L'arboriculteur, en visitant, la saison dernière, ses vergers,
était agréablement surpris de trouver des arbres garnis d'une abondante récolte ;
mais combien grande était la proportion de fruits véreux et de ceux qui, sains,
se détachaient prématurément de l'arbre.
Quand, du général, on passait au particulier, il était
facile de constater que, dans une variété, des individus avaient conservé toute
leur récolte tandis que d'autres en étaient complètement dépourvus. Entre ces
deux extrêmes, on trouvait toute une gamme ; pour certains, la perte était
d'un tiers, alors qu'elle s'élevait aux 'deux tiers pour d'autres.
En examinant ces arbres et en les mettant en parallèle, on
se trouvait en présence de caractères bien définis.
1° Sujets ayant conservé leurs feuilles vertes exemptes
de taches, leur bois coloré, aoûté et lisse : sans avoir suivi la
végétation de ces individus, on pouvait, par le seul examen des diverses
parties composant l'arbre, se rendre compte que le cycle végétatif s'était
accompli normalement, sans arrêt, avec un fonctionnement parfait de tous les
organes.
2° Sujets dépourvus de leurs fruits : ils
avaient perdu les feuilles de la base des rameaux ; celles du sommet
étaient généralement attaquées par les maladies organiques ou cryptogamiques
les plus diverses. Les rameaux étaient courts, les écorces rarement saines,
quelquefois ridées, couvertes de taches attaquant les tissus sous-jacents. Au
printemps, ces arbres étaient abondamment pourvus de boutons à fruits, ils
contrastaient, au milieu des autres, par leur surabondante floraison.
3° Individus qui avaient gardé la moitié de leur récolte :
ils étaient privés de quelques-unes de leurs feuilles ; celles qui
restaient étaient le plus souvent exemptes de maladies. Les rameaux de longueur
moyenne, lisses, offraient, par endroits, de légères attaques. L'arbre avait
subi, dans sa croissance, des arrêts de végétation ; les entre-nœuds
étaient de longueur irrégulière : les uns longs, les autres très courts.
D'après un examen superficiel, il semblerait que la vigueur
avait dû jouer le rôle principal, être, par conséquent, une des causes qui
avaient permis à l'arbre de conduire ses fruits jusqu'à la maturité. Un végétal
trouvant tous les facteurs qui lui sont nécessaires présente un développement
plus grand que son voisin moins favorisé. Un sujet qui à accompli normalement
toutes ses fonctions offre un aspect tout autre que celui qui a subi un
ralentissement ou un arrêt. L'un présente des parties favorisées qui se sont
développées aux dépens des faibles.
Dans un arbre vigoureux, la circulation de la sève est active,
les tissus sont turgescents, ils présentent une résistance aux attaques des
parasites ; poussant rapidement, ils se défendent en formant de nouveaux
tissus, en circonscrivant le point attaqué. L'arbre faible ne réagit pas ;
à chaque instant, il est en état de réceptivité. Tous les individus vigoureux
indemnes de parasites ont une végétation continue, n'ayant pas subi l'influence
des milieux extérieurs. Par conséquent, ils ont pu conserver leur récolte, la
circulation de la sève ayant été active jusqu'à la maturité du fruit. Celui-ci,
recevant tout ce qu'il réclamait, a édifié des tissus pouvant résister à son
poids et assurant l'attache.
Les traitements contre les parasites n'ont pas donné les
résultats qu'on espérait ; la résistance des individus faibles étant
diminuée, les produits employés ont eu une action partielle ; c'est ce qui
explique les attaques légères sur les sujets chétifs de la belle végétation sans
trace de maladie des arbres vigoureux.
Reste à connaître le motif de cette différence de végétation
dans une même variété. Une pareille question ne peut se résoudre qu'en
éliminant :
a. Les causes individuelles : mauvais
état des organes, fonctionnement anormal de ceux-ci, etc. Elles se
reconnaissent facilement parce qu'elles se manifestent isolément, jamais en groupe.
b. Les causes générales, assez rares, qui
peuvent quelquefois avoir pour motif : la différence de constitution du
sol, une mauvaise répartition des engrais, des sujets et greffons d'une origine
autre que le reste de la plantation. Leur action sur un certain nombre
d'individus constitue, dans l'ensemble de la plantation, des groupes, des
lignes entières ou des parties de lignes représentées par un nombre de sujets dont
l'importance dépend de l'activité de la cause.
Il faut admettre qu'en dehors des causes individuelles et
générales, que l'on peut négliger, il en existe d'autres qui ont une action
lente et qui sont sous la dépendance du praticien. Un arbre à végétation
modérée se couvre de boutons à fruits, donne peu d'organes feuilles. Lors du
repos hivernal, il est pourvu d'un petit nombre de rameaux à bois et d'une
grande quantité de boutons ; sur chaque courson on en compte plusieurs ;
le rameau de prolongement des charpentières en est souvent garni. À la taille,
le praticien néglige d'en supprimer, la floraison se passe bien ; les
fruits apparaissent, si l'arbre a pu subvenir à la demande de toutes les
fleurs. Au grossissement du fruit, l'arbre utilise l'activité de la végétation
pour la concentrer sur lui. Mais, lorsque l'état des organes n'est pas
favorable, il s'établit une concurrence vitale entre les fruits d'un même arbre ;
ceux qui sont les mieux organisés continuent à s'accroître ; les autres,
ne recevant que peu ou pas de nourriture, restent petits, se dessèchent et
tombent. La chute de ces fruits, permettant à ceux qui restent d'être plus abondamment
pourvus de sève, favorise leur grossissement jusqu'au moment où leurs exigences,
devenant plus grandes, ne peuvent plus être satisfaites par l'arbre ;
alors les fruits se concurrencent, et on assiste à une deuxième chute. La constance
de ces faits se renouvelant dès que l'équilibre est rompu entre la demande du
fruit et ce qu'il reçoit, il en résulte que la totalité tombe bien avant
l'époque normale. Si une attaque de parasites vient à se produire, la chute devancera
de beaucoup la maturité.
L'arbre se trouvant dans ces conditions n'arrivé jamais à
conduire jusqu'à la cueillette sa complète récolte. À l'épuisement annuel de
l'arbre vient s'ajouter le mauvais fonctionnement de ses organes qui ne peuvent
former aucune réserve. Il finit par tomber-dans une faiblesse extrême d'où on
peut difficilement le sortir.
Des faits qui précèdent, on aboutit aux conclusions
suivantes :
1° L'arboriculteur doit éviter par les moyens dont il
dispose les différences de vigueur dans sa plantation.
2° Tailler très court les sujets qui se mettent trop à
fruits. Ne laisser que deux boutons à fleurs par mètre de branche pour le
poirier et six pour le pêcher.
3° Appliquer pendant le repos, et en cours de végétation,
tous les traitements insecticides et fongicides recommandés ; insister sur
les sujets faibles.
4° Épandre après la taille, sur les parties où les arbres
présentent une mauvaise végétation, en plus de la fumure ordinaire, 150 kilos
de nitrate de soude à l'hectare.
5° Laisser se développer librement les parties faibles.
N'appliquer aucun ébourgeonnement, pincement, à tous les arbres présentant les
caractères décrits.
E. DÉAUX.
|