Bien des fois, des amateurs possédant quelques ruches et
même des apiculteurs se plaignent du mauvais rendement en miel. Il peut
évidemment y avoir plusieurs causes à cet état de choses : région peu
mellifère, abeilles malades ou dégénérées.
Certains sont même étonnés qu'après avoir eu une ou deux
bonnes années la récolte aille en s'amenuisant de plus en plus. Il n'y a pas de
doute que, là où de grosses miellées ont été constatées, elles doivent se
renouveler, sauf bien entendu, dans les mauvaises années ; aussi, à moins qu'un
trop grand nombre de ruches aient été installées depuis peu au même endroit et
que, de ce fait, le rendement moyen, s'en ressente, nous en rechercherons la
cause ailleurs.
Quelques-uns pensent que c'est le genre de ruche utilisée
qui ne convient pas ; cependant, l'abeille s'adapte merveilleusement à
tous les logis, que ce soit un tronc d'arbre, un trou de mur, une cheminée ou une
ruche quelle qu'elle soit comme forme ou dimensions.
Si donc nous Sommes dans une contrée où l'on a eu de bonnes
récoltes et si, après visite des colonies, nous ne constatons pas de maladies,
il n'y a aucun doute, nous avons affaire à des abeilles dégénérées.
Malheureusement, nous en trouvons de plus en plus depuis quelques années et
nous avons remarqué, si paradoxal que cela puisse paraître, que la
dégénérescence des abeilles suivait de près l'utilisation des ruches à cadres
chez les petits et moyens apiculteurs.
Nous n'irons pas jusqu'à dire que cette dégénérescence est
due aux ruches à cadres, mais plutôt à leur mauvaise utilisation. Essayons de
comprendre en regardant vivre les abeilles à l'état naturel ; si nous sommes
observateurs, nous remarquons d'abord que, lorsqu'elles le peuvent, elles
choisissent un logement dont le volume soit en rapport avec celui de l'essaim
et que, dans l'ensemble, les cavités naturelles utilisées sont de proportions
plus réduites que nos ruches à cadres surmontées de hausses. Enfin, dans les
paniers en paille ou en osier ou ruche fixes, la place disponible est aussi
bien moindre que dans les ruches actuelles.
Comme conséquence, les abeilles logées dans des espaces
restreints, non agrandissables à volonté, manquent de place pendant la grande
ponte de printemps ou pendant la miellée, ce qui provoque l'essaimage. De ce
fait, comme chacun sait, la vieille reine cède la place à une jeune. Celle-ci,
plus prolifique, donne à son tour naissance à un grand nombre d'abeilles
pleines de vitalité, étant des « enfants de jeune ». L'année
suivante, nouvel essaimage et nouvelle reine, ce qui entretient le dynamisme de
la colonie.
Voyons maintenant ce qui se passe dans une ruche à cadres ;
celle-ci, nous le savons, a été dotée de dimensions assez vastes pour que la
ponte de la reine ne soit pas gênée et afin d'éviter, si possible, l'essaimage ;
car l'essaimage annule ou réduit la récolte ; aussi, au fur et à mesure
des apports, on donne plus de place au moyen de hausses.
On emploie actuellement différentes méthodes pour empêcher
l'essaimage, considéré comme une plaie, puisque, comme nous venons de le dire,
il diminue la récolte du miel.
Mais voilà le revers de la médaille ; en empêchant
l'essaimage, qui est une loi naturelle chez l'abeille, la reine ne se
renouvelle pas ; elle vieillit tout doucement ; d'où une ponte de moins
en moins importante et des ouvrières moins actives, parce que nées d'une
vieille reine. Lorsque la reine sera à peu près épuisée et que les abeilles la
changeront, la nouvelle venue étant issue d'une vieille mère, sa fécondité sera
éphémère, bientôt sa ponte sera réduite, donnant des ouvrières peu actives, et
petit à petit la dégénérescence s'installera au rucher ; les récoltes
seront de plus en plus faibles, à moins qu'une maladie ou la fausse teigne ne
viennent précipiter la fin de ces colonies affaiblies et sans ressort.
Nous savons — et tous les traités d'apiculture le
répètent — que, pour avoir de grosses récoltes, il faut de grandes ruches
ayant de fortes populations. Comment concilier ces deux choses ? Il n'y a
qu'un moyen : renouveler les reines tous les ans, ou tous les deux ans au
plus ; c'est la seule façon d'obtenir des résultats positifs. Celui qui ne
veut pas se donner la peine d'appliquer cette méthode fera mieux d'abandonner
l'apiculture, car il y récoltera plus de déboires que de profits, à moins qu'il
ne revienne à la ruche fixe d'antan ; elle lui donnera tous les ans des
essaims souvent perdus pour lui et peu de miel, mais du moins aura-t-il des ruches
avives. Ceux qui entendent suivre le progrès et qui utilisent des ruches à
cadres doivent bien se pénétrer de cette idée que seules des reines jeunes
produisent et rapportent ; il faut donc absolument les renouveler
périodiquement, soit en pratiquant soi-même l'élevage de reines sur de bonnes
colonies, soit en achetant celles-ci à des éleveurs professionnels
consciencieux. C'est à chacun de voir quelle est la meilleure solution, selon
ses capacités et ses moyens.
Il y a évidemment un obstacle pour beaucoup, c'est
l'élimination de la vieille reine, parfois difficile à trouver, et l'acceptation
de la nouvelle reine par la colonie, ce qui ne va pas toujours sans aléas.
Le moyen le plus simple pour réussir cette double opération
consiste à déplacer la ruche à remérer de quelques mètres, installer à la place
une ruche vide avec un cadre de couvain pour retenir les butineuses. Au bout de
deux ou trois jours, la ruche déplacée, ne contient plus qu'une population
raréfiée de jeunes abeilles inoffensives parmi lesquelles la recherche de là
vieille reine est aisée. Le lendemain de l'enlèvement, la nouvelle reine est
introduite soit dans sa cage d'expédition, en suivant les conseils de
l'éleveur, soit directement après avoir été engluée d'eau miellée au préalable.
Quelques jours après, lorsque la ponte est constatée, on ramène la ruche à
l'emplacement primitif. Après avoir vaporisé un parfum ou du sirop léger dans
les deux ruches, on les enfume, puis on réunit les deux populations en brossant
devant l'entrée de la ruche remérée les abeilles demeurées dans l'autre.
L'année suivante, la recherche de la reine sera plus aisée
si on a eu soin d'exiger de l'éleveur que les reines soient marquées ou si l'on
a pratiqué soi-même cette petite opération avant l'introduction dans la ruche.
R. GUILHOU,
Expert agricole.
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