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La chasse à l'hippopotame

sur les fleuves africains

Un pachyderme qui est loin de posséder les qualités de l'éléphant !

Corps lourd et massif, à peau très épaisse, dans laquelle on peut, une fois desséchée, tourner comme sur bois de fort belles cannes ; il possède une tête massive, disgracieuse, énorme, représentant le quart de la longueur totale, qui atteint souvent quatre mètres.

Tout petit cerveau, bouche énorme, s'ouvrant largement et laissant apparaître quatre canines dont les deux inférieures sont allongées et recourbées, crocs qu'il emploie fort habilement pour renverser les pirogues des noirs qui le chassent.

L'indigène trappe l'« hippo » pour sa viande d'abord, qui est excellente — même la peau, très grasse — et pour la qualité de l'ivoire de ses dents (vingt-six molaires, huit incisives cylindriques et quatre canines), supérieure à celle des défenses d'éléphant.

L'hippopotame se déplace difficilement à terre, en raison de ses pattes énormes mais courtes. Il vit surtout dans l'eau et peut rester des heures entières en plongée.

Il est herbivore, se nourrit des plantes aquatiques qui poussent le long des berges des fleuves, mais, quand un champ de manioc, de patates, borde l'eau, il a tôt fait d'y pénétrer et de le saccager.

J'ai tué plusieurs hippopotames énormes sur les bords de la Volta Noire, au moment où ils venaient récolter les légumes de notre jardin potager, la nuit, au clair de lune.

Comme, sortant de l'eau, l'animal ouvre son immense bouche en un grand bâillement, on le tire en déchargeant l'arme dans son gosier.

Le « cheval de fleuve » est absolument inoffensif et craintif. Quand on circule en pirogue sur le Niger, il n'est pas rare de voir, un peu avant le coucher du soleil, un troupeau d'hippopotames, vieux et jeunes, se livrer à leurs jeux favoris. Ils sortent aux trois quarts leur corps rose sous le ventre, soufflent puissamment, hennissent, se poursuivent, plongent, reparaissent à quelques mètres de votre embarcation.

Malheur à celui qui, à ce moment, tirerait et blesserait un individu du troupeau ! Un ou deux vieux pères auraient vite fait chavirer l'esquif.

L'indigène, pour la chasse à l'hippo, se sert d'une solide pirogue à l'extrémité de laquelle est fixé un petit treuil de bois où s'enroule une longue corde, de 30 à 50 mètres, à laquelle est fixé un harpon, exactement comme pour la chasse à la grande raie de trois à six mètres dans les mers du Sud.

Le chasseur s'approche d'une bête, assez éloignée du reste du troupeau autant que possible, et lui lance son harpon avec autant de force que d'adresse.

S'il est harponné, l'hippo plonge et ne reparaîtra plus de quelques heures, pendant lesquelles, même sérieusement blessé, il descendra le fleuve en vitesse, entraînant l'embarcation avec lui.

Quand il reparaîtra pour respirer, un deuxième harpon lui sera lancé, ou l'indigène l'attaquera bravement à coups de lance, dans un véritable corps à corps, fort dangereux. Certaines chasses peuvent représenter une poursuite de plus de deux jours.

L'Européen, avec ses armes perfectionnées, peut tirer notre pachyderme à coup sûr en visant un œil. Mais, dans ce cas encore, même blessé à mort, l'hippo plonge et il faut que des indigènes, pendant plusieurs jours, explorent le fleuve sur des kilomètres pour retrouver le corps.

On ne peut tuer l'animal à terre que lorsqu'il prend l'habitude de rendre visite à votre jardin potager.

Enfin, à signaler un fait peu connu concernant ses mœurs. L'hippopotame mâle est un individu fort jaloux. Il ne tolère qu'en rechignant la concurrence des autres mâles. Bien entendu, il se livre entre adultes de terribles duels pour les beaux yeux d'une femelle.

Mais, fort astucieux, il préfère diminuer le nombre de ses concurrents ou rivaux éventuels en faisant une chasse acharnée aux jeunes mâles, quand ils sont encore à la mamelle.

Dans ce cas, ils ont à lutter contre la femelle, qui, comme toutes les mères, emploie