Trêve de Saint-Hubert a déchaîné un beau carillon ! ...
Je ne me plains pas de ce branle-bas et remercie tous les aimables
correspondants qui ont bien voulu me donner leur avis. Bien vivement, je
regrette qu'on ne puisse, faute de place, publier leurs opinions. Essayons de faire
le point.
En se reportant à l’article de juin dernier, où je
préconisais une pause hebdomadaire, on s'aperçoit qu'il s'agit des chasses
banales méridionales et de la protection des espèces sédentaires :
lièvre, lapin, perdreau. Volontairement, je n'ai pas parlé des
migrateurs ; puisque la plupart nichent hors de France, il n'y a qu'une entente
internationale capable de les protéger. Pour eux j'admets volontiers les
dérogations suivantes :
1. Gibier d’eau.
— Chasse sur étangs, marais et rivières ; d'août à
mars, tous les jours.
2. Grives.
— Ce petit gibier, si délicat, intéresse beaucoup les
Méridionaux. Très souvent de forts passages de litornes et mauvis ont lieu en Janvier-février.
On pourrait donc autoriser leur chasse, avec ou sans appelants, mais au poste
seulement. Toutefois une surveillance réelle devra être exercée, car les lieux
fréquentés par les grives sont aussi les coins où vit le gibier sédentaire.
Dans le petit jour on 'eat tuer des chachas à bec rouge, voire à quatre pattes ! ...
3. Bécasses.
— Quant aux dames des bois — le morceau est
tentant — j'estime qu'il faut leur donner une tranche de paix en attendant
qu’elles paraissent sur une tranche dorée à point. Évidemment il y aura de
forts passages des jours interdits ; beaucoup répartiront, mais, en revanche,
vous trouverez certains matins profusion de longs becs ... Et alors la
joie profonde de nombreux et sifflants départs vous gagnera tout entier ...
On ne peut parler bécasses sans effleurer la question de
leur retour. Ici encore les avis sont partagés. De nombreux confrères feraient
de gros sacrifices plutôt que de renoncer à la « repasse ». Un correspondant
voisin, M. D. M … L'Aubagnais, paraît être de ceux-là. Il a un
faible pour les belles dorées et voudrait les tirer en février-mars. J’y suis
totalement opposé. J'ai pour cela bien des raisons et M. D. M ... m'en
donne lui-même en me montrant combien il est aisé de mettre au car nier, avec les
longs becs, lapins et perdreaux devenus moins méfiants. Certes, bien à propos L'Aubagnais
fait surgir le garde qui fouille le carnier et verbalise. Et il brandit les
suites naturelles de cette mauvaise rencontre : retrait de permis,
confiscation d'arme, amende élevée, casier judiciaire terni. Voilà de quoi
assaisonner le civet et faire réfléchir ... Hélas ! ...
messieurs les chasseurs peu scrupuleux auront tôt fait d'escamoter la pièce
tuée …Puis les bois sont vastes, touffus et les gardes fédéraux — même
multipliés — prendront par hasard un étourdi. Je sais qu’il existe encore
des porteurs de permis capables de résister à la tentation, mais il y en a
tellement d'autres qu'il vaut mieux ne pas leur donner l'occasion d'être pris.
Vous voulez favoriser le braconnage, disent certains. Je ne
crois pas. Si la société possède un bon garde, les razzias de lapins seront
rares et les agrainées aux perdreaux difficiles. Des dirigeants de groupements
locaux qui ont eu le courage de restreindre le nombre de jours ouvrables me font
part de résultats inespérés obtenus ; aucun ne signale une recrudescence
de braconnage.
Mais revenons aux si intéressantes suggestions de L'Aubagnais,
qui étudie les répercussions qu'aurait, sur nos chasses méridionales, la trêve
de Saint-Hubert. M. D. M ... reconnaît que la prohibition partielle ou
totale du furet a permis la multiplication des lapins, base de toutes les
chasses du Sud-Est. Climat, terrain, couvert font espérer une densité encore
plus grande de ces rongeurs si on applique partout l’interdiction absolue du
furet. « Non seulement l’usage, mais le transport de ce
puant ne doit en aucune façon être toléré ; tout contrevenant sera
verbalisé et la bête abattue » écrit l’Aubagnais, qui préconise
l'empoisonnement des furets avec sardines ou anchois salés déposés le plus loin
possible dans les trous.
Pour faire respecter ces mesures, M. D. M ... réclame
beaucoup de gardes, surtout fédéraux, avec des moyens appropriés, car il leur est
impossible d’assurer la surveillance de milliers d’hectares souvent très boisés
dans des régions où l'esprit de braconnage règne en maître.
