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Beau temps ?

Fera-t-il beau ? Il n'est, pas un fanatique qui ne se pose anxieusement cette question à la veille d'une journée de chasse. Pas un qui, au saut du lit, ne se précipite à la fenêtre pour inspecter le ciel. Les plus nerveux ont parfois des insomnies et, au cours de la nuit, se lèvent pour humer l’air et essayer de deviner ce que va être la journée.

C'est que la température est l'un des éléments essentiels d’une partie de chasse.

Autrefois on consultait le-baromètre ; on cherchait dans le ciel, dans la forme et le mouvement des nuages, dans le vol des oiseaux tout ce qui pouvait être un indice du temps du lendemain. Il faut bien dire aussi que, même si tout s'annonçait mal, on espérait toujours. On se remontait le moral en se disant : « Tout peut changer d'ici demain ...  »

Mais maintenant, c'est affreux ! On tourne le bouton de la radio à l'heure des prévisions météorologiques. On écoute fébrilement. On vous annonce le temps qu'il fait. C'est vraiment peine inutile ; car il n'est pas besoin d'un météorologue sagace pour savoir s'il pleut, s'il neige, s'il vente ou s'il fait soleil. Vient enfin la minute attendue : évolutions probables pour la journée de demain ! Cela, c'est intéressant. Mais le plus souvent, c'est le coup de massue qui brise tous les rêves et toutes les illusions : ces prophètes de malheur se trompent rarement ... et la T. S. F. nous a ainsi habitués à ne plus nous bercer de la douce chimère d’un miracle changeant la température.

Souvent le monsieur ou la dame qui vous parlent de loin semblent avoir un air réjoui, en vous annonçant : « Ciel clair et ensoleillé ! »

Les pauvres ! Ils croient peut-être que c'est un beau temps, ce ciel clair et ensoleillé !

Mais lorsqu’on parle d’un beau temps de chasse, cela ne veut pas dire que le temps est beau, que le temps est joli et agréable.

Ciel clair et ensoleillé ! est-ce un beau temps pour le chasseur de sauvagines, par exemple ? Est-ce que c’est un beau temps pour aller au gabion, à la hutte ou  à la volée ?

Lorsque, pour la première fois, je suis allé à la volée, chez un ami maritime, j'arrivai chez lui par une tempête effroyable et une pluie torrentielle. Il me dit tout guilleret :

— Il fera rudement beau demain.

— Tu crois que le temps va se remettre d’ici là ? lui dis-je naïvement.

— Mais il ne faut pas que le temps change, me répond-il. C’est un temps épatant.

Le lendemain, le temps est aussi merveilleux. La tempête et la pluie sont toujours là !

Bien avant l’aurore, bottes aux pieds et cirés au corps, nous voilà partis dans le vent et sous l'averse. Nous faisons halte dans une anse boueuse entre Fouras et Chatelaillon, très renommée dans la région. Nous cherchons une touffe de roseaux ou de joncs encore inhabitée et, chacun de nous blotti le long de sa touffe, on attend. Et ça commence à passer ! On ne voit rien encore, mais on entend … des centaines et des centaines de canards qui passent, des sarcelles qui, comme des bolides, vous frôlent la tête ! Oh ! on n'a pas fait d’hécatombes ! Mais il n'y a pas à dire, cela a volé … et c'était un vrai beau temps !

Et ces journées glaciales où le commun des mortels crève de froid et se chauffe frileusement au coin du feu, croyez-vous qu’elles n'apparaissent pas souvent comme de merveilleuses journées aux amateurs de palmipèdes ?

Ciel serein et beau, soleil ! Croyez-vous que tous les chasseurs de bécasses l'apprécient tant que cela ? J'en ai connu qui n’aimaient rien tant que ces journées de brouillard épais pour foncer au fourré où, à l’agrément des oreilles déchirées, s'ajoutait la fraîche sensation des gouttelettes qui, de toutes les branches, leur tombaient sur le nez et dans le cou.

Ciel d'azur et beau soleil ! Mais c'est presque toujours une catastrophe pour la chasse au chien courant, et plus spécialement pour la chasse à courre.

Je me rappelle cette réflexion de l’excellent, ardent et sympathique veneur qu'était Perreau de Launay. Par une belle journée de mars, j'étais allé le rejoindre à une de ses chasses à courre en forêt de Chezé.

L'animal avait déjà débuché. Chiens, piqueurs, maître d'équipage et invités étaient là en pleine déroute à une croisée de chemin ; en m’apercevant, Perreau bondit et me crie : « Vous, un chasseur au chien courant, que venez vous faire ici ? Vous savez bien que, par des temps pareils, on ferait mieux de rester couché toute la journée ! »

Eh ! oui, par ces journées radieuses de printemps où la brise est douce et parfumée de toutes les senteurs, de toutes les fleurs champêtres, les chiens sont absolument nuls. Quand cela sent la violette et quand les papillons jaunes dansent dans l'air, i1 n'y a rien à faire.

Le chasseur au chien d'arrêt serait peut-être le moins exigeant de tous. D'abord le temps n’influe pas dur la densité du gibier perdreau. Il n'est pas amené dans tel secteur par tel vent, ou telle température, ensuite parce que dans tel secteur le chasseur est toujours sûr de trouver ses compagnies à un ou deux champs près.

Mais tout de même, la température influe terriblement sur le comportement de la perdrix : elle est plus ou moins volage selon le temps. Elle tient ou ne tient pas, et aussi bien pour l'attrait même de la chasse que pour le tir lui-même, c'est un point capital. D'autre part, si le gibier est démonté, le meilleur chien de rapport peut le manquer si la température est mauvaise. En fait, tout chasseur qui chasse avec un chien et qui aime le travail de son chien se préoccupe à juste titre de l'état du temps.

Mais, pour éviter toute équivoque, au lieu de parler de beau temps, on devrait dire « bon temps de chasse », et même spécifier bon temps de chasse pour tel ... ou tel gibier, parce que chaque chasseur spécialisé a son temps de prédilection.

Paul DAUBIGNÉ.

Le Chasseur Français N°636 Février 1950 Page 67