé, le mélange des plombs n'est efficace qu'à courte
distance, mais pas plus qu'une cartouche normale de plomb moyen, et, dès la
limite de portée, il n'offre plus de chances sérieuses.
Nous devons, en, outre, signaler que les plombs de diverses
grosseurs perdent d'autant plus vite leurs vitesses qu'ils sont de plus petit
diamètre ; une charge normale s'allonge déjà sur plusieurs mètres aux
portées moyennes et une charge mixte arrive au but en deux paquets, le n° 4
en tête et le n° 8 sensiblement en arrière. On perd ainsi le bénéfice de
l'instantanéité du choc, laquelle est toujours souhaitable au point de vue de
l'ensemble des atteintes et de leur effet.
On peut admettre que vers 35 mètres, dans un mélange de n° 8
et de n° 4, le petit plomb a pris environ deux centièmes de seconde de
retard sur le gros. On sait, d'autre part, que la vitesse moyenne du gibier est
de 12 à 15 mètres par seconde, ce qui permet à la pièce de gibier de parcourir environ
0m,30 entre la percussion des deux numéros. Une perdrix bien centrée commencera
par passer au travers des grains de n° 4, puis se trouvera ensuite dans la
périphérie du groupement du n° 8, lequel manquera à la fois de densité et
de puissance.
La seule méthode permettant d'utiliser rationnellement un
chargement mixte serait de lancer en même temps 28 grammes de n° 4 et 28
grammes de n° 8, ce qui nécessiterait l'emploi du calibre 8.
En résumé, l'arme à deux coups munie de deux cartouches
chargées de plombs différents reste de beaucoup la plus pratique pour la chasse
courante. Ce genre d'arme permet seul la sélection rapide de la munition au
moment du tir.
Nous ne terminerons pas cette causerie sans affirmer que le
mélange des variétés de poudres est aussi absurde que le mélange des numéros de
plomb.
Au temps des poudres noires, certains chasseurs mélangeaient
volontiers divers numéros et même deux qualités de poudre, pensant ainsi
obtenir un explosif avantageux. Nous rappellerons, une fois de plus, que la
vitesse de combustion et le développement des pressions, sont liés à la
grosseur des grains et que l'échantillonnage de ces derniers a été étudié pour
convenir à la série des calibres usuels. Tout mélange est donc irrationnel.
En ce qui concerne les poudres pyroxylées, les amorçages
actuels sont établis pour enflammer les poudres T et K dans les meilleures
conditions possibles. Il n'est donc pas utile de disposer un appoint de poudre
noire au voisinage de 1'amorçage ; cette pratique n'offrirait d'intérêt
que pour les très gros calibres.
Nous insisterons sur ce fait que les poudres de chasse sont
étudiées pour travailler dans des conditions précises et que toute modification
au standard d'emploi expose l'usager à, des mécomptes ou à des accidents.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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