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Pour moraliser le sport

Le sport professionnel est devenu une nécessité et un phénomène social qui se justifie un peu plus chaque armée.

Quelles que soient les préférences et les inclinaisons que nous ayons pour le sport-jeu, pour le sport de dilettante et d'esthète, pour la récréation et le divertissement physique, il faut bien admettre que dans certains sports très durs, pratiqués à l'échelle nationale ou internationale, le professionnalisme s'impose. Mais il apparaît que, dans beaucoup de ces sports professionnels, comme le cyclisme, la boxe, le football, un grand nombre de dirigeants, d'entraîneurs et d'athlètes sont mal préparés à leur fonction et ne sont pas au niveau de leurs responsabilités. Cette carence peut se démontrer aussi bien sur le plan technique que sur le plan moral.

Plan moral : en football, par exemple, les joueurs cotés ont élevé le chantage à la hauteur d'une institution. Les signatures de contrats s'accompagnent régulièrement de menaces, de tractations, de trafics, et la bourse aux joueurs est devenue un marché de négriers. On a vu en pleine saison, — deux fois en six mois — les joueurs de Bordeaux et de Lille refuser de jouer si une prime de plusieurs dizaines de milliers de francs ne leur était pas accordée sur-le-champ.

— En cyclisme, le public lui-même, si indulgent, si aveugle pour les demi-dieux des Six Jours, a fini par se rendre à l'évidence et hurler son indignation, lorsqu'il a compris que la « Ronde des Écureuils » n'était qu'une entreprise commerciale, dont quatre à cinq équipes vedettes se partageaient les primes, et dont il faisait les frais.

Sur le plan technique, nous avons vu nos footballeurs (professionnels) se faire étriller de belle façon par les amateurs hollandais, ce qui implique, à première vue, que le professionnalisme n'a pas amélioré le rendement et l'efficacité du football français. Mais il semble que c'est la boxe qui demeure, dans ce domaine, le sport le plus taré.

Une simple lettre d'un ancien boxeur éclaire d'un jour singulier la mentalité des entraîneurs et des managers. Ce pugiliste, Astier Perret, qui eut son heure de renom à l'époque héroïque du Wonderland, constatait avec nostalgie la régression du niveau moyen de la boxe en France (et ceci coïncidait avec les déclarations des dirigeants américains sur la décadence technique du pugilisme aux U. S. A.). Astier Perret remarqua que plusieurs coups de virtuose — en escrime on dirait : des bottes — avaient progressivement disparu du bagage technique de nos boxeurs. Il offrit donc spontanément son concours à des managers et demanda de pouvoir enseigner gracieusement à quelques-uns de nos champions ces bottes réputées parmi les combattants de l'époque héroïque. Il fut fermement éconduit par tous les intéressés, sauf un, le manager du champion de France des légers. Le champion exprima à son entraîneur son étonnement qu'on ne lui ait jamais montré ces coups. Astier Perret, jugé trop encombrant, fut une fois de plus remercié.

Nous avons assisté exactement au même processus lorsque l'entraîneur national Fernand Vianney, qui conduit régulièrement nos amateurs aux titres de champions d'Europe, offrit lui aussi gracieusement son concours pour entraîner Cerdan avant son départ aux U. S. A. Le manager de Cerdan, M. Lucien Roupp, déclina cette offre et indiqua, dans un journal du soir, que Cerdan n'avait besoin que de ses seuls conseils. Or il me souvient parfaitement, lorsque j'ai vécu six mois avec Cerdan au Collège national d'Athlètes à Antibes, que Vianney l'entraînait chaque jour. Et Cerdan déclara à maintes reprises et en public : « J'en apprends des choses, avec M. Vianney ... »

Mais le tort de Vianney, comme d'Astier Perret, est de bien comprendre la boxe et de mal comprendre « les affaires ». Il est évident qu'un boxeur comme Cerdan pouvait comparer très rapidement la qualité de deux enseignements. Réaction du manager qui risque de voir s'envoler la poule aux œufs d'or : il condamne sa porte à l'intrus qui prétend enseigner la boxe et ignore comment on signe un contrat avantageux.

Beaucoup de managers modernes sont d'excellents hommes d'affaires. Bien peu sont d'excellents techniciens. Leur compte en banque est plus prospère que leur école de boxe ...

Le mois dernier, en voyage à Olympie, je relisais les enseignements de Pausanias et j'y découvrais : « Lorsque le stade et la palestre furent envahis par les marchands et les agioteurs, commença la décadence du sport hellène ... »

L'Histoire est un éternel recommencement.

Gilbert PROUTEAU.

Le Chasseur Français N°636 Février 1950 Page 92