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Aviation

Bilan et perspectives

En 1950, il n'est plus possible de concevoir une grande nation sans une aviation puissante, car c'est un des éléments vitaux de sa puissance économique, de son prestige et de sa force.

Dans tous les pays du monde, on assiste à une lutte gigantesque pour la conquête totale de l'air et il semble qu'il n'existe pas un domaine où les études ne se poursuivent avec autant d'activité et de passion.

À des intervalles de plus en plus rapprochés, des réalisations nouvelles voient le jour, toujours de plus en plus stupéfiantes.

Au cours de nos différentes causeries, l'année dernière, nous vous avons présenté quelques-unes de ces réalisations, de conception étrangère ou française.

Il est donc possible, aujourd'hui, d'établir un bilan et d'envisager les possibilités de l'aviation française.

La prophétie : « L'année 1949 sera l'année de la résurrection de l'aviation française » s'est-elle réalisée ? Par un rapide tour d'horizon, nous allons pouvoir en juger.

Aviation commerciale.

— C'est bien dans ce domaine que nos besoins étaient le plus pressants, car on n'ignore pas que, jusqu'en 1948, toutes nos lignes aériennes furent équipées avec du matériel américain. L'année 1949 nous aura permis de voir entrer en service nos quadrimoteurs « Languedoc » pour trente-cinq passagers, et aussi tout dernièrement des bimoteurs « Bretagne ». Plusieurs quadrimoteurs « Languedoc » ont été vendus à la Pologne pour ses lignes aériennes.

Un autre bimoteur français, le « Corse », appareil de liaisons moyennes, s'est brillamment révélé et a conquis, à l'étranger, une place de premier plan. Une compagnie des Indes vient d'en commander plusieurs exemplaires, après des essais d'exploitation pratique sur les lignes aériennes desservant Bombay. Ces essais se sont déroulés en pleine période de mousson et l'appareil français s'est brillamment comporté sous les violentes tempêtes et les pluies torrentielles.

Nos lignes de l'Atlantique Nord sont cependant encore desservies par des appareils américains. La mise au point de notre géant SE-2010 « Armagnac » se poursuit activement. Il est possible que sa première liaison Paris-New-York soit réalisée prochainement.

C'est un magnifique « long-courrier » de 70 tonnes en charge, luxueusement aménagé et particulièrement insonorisé pour recevoir quatre-vingts passagers. Sa vitesse maximum, qui n'a pas été officiellement divulguée, dépasserait largement le 600 kilomètres à l'heure.

Air-France a commandé dix de ces appareils et leur construction est déjà très avancée.

Avions de transport de fret.

— On sait la place importante qu'a prise l'avion dans le transport du fret. L'on transporte tout et partout : fruits et primeurs de nos colonies, porcs et moutons de notre Afrique du Nord à destination de la France, fleurs de Nice et myrtilles d'Auvergne à destination de l'Angleterre. Cela demande des avions spécialement conçus, aux soutes de grand volume.

L'année 1949 a vu la naissance et la mise au point des avions cargos du célèbre constructeur Bréguet, le « Bréguet 892 » et le fameux « Deux Ponts ». Ces appareils se sont révélés remarquables au cours de leur mise au point qui est pratiquement terminée. Plusieurs compagnies de transports, françaises et étrangères, négocient actuellement l’achat de ces avions cargos, dont la rentabilité commerciale est indiscutée.

Appareils de tourisme et d'affaires.

— C'est à une véritable floraison d'appareils nouveaux que nous avons assisté en 1949. Aucun constructeur français n'a cependant sorti l'appareil idéal, l'avion pour tous n'offrant pas plus de difficultés pour sa conduite et son entretien que la voiture automobile. (Dans le monde entier, des ingénieurs sont penchés sur ce problème.) Il est cependant juste de dire que les innombrables appareils réalisés par nos constructeurs soutiennent aisément la comparaison avec les productions étrangères.

Nos pilotes et nos avions se sont d'ailleurs très souvent taillé la part du lion au cours des compétitions internationales en 1949, devant des coalitions puissantes, notamment en Espagne, au Portugal, en Italie. Nous exportons maintenant des appareils de tourisme dans ces pays. Un marché particulièrement important vient d'être passé avec les responsables de l'aviation brésilienne. Après des essais comparatifs avec les avions anglais, italiens, tchèques, américains, le quadriplace français « Norécrin » a éliminé tous ces redoutables concurrents et la S. N. C. A. N. a inscrit une première série de cent appareils sur ses carnets de commande.

La place nous manque pour décrire en détails plusieurs de nos appareils de tourisme et d'affaires. Le grand souci a été de réduire la consommation d'essence sans négliger la vitesse et la sécurité. Plusieurs de nos triplaces ou quadriplaces ne dépassent pas une consommation de 15 litres aux 100 kilomètres pour une vitesse de croisière dépassant souvent le 180 à l'heure et atteignant le 215.

Les constructeurs amateurs.

— L'année 1950 devrait donc voir le développement de l'aviation privée, si les appareils n'étaient encore trop chers à l'achat. Pour remédier à cet état de choses, de sages mesures furent prises, fin 1949, par le Service de l'Aviation légère et sportive, afin d'encourager les constructeurs amateurs.

