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Le tir de chasse devant les chiens

Rester soi-même

Tout le monde ne peut posséder un chien d'arrêt connaissant à fond son métier, et il n'y a pas de raisons pour excommunier d'avance ceux qui en utilisent d'assez peu indiqués pour la plaine, du moment qu'ils se plient à ses exigences et qu'ils sont utiles à leurs maîtres.

En dehors des cockers dressés comme des cockers et des corniauds dressés comme des corniauds, dont l'emploi, quand il est judicieux, peut facilement s'admettre, cette indulgence se justifie par l'exemple de chiens courants, et même de fox exceptionnels, s'écartant de leur travail naturel, chassant près de leur conducteur et levant le gibier sagement sans le poursuivre.

Nous voulons bien que ces cas-là soient très rares et attribuables à des animaux d'une intelligence particulière ; cependant ils ne méritent pas d'être ignorés systématiquement.

Une démarcation doit être établie entre le tir d'assurance, c'est-à-dire le tir étant prévenu de la présence du gibier, et le tir de surprise, que, normalement, la participation des chiens doit exclure. Elle apparaît surtout devant le gibier dispensant par lui-même le plus grand influx d'émotion à ceux qui l'entendent partir et dont le perdreau est le prototype par excellence.

Le tir du perdreau devant soi, pas spécifiquement difficile, est surtout une affaire de sang-froid, dont la primauté sur le coup d'œil est certaine.

Le fonctionnement de ses ailes a été si génialement compris qu'il ajoute à la rapidité de sa fuite le bruit puissant connu de tous, qui désarçonne les chasseurs et lui sert, à lui perdreau, de principal moyen de défense.

Son moyen secondaire, lorsque la compagnie part de près, consiste en un éparpillement brutal, rapide, imprévu, qui entrecoupe la bande et la disperse dans un saisissant excès de piaillements secouant le cœur et gênant les oreilles.

Entre parenthèses, ces cris sont-ils le fait d'une terreur indicible ou d'une manœuvre concertée ? On se le demande quand on voit ces oiseaux si rapprochés les uns des autres s'échapper du bloc qu'ils semblent former sans ces heurts et ces accrochages qui sont la marque de l'affolement.

Toujours est-il que le chasseur, déséquilibré par la soudaine et bruyante explosion du départ — et bien privilégiés sont ceux qui n'en ressentent pas quelque chose, — ne sait plus à quel perdreau se vouer. Il en prend un, le lâche, en prend un deuxième, pour en tirer un troisième qui récolte le fruit de ces hésitations successives et ne reçoit pas un grain de plomb. Il ne subit pas plus de dommages quand il est doublé, parce qu'il est trop loin — à moins que, sous l'empire du trouble qui l'a désaxé, le tireur ne pense plus à le faire ...

Ceci complète ce que nous avons dit au sujet du chasseur impressionnable qui se punit lui-même, au point de vue du tir, en se cantonnant dans l'emploi du chien d'arrêt. Un spaniel, ne lui donnant pas le temps de distiller son émotion, lui rendrait autrement service en le rapprochant du tir de surprise, qui, n'ayant pas subi d'énervement préventif, ne lui couperait pas sa cadence et lui permettrait de rester davantage lui-même.

Rester soi-même : tout est là. A ceux qui n'y réussissent pas de s'efforcer d'y parvenir par tous les moyens, qu'ils relèvent de la thérapeutique, du chien ou de n'importe quel empirisme, s'ils veulent tirer proprement les perdrix.

Dans le cas d'un oiseau isolé partant droit devant dans les meilleures conditions, suffisamment rapproché pour donner toute latitude de choisir son instant, personne ne peut opportunément vous dire à quel moment il faut presser la détente. À plus forte raison dans des circonstances difficiles ! La plupart du temps, on ne le sait pas au juste soi-même ; mais quelque chose vous le dit. Par conséquent, il faut écouter ce quelque chose, et non pas ce qu'un mauvais génie vous souffle certains jours.

Dans le premier cas, la détente fonctionne franchement sans qu'on la sente, comme si elle était liée à l'index. Dans le second, il en va autrement. La pratique a tôt fait de vous démontrer laquelle des deux manières vous est la plus propice.

