Beaucoup de personnes se font une idée fausse de la vénerie ;
elles ont tendance à n'y voir que le faste extérieur, le décorum qui sont de
mise dans les grands équipages, les équipages de cerf surtout, et paraissent
ignorer qu'il a existé une façon plus simple et plus modeste de chasser à
courre.
Car nous avons connu de très nombreux petits équipages où régnaient
la bonne franquette et un aimable laisser aller. De vieux amis, des voisins ou
des parents les composaient, et on y pratiquait dans une atmosphère de
convaincus et de connaisseurs, bien que les règles intangibles de la vénerie y
fussent jalousement respectées si on négligeait le côté spectacle.
Je ne sais si ces équipages peuvent encore vivre et, si j'en
crois ce que je vois et ce qui m'est rapporté, il ne doit plus en rester
beaucoup dans notre belle terre de France. À l'époque difficile que nous
traversons, il semble bien que seuls les très grands équipages peuvent
continuer à chasser. Devant les frais énormes de la chasse à courre, il faut
pouvoir réunir un nombre important de personnes susceptibles d'aider à couvrir
ces frais, et c'est alors « la grosse affaire ». C'est là aussi où le
faste nécessaire à la chasse du cerf peut se dérouler au grand contentement des
moins connaisseurs de la société, mais qui sont le plus souvent les gros
payeurs.
Voilà donc pourquoi tant de modestes équipages de lièvres,
de renards, de chevreuils et de petits vautraits ont ainsi disparu.
Si certains maîtres opiniâtres ont voulu continuer malgré
tout, ils ont dû transformer leur meute et souvent chasser à tir pour conserver
leurs chiens.
Il me souvient dans mon jeune âge, et tout débutant dans ce
noble métier, avoir assisté à quelques chasses d'une de ces petites meutes.
À la suite de relations épistolaires nouées pour l'achat de
jeunes chiens de remonte, et comme nous avions des amis communs, j'avais été
invité à faire ce déplacement.
L'équipage était composé de quinze chiens porcelaine (avec
un peu de sang harrier) et appartenait à trois frères. Ces messieurs vivaient
ensemble, n'étant pas mariés à l'époque, dans un énorme château vraiment
princier, mais dont la plus grande partie était fermée par raison d'économie.
Avec un personnel très restreint : un ménage et un jeune valet, ils passaient
ainsi leur hiver à chasser des lièvres et à suivre, entre temps, les grands
équipages voisins, un qui chassait cerf, et dont le maître était leur cousin,
et un vautrait.
Pour eux, ils chassaient seuls le plus souvent tous les
trois, faisant à tour de rôle le maître d'équipage, le piqueux et le valet de
chiens.
Arrivant dans ce petit monde où l'on ne vivait que pour la
chasse, je fus vite adopté et mis à mon aise par ces trois aimables garçons.
Ils se ressemblaient beaucoup dans leur type très particulier, car ils étaient
bruns comme la nuit, minces, élégants et nerveux, mais fort jolis hommes pour
tout dire, gais et vivants ; bientôt, nous fûmes de bons amis.
Nous fîmes deux chasses sans pouvoir prendre ; à la
chasse du lièvre, ce sont des choses qui arrivent, surtout quand on opère en
terrain difficile, ce qui était le cas, ou bien que l'on invite un confrère à
vous voir opérer.
À la troisième sortie, tout semblait merveilleux ; la
voie était bonne, les chiens galopaient et chargeaient à plaisir dans un
concert charmant de voix harmonieuses.
N'attendez pas de moi que je vous conte par le menu ce
laisser-courre. Il y a tant d'années de cela, j'ai vu aussi tant d'autres
chasses de lièvre que mes souvenirs sont un peu confus ; mais ce dont je
me souviens fort bien, c'est de l'hallali peu banal qui la termina.
Les chiens avaient mis bas dans un énorme champ de choux et
requêtaient avec ardeur. Nous supposions, avec juste raison, qu'après cette
jolie chasse c'était le défaut qui précède la prise et que notre lièvre était
tapi, bien forcé, à l'abri de ces grandes feuilles protectrices.
Tout le monde cherchait activement ; le temps passait ;
les chiens ne donnaient plus et leur belle ardeur les avait quittés ; nous
commencions à désespérer ...
Quand, tout au bout du champ, Robert, le plus jeune des
trois frères, aperçut deux chiens qui se disputaient une proie, il y galopa et
les vit tirant chacun de leur côté sur un lièvre dont la tête disparaissait
déjà dans la gueule du plus vorace. Plein de joie, il cria; « Hallali ! »
et, saisissant sa trompe, entonna la fanfare victorieuse qui nous fit tous
accourir, bêtes et gens.
Hélas ; il fallut bien vite déchanter ! C'était
bien un lièvre, un cadavre de lièvre plutôt, crevé depuis on ne sait quand et
dont les deux gloutons faisaient curée à défaut de l'autre qui, lui, courait
encore.
Mais, comme nous étions entre amis, on n'en fit pas un
drame, mais un sujet de plaisanterie, tout en gardant le secret qu'aujourd'hui
— étant, hélas ! le seul survivant — je peux raconter sans risquer
de froisser personne ni faire rire à leur dépens des veneurs qui, je suis
heureux de le dire, étaient de vrais et bons chasseurs.
Guy HUBLOT.
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