Il y a un siècle, dans un de ses charmants poèmes, un peu
trop méconnus aujourd'hui, le poète et gastronome Charles Monselet écrivait :
À l'auberge où se balance
le Lion tout en cheveux ou le cheval qui s'élance,
nous entrerons, si tu veux.
C'est une invitation de ce genre que nous faisons au lecteur,
en lui demandant de nous accompagner dans notre visite aux vieilles auberges du
temps des diligences, en compagnie de quelques touristes d'autrefois.
Voici, pour commencer, un gentilhomme lillois du XVIIe,
Jacobs d'Hailly, qui visita la Provence en 1690 et 1697. D'Orange en Avignon,
il voyage par la « chaise roulante » ; c'est, écrit-il, « la
voiture la plus incommode que l'on sçauroit prendre pour le pays ; comme
les chemins sont tout remplis de pierres, cela agite fort la chaise et vous
fatigue extrêmement ». Aussi était-il fort heureux au relais de trouver
bonne table et bon gîte, car, pudiquement, il ne parle pas du reste ... À
Cavaillon, à la Pomme, il fut fort bien traité et « proprement »,
ce qui n'était pas toujours le cas, beaucoup de ces hôtels contemporains du roi
soleil ignorant les règles les plus élémentaires d’hygiène. D'Hailly but à
Cavaillon un excellent Vin de Provence, et il consigna, avec une évidente
satisfaction, le fait sur son carnet. À Toulon, il descendit à l'hôtel de « Vendosme »,
où il fut fort bien reçu, un peu d'ailleurs par faveur, car ce n'était point un
« traiteur ».
À Marseille, notre voyageur fit halte à une des meilleures
hôtelleries, un véritable palace pour l'époque ... « à l'hostel de Malthe,
où l'on est parfaitement bien ; c'est (sic) qu'il y a d'incommode
est que tous les jours vous avez un réveil matin dès trois heures et demy,
quatre heures. Ce sont les paysans qui viennent avec leurs denrées au marché,
chargées sur des ânes et mulets qui vous donnent le divertissement de leur
musique ».
En se rendant à Arles, il s'arrêta à une auberge à
l'enseigne du Griffon d'Or, qui pourrait, dit-il, être baptisée plutôt
aux quatre vents, ce qui donne tout de suite une idée de son confort. À Arles, il
descendit au Faucon royal, où le vin le consola d'un accueil assez
fruste. En revanche, il accorde une très bonne note au Cordon bleu de
Beaucaire.
Les remarques brèves de Jacobs d'Hailly ne nous fournissent
malheureusement pas de renseignements très précis sur ces relais de jadis. Nous
savons cependant, d'autre part, que la Croix de Malte de Marseille, qui
existait déjà en 1679, était fort renommée ; Cassini, à la fin du XVIIe
siècle, y fit des expériences sur la latitude.
Au XVIIIe siècle, les touristes qui parcourent en
diligences ou en voitures particulières la Provence sont, en général,
enchantés. Une Anglaise écrit, en 1742 : « On ne vit nulle part
meilleur marché que dans une auberge d'une ville de province française ;
ils (les patrons) ne doivent demander que vingt-cinq sous pour le dîner, et
trente pour le souper, si l'on mange à table d'hôte, ce que font tous les
jeunes gens de qualité que je connaisse. »
Bien entendu, les grincheux trouvent encore à redire. L'Anglais
Smolett, toujours de mauvaise humeur, fit halte à Brignoles, où il dîna.
« Je fus, écrit-il, obligé de me fâcher avec la
maîtresse d'auberge et la menacer de quitter sa maison pour obtenir d'elle
qu'elle nous serve de la viande. C'était un jour maigre et elle avait fait ses
provisions en conséquence. Elle montra même du mécontentement de recevoir des
hérétiques chez elle, mais, comme je n'étais pas disposé à manger du poisson
qui sentait mauvais, avec des ragoûts d'œufs et d'oignons, j'insistai pour
avoir un gigot de mouton et deux beaux perdreaux que je trouvai dans le garde
manger. »
Cependant, il reconnaît qu'en Provence le porc, le mouton,
la volaille et le gibier sont très bons, mais il déplore l’absence de lait, qui
le force parfois à boire son thé pur, ce qui a le don de le mettre en
rage ! Surtout, il est obsédé par l’odeur de l’ail, qu’il ne peut
supporter ; elle le suit partout, parfume sa chambre dès qu'un indigène y
met les pieds. Pour fuir cet entêtant condiment, il mange de la viande froide
dans sa voiture, mais rien n'y fait. Il se lasse des grives, des becs-figues et
autre oiseaux servis, succulents à souhait sur des feuilles de vigne ; il
est neurasthénique ...
Son compatriote le Dr Rigby est, au contraire, enchanté de
tout. C'est un farouche optimiste. Il goûte avec plaisir les pois du pays, en achète
même pour en planter dans son potager ; il déguste des melons d'eau, que
les marchands lui vendent à un prix trop élevé.