Rien ne vous inculque mieux cette vérité qu'un perdreau filant droit en rasant le sol. Nous n'apprendrons rien à personne en disant qu'il faut le couvrir en proportion de la distance à laquelle il se trouve, sous peine de passer derrière. Ce risque, la trace de la gerbe vous le met sous les yeux, et l'expérience vous serine que, même avec une avance au-dessus prise généreusement, le résultat est négatif quand la détente n'est pas serrée de la bonne façon, à la seconde précise que l'on sait ... ou que l'on ne sait pas.

À défaut du perdreau, qui n'use pas trop souvent de ce genre de départ, la caille est là qui ne vous procure guère d'émotion, qui va vite et rase les chaumes, où la trace de la gerbe s'imprime encore bien mieux.

Un autre départ témoin du perdreau propre à vous faire peser l'importance du coup de fusil franchement placé est celui qu'il prend en montant. La règle du jeu ordonne également de le couvrir plus ou moins selon les circonstances. Plus l'élévation de l'oiseau devient verticale et plus il est éloigné, plus on s'aperçoit que la tergiversation ne rapporte rien. Cette vérité devient plus flagrante encore lorsque son ascension s'opère complètement en chandelle pour franchir un rideau d'arbres, par exemple, au pied duquel il a pris son essor.

On se rend compte aussi, quand il s'agit d'exécuter les tirs en couvrant dont nous venons de parler, combien il est utile de ne pas stationner dans une seule méthode de tir, ainsi que, précédemment, nous l'avons fait comprendre. Chaque fois que l'oiseau vous en donne le temps, celle des suiveurs-rencontreurs est avantageuse parce qu'elle permet de l'accompagner et de le dépasser en n'arrêtant le mouvement qu'après le départ du coup, ce qui donne de l'élan au déplacement du canon. Dans les cas où l'on a moins de temps et d'espace à sa disposition, celle des remonteurs est indiquée, si toutefois l'avance à prendre ne vous fait pas peur. Enfin, lorsqu'il s'agit d'une complète montée en chandelle de la pièce qu'un obstacle vous empêche de précéder suffisamment — coup d'exécution très rapide, —le tir en plein est plus efficace et plus aisé que celui des rencontreurs, à la condition de regarder uniquement le but, sans un coup d'oeil à son fusil, et de faire partir le coup dès que la crosse touche l'épaule. La main gauche se charge de braquer les canons sur le point fixé par les yeux ; ceux-ci regardent et ne peuvent pas viser à proprement parler.

Si personne ne peut vous indiquer le moment qui vous est personnellement le plus favorable pour presser la détente, une forme biscornue de la chance se charge parfois de vous en avertir. Un beau jour, ce qui est une façon de parler, parce que c'est généralement un jour ou l'on ne se trouve pas en forme, il arrive qu'en pointant un perdreau on fait partir le coup sans le vouloir, trop tôt croit-on pour que le plomb puisse t'atteindre. Mais pas du tout : le perdreau tombe foudroyé dans un style excellent dans lequel on ne reconnaît pas toujours celui qui vous appartient.

À moins d'avoir les yeux dans sa poche et la cervelle dans les talons, cette petite mésaventure vous donne à réfléchir. Elle vous prouve que la réussite est complète parce que la visée n'a pas pu l'être, et que, si le départ du coup ne vous avait pas surpris pendant son accomplissement, la gerbe allait passer derrière.

Une autre affirmation des faits, tout aussi probante, vous convainc qu'on ne fait pas partir le coup à la seconde voulue dans le tir du perdreau, en travers cette fois. À quel chasseur prenant, avec l'avance nécessaire, le premier oiseau d'une compagnie n'est-il pas arrivé, en effet, de voir s'effondrer le troisième ou le quatrième oiseau venant après celui de tête ? S'il ne retire pas de cet exploit une légitime fierté, le résultat matériel le satisfait et, plein de bonne humeur, il se dit : « Peut-être que, si j'avais tiré aussitôt ma correction terminée, j'aurais tué mon oiseau avec le plomb de tête, et ceux du centre et de la queue se seraient chargés d'en cueillir plusieurs autres à la suite. »

Et ce conseil qu'il se donne à lui-même ne tombe pas dans l’oreille d'un sourd, à l’encontre de ses congénères, les conseils d'autrui, qui se trouvent rarement à pareille fête.

Raymond DUEZ.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 134