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En parcourant les plantations fruitières

L'arboriculteur, en visitant, la saison dernière, ses vergers, était agréablement surpris de trouver des arbres garnis d'une abondante récolte ; mais combien grande était la proportion de fruits véreux et de ceux qui, sains, se détachaient prématurément de l'arbre.

Quand, du général, on passait au particulier, il était facile de constater que, dans une variété, des individus avaient conservé toute leur récolte tandis que d'autres en étaient complètement dépourvus. Entre ces deux extrêmes, on trouvait toute une gamme ; pour certains, la perte était d'un tiers, alors qu'elle s'élevait aux 'deux tiers pour d'autres.

En examinant ces arbres et en les mettant en parallèle, on se trouvait en présence de caractères bien définis.

    Sujets ayant conservé leurs feuilles vertes exemptes de taches, leur bois coloré, aoûté et lisse : sans avoir suivi la végétation de ces individus, on pouvait, par le seul examen des diverses parties composant l'arbre, se rendre compte que le cycle végétatif s'était accompli normalement, sans arrêt, avec un fonctionnement parfait de tous les organes.

    Sujets dépourvus de leurs fruits : ils avaient perdu les feuilles de la base des rameaux ; celles du sommet étaient généralement attaquées par les maladies organiques ou cryptogamiques les plus diverses. Les rameaux étaient courts, les écorces rarement saines, quelquefois ridées, couvertes de taches attaquant les tissus sous-jacents. Au printemps, ces arbres étaient abondamment pourvus de boutons à fruits, ils contrastaient, au milieu des autres, par leur surabondante floraison.

    Individus qui avaient gardé la moitié de leur récolte : ils étaient privés de quelques-unes de leurs feuilles ; celles qui restaient étaient le plus souvent exemptes de maladies. Les rameaux de longueur moyenne, lisses, offraient, par endroits, de légères attaques. L'arbre avait subi, dans sa croissance, des arrêts de végétation ; les entre-nœuds étaient de longueur irrégulière  : les uns longs, les autres très courts.

D'après un examen superficiel, il semblerait que la vigueur avait dû jouer le rôle principal, être, par conséquent, une des causes qui avaient permis à l'arbre de conduire ses fruits jusqu'à la maturité. Un végétal trouvant tous les facteurs qui lui sont nécessaires présente un développement plus grand que son voisin moins favorisé. Un sujet qui à accompli normalement toutes ses fonctions offre un aspect tout autre que celui qui a subi un ralentissement ou un arrêt. L'un présente des parties favorisées qui se sont développées aux dépens des faibles.

Dans un arbre vigoureux, la circulation de la sève est active, les tissus sont turgescents, ils présentent une résistance aux attaques des parasites ; poussant rapidement, ils se défendent en formant de nouveaux tissus, en circonscrivant le point attaqué. L'arbre faible ne réagit pas ; à chaque instant, il est en état de réceptivité. Tous les individus vigoureux indemnes de parasites ont une végétation continue, n'ayant pas subi l'influence des milieux extérieurs. Par conséquent, ils ont pu conserver leur récolte, la circulation de la sève ayant été active jusqu'à la maturité du fruit. Celui-ci, recevant tout ce qu'il réclamait, a édifié des tissus pouvant résister à son poids et assurant l'attache.

Les traitements contre les parasites n'ont pas donné les résultats qu'on espérait ; la résistance des individus faibles étant diminuée, les produits employés ont eu une action partielle ; c'est ce qui explique les attaques légères sur les sujets chétifs de la belle végétation sans trace de maladie des arbres vigoureux.

Reste à connaître le motif de cette différence de végétation dans une même variété. Une pareille question ne peut se résoudre qu'en éliminant :

    a. Les causes individuelles : mauvais état des organes, fonctionnement anormal de ceux-ci, etc. Elles se reconnaissent facilement parce qu'elles se manifestent isolément, jamais en groupe.

    b. Les causes générales, assez rares, qui peuvent quelquefois avoir pour motif : la différence de constitution du sol, une mauvaise répartition des engrais, des sujets et greffons d'une origine autre que le reste de la plantation. Leur action sur un certain nombre d'individus constitue, dans l'ensemble de la plantation, des groupes, des lignes entières ou des parties de lignes représentées par un nombre de sujets dont l'importance dépend de l'activité de la cause.

Il faut admettre qu'en dehors des causes individuelles et générales, que l'on peut négliger, il en existe d'autres qui ont une action lente et qui sont sous la dépendance du praticien. Un arbre à végétation modérée se couvre de boutons à fruits, donne peu d'organes feuilles. Lors du repos hivernal, il est pourvu d'un petit nombre de rameaux à bois et d'une grande quantité de boutons ; sur chaque courson on en compte plusieurs ; le rameau de prolongement des charpentières en est souvent garni. À la taille, le praticien néglige d'en supprimer, la floraison se passe bien ; les fruits apparaissent, si l'arbre a pu subvenir à la demande de toutes les fleurs. Au grossissement du fruit, l'arbre utilise l'activité de la végétation pour la concentrer sur lui. Mais, lorsque l'état des organes n'est pas favorable, il s'établit une concurrence vitale entre les fruits d'un même arbre ; ceux qui sont les mieux organisés continuent à s'accroître ; les autres, ne recevant que peu ou pas de nourriture, restent petits, se dessèchent et tombent. La chute de ces fruits, permettant à ceux qui restent d'être plus abondamment pourvus de sève, favorise leur grossissement jusqu'au moment où leurs exigences, devenant plus grandes, ne peuvent plus être satisfaites par l'arbre ; alors les fruits se concurrencent, et on assiste à une deuxième chute. La constance de ces faits se renouvelant dès que l'équilibre est rompu entre la demande du fruit et ce qu'il reçoit, il en résulte que la totalité tombe bien avant l'époque normale. Si une attaque de parasites vient à se produire, la chute devancera de beaucoup la maturité.

L'arbre se trouvant dans ces conditions n'arrivé jamais à conduire jusqu'à la cueillette sa complète récolte. À l'épuisement annuel de l'arbre vient s'ajouter le mauvais fonctionnement de ses organes qui ne peuvent former aucune réserve. Il finit par tomber-dans une faiblesse extrême d'où on peut difficilement le sortir.

Des faits qui précèdent, on aboutit aux conclusions suivantes :

    1° L'arboriculteur doit éviter par les moyens dont il dispose les différences de vigueur dans sa plantation.

    2° Tailler très court les sujets qui se mettent trop à fruits. Ne laisser que deux boutons à fleurs par mètre de branche pour le poirier et six pour le pêcher.

    3° Appliquer pendant le repos, et en cours de végétation, tous les traitements insecticides et fongicides recommandés ; insister sur les sujets faibles.

    4° Épandre après la taille, sur les parties où les arbres présentent une mauvaise végétation, en plus de la fumure ordinaire, 150 kilos de nitrate de soude à l'hectare.

    5° Laisser se développer librement les parties faibles. N'appliquer aucun ébourgeonnement, pincement, à tous les arbres présentant les caractères décrits.

E. DÉAUX.

Le Chasseur Français N°636 Février 1950 Page 99