« Sur dix chasseurs provençaux couvent les âmes de cinq
« bracos » ; braconnier est peut-être exagéré parce que, quatre
vingt quinze fois sur cent, les malheureux lapins qui se font pincer les pattes
à une « marmite », un « esquiche-pieds », une « cabucelle »
(pièges à palette) ou qui ont la fatale imprudence de passer la tête dans un
nœud coulant en laiton vont finir en civet et garnir la table à l'occasion du
baptême du fils d'Olive ou du mariage de la cousine Adèle, car, dans notre
Midi, il n'est pas de bon repas sans gibier. »
Interdiction du furet ? D'accord. Absolue ? Non. Je
n'aime guère chasser les lapins, mais il faut ouvrir les yeux sur des réalités.
Dès qu'il abonde, ce rongeur vorace dévaste les cultures avoisinantes. Malheur aux
céréales, vignes, arbres fruitiers, légumes poussant à proximité des collines
fortement peuplées. Pour le plaisir des chasseurs, on ne peut forcer les
propriétaires à subir de graves dégâts que les sociétés locales ne peuvent pas
couvrir. Nombreux sont les syndicats communaux prévoyant le furetage les dernières
semaines de chasse. On devrait, à mon avis, effectuer la capture avec des
bourses et réserver les femelles pour repeupler les coins déserts. Leur vente aux
groupements désirant effectuer des lâchers alimenterait copieusement le coffre du
trésorier. Les propriétaires non chasseurs, cédant leurs terrains au syndicat
local, ne seront pas oubliés dans la répartition des victimes.
Augmenter le nombre de gardes et leur donner les moyens matériels
d'effectuer de nombreuses tournées est une excellente idée. Plusieurs fois déjà
j'ai indiqué comment je concevais cette surveillance. Les fédéraux, malgré
toute leur bonne volonté, ne peuvent parcourir à pied (seul moyen de surprendre
les « bracos » silencieux) des dizaines de kilomètres de bois ou de maquis.
Les coins giboyeux et les ravageurs sont mieux connus des gardes locaux ;
s'ils ont vent d'une razzia, un coup de fil à la fédération permettra une
action commune avec de grandes chances de succès. Mais, attention ! pas de
mesquines rivalités, ni de compromis ...
Si, comme l'écrit M. D.M ..., 95p. 100 des lapins pris
par les pattes ou le cou étaient destinés aux fêtes familiales, le danger
serait minime. Entre le civet familial occasionnel et les sacs de rongeurs des
ravageurs, il y a de la marge. Gardes et juges doivent faire une juste discrimination.
En résumé, la situation est claire : trop de chasseurs,
pas assez de gibier. Lièvres et lapins font des prodiges de repeuplement, mais les
perdreaux refusent d'élever plus d'une couvée par an. Les couverts disparaissent
devant cultures et incendies, tandis que les armes tuent de plus en plus loin.
Comment résoudre ce problème sans trop de grincements ? ... Pour les sociétés
communales, il faut une action rapide à peu de frais. À une époque où l’égoïsme
est roi, n’espérons pas changer la mentalité. Si la majorité des porteurs de
permis raisonnaient en vrais chasseurs et non en tueurs, malgré le
nombre d'armes, il y aurait encore du gibier. Nous ne verrions plus hécatombes
inutiles ni massacresd'innocents. Finis les coups de longueur condamnant de
nombreuses pièces, dont profitent renards et rapaces. Finies les équipes de
cinq ou six tireurs encerclant et ratissant le terrain ou rabattant un gibier
qui, exténué, est parfois pris par les chiens. Finies les ouvertures prématurées
et les fermetures tardives !
À la certitude d'une marche dans les collines désertes, ne
préférez-vous pas, vrais amateurs de chasse — et non seulement de viande, — la
possibilité de voir et tirer du gibier moyennant un léger sacrifice ? Aux
règlements intérieurs de prévoir les jours ouvrables convenant le mieux à la
majorité. Si, ces jours-là, on trouve plus de fusils sur le terrain, cela
n'amènera pas, fatalement l'exécution de tout le gibier, car tout groupement
prévoyant aura une portion de territoire rigoureusement interdite, où lièvres
et perdreaux se réfugieront vite. Quant, aux lapins, le terrier les attend ....
Remplaçons les discussions stériles par des essais.
Loyalement faisons connaître les résultats. Le bon sens populaire saura
choisir. Surtout, ne nous leurrons pas, et attendons le salut de nous-mêmes. Si
celui d'en haut vient à la rescousse, tant mieux. « Aide-toi, le ciel
t'aidera. »
A. ROCHE.
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