Mais déjà, sans attendre, deux milliers de Français s'étaient mis à l'ouvrage, l'an dernier, pour construire « leur avion ». Dans les villes, les villages, les hameaux de France, des équipes, unies par un idéal et une saine camaraderie, travaillent sans bruit. Ils ont formé un groupement, le R. S. A., ils ont leurs ingénieurs, leurs pilotes d'essai ... n'est-ce pas, Dr Barret de Nazaris ? et croyez que certaines réalisations sont appelées à un brillant avenir tel le « Bébé Jodel » ou le « Lévrier ». D'autres prototypes effectueront leurs essais dans quelques semaines. Le problème des moteurs d'aviation de petite puissance, à un prix modéré, reste cependant encore à résoudre.

Planeurs et vol à voile.

— Malgré le triste état de ses finances, la France a encore consenti pour ses « vélivoles » de véritables sacrifices, puisque pas un seul planeur ne vole en France sans le concours de l'État. Ces sacrifices ont-ils été payés en retour ? Il semble que oui ; nous avons, dans le domaine du vol à voile, la première place du monde. Nos méthodes de formation font école et, à la belle saison, les élèves pilotes de planeurs se ruent littéralement vers nos centres nationaux de vols à voile de Challes-les-Eaux, la Montagne Noire, les Alpilles, etc. Anglais, Américains, Italiens, Égyptiens, Chinois, etc., s'y donnent rendez-vous.

Plusieurs records internationaux ont été ramenés en France. Nous vendons des planeurs à l'étranger et quelques-uns de nos meilleurs pilotes ont été appelés en Italie, au Canada, en Iran, pour y fonder des écoles de pilotage.

Quelques mots sur l'aéro-modélisme !... Celui-ci n'a pas enregistré de brillantes réussites françaises. Il semble que notre jeunesse s'en désintéresse. Aurait-elle perdu le goût de l'effort ? Ce sont toujours les mêmes qui sont à la tâche ; grâce à eux, l'on parle encore des Français dans les compétitions internationales.

Avions à réaction.

— Voici donc, pour la fin, le sujet qui revêt une importance primordiale. Le retard à combler dans ce domaine est immense ... L'année 1949 aura été celle où enfin les Français auront pu admirer en vol leurs premiers avions à réaction, et je vous assure que ce fut, pour les privilégiés qui purent le faire, l'occasion d'une joie intense. La mise au point de plusieurs prototypes a été poursuivie en 1949. Dès leurs premiers essais, certains appareils se révélèrent susceptibles d'acquérir très rapidement, après les améliorations inévitables, la classe internationale. Ce fut le cas pour l’Espadon, le Triton, de la S. N. C. A. S. O., et l’Ouragan, de Marcel Dassault.

René Leduc, avec son stato-réacteur, a ouvert aux ingénieurs du monde entier des perspectives nouvelles, et il est probable qu'il nous étonnera en 1950. Il reste beaucoup à faire. Nos lecteurs connaissant l'avance prise par les Anglais dans ce domaine, principalement avec leurs avions commerciaux à réaction. Cependant nos constructeurs sont optimistes ... Marcel Dassault vient de révéler que ses ingénieurs et ouvriers travaillent fébrilement à la réalisation d'un nouveau prototype de chasseur à réaction, dont les performances dépasseront de beaucoup toutes celles enregistrées à ce jour ; le prototype volerait au mois de juillet. Il a révélé aussi que l'étude d'un quadriréacteur commercial était terminée. L'on sait que ce constructeur a l'habitude de faire vite et bien ..., patientons quelques mois encore. Un point noir, cependant, dans ce tableau sommaire ; certes, notre retard est comblé en matière de cellule, mais nous dépendons encore de l'étranger pour les turbo-machines (réacteurs). L'on attend beaucoup du réacteur français Atar 101, qui a terminé des essais d'endurance très satisfaisants. Il est probable que sa construction en série sera lancée dans le courant de l'année.

Turboméca, le réalisateur du fameux réacteur de 50 kilogrammes équipant le planeur Fouga-Cyclone, qui a fait sensation l'été dernier, réalise un réacteur plus puissant ; sa sortie est imminente.

Souffleries.

— Il manquait à nos ingénieurs, pour poursuivre leurs études et essais en laboratoire, une soufflerie adaptée aux exigences nouvelles. Il semble que cette lacune sera comblée en 1950. Plusieurs centaines d'ouvriers travaillent, près de Modane, à la réalisation d'une soufflerie à nombre de « Mach » élevé et qui sera la plus puissante du monde.

Conclusion.

— Voici donc réalisé ce rapide tour d'horizon. Nous ne saurions mieux le terminer qu'en citant une phrase d'un constructeur aéronautique au cours d'une conférence de presse : L'aviation française est là, frémissante, prête à s'élancer vers de nouvelles difficultés, de nouvelles conquêtes. Bien plus que de nouveaux crédits, elle a besoin de réflexion, d'ordre et de méthode ...

Maurice DESSAGNE.

Le Chasseur Français N°636 Février 1950 Page 120