Lady Cradock juge, en général, notre pays avec un réel souci
d'objectivité. Arrivée à Marseille en décembre 1784 avec son mari, elle fit
halte chez Mme Martin, à l’hôtel de Londres, situé sur le port. « On nous
loua, écrit-elle, une salle à manger, quatre chambres à coucher et une petite
cuisine fort propre, à raison de 40 livres pour la saison d'hiver, c'est-à-dire
quatre mois, et, si cher que ce fut, la maîtresse de l'hôtel ne voulut jamais baisser
son prix. ».
Certains de ces touristes ne manquent point de donner leur
appréciation sur les mets typiques de la Provence. Jouvin, au XVIIe
siècle, en vante les produits. Il estime beaucoup l’anchois « qui se mange
cru, en salade, mais qui est très délicat et excellent. À Brignoles, il note
sur son carnet la grande spécialité : les prunes, « qu’on fait seicher,
écrit-il, au soleil après leur avoir ôté la peau ; elles ont un goût si
délicat que vous les croiriez confites dans le sucre. Toutes les années il s’en
transporte plusieurs milliers de boîtes. »
Au sujet de Saint-Tropez, il signale que, dans les petits
ports provençaux, on peut manger à table d’hôte chair et poisson pour une pièce
de vingt sols « délicieusement et proprement », en buvant à la glace.
Les prix ont fortement changé depuis cette heureuse époque.
Le Suédois Bjornstohl, en 1770, admire les oliviers ; il
veut en manger les fruits à l’arbre, mais son cocher lui explique qu’il leur
faut une préparation spéciale et, tout rêveur, contemplant les olivettes du
Vaucluse, notre touriste se compare au malheureux Tantale.
Fréquemment, l’homme du Nord ne peut s’habituer à la cuisine
méditerranéenne.
Michot de la Cauw écrit, en 1786 : « D’ailleurs en
exceptant le thon (il est alors logé à Marseille), qui s’y trouve d’une qualité
supérieure, et dont on pêche une quantité prodigieuse, le reste des mets ne
vaut pas beaucoup ; la viande y est coriace et la volaille d’un goût
fade ». Fisch recommande à son frère d’apporter du beurre lors de son
voyage au pays de la terre frottée d’ail.
Joseph Baretti, en 1769, à Fréjus, trouve le souper
excellent, mais son compagnon ne peut le supporter ; il regrette le beurre
salé de la Flandre et Baretti ajoute, philosophiquement : « Grâce à
mon heureuse étoile, j’ai un palais tel que doit l’avoir celui qui aime
voyager ; un palais universel, qui ne redoute aucune des choses auxquelles
on peut avec quelque apparence de raison donner le nom de comestible. »
Pigault-Lebrun, voyageant en Provence vers 1825, va nous
donner, à présent, l’opinion d’un touriste de cette époque. À Lambesc, il
descendit au célèbre hôtel du Bras d’Or, à la vérité peu luxueux. Il se plaint
des chandelles qui charbonnaient et du manque de mouchettes, mais une fois à
table, il est obligé de convenir que « tout ce qu’on nous a servi était
bon, à l’exception cependant de deux poulets qu’on a tués au moment de notre
arrivée, et que leur dureté a rendus sacrés pour nous. Les Romains aussi
avaient des poulets sacrés, mais Lucullus n’en mangeait pas. »
La chambre dans laquelle il fut logé contenait, conformément
à un usage très général, trois lits, mais, en revanche, les carreaux des fenêtres
manquaient presque totalement : « Il fait chaud, cela renouvelle
l'air », note avec beaucoup de philosophie, Pigault-Labrun. Le mobilier
est solide et imposant. « Les bois de lits sont construits de manière que M.
et Mme Richaud (Les propriétaires), leurs enfants et leurs petits enfants n’en
voient pas la fin ; à Lambesc, on travaille pour la postérité … Il
est défendu de se laisser tomber sur ces lits là, sous peine de se casser les
reins … »
La servante était une autochtone ne parlant pas un mot de
français ; avec beaucoup de peine, les voyageurs finirent par lui faire
comprendre qu’ils avaient besoin d’un certain vase ; « les carreaux
de vitre cassés donnent de grande facilité aux habitués de l’hôtel du Bras
d’Or », ajoute, non sans ironie, notre auteur.
La lecture de ces récits de vacances du temps jadis nous
permet de constater que, si parfois le confort était assez relatif dans ces auberges
provençales des XVIIe et XVIIIe siècles, l'accueil y
était cordial et la chère exquise. Parfois même, l'étranger avait à sa
disposition de véritables palaces. M. de Préchac vante fort l'hôtel de Malte, à
Marseille, qu'on prendrait pour le palais d'un grand seigneur ; la table y
était recherchée. On voit que déjà, sous l’ancien régime, la Provence possédait
un équipement touristique — qu’on nous pardonne cet anachronisme — au
point et renommé.
Roger VAULTIER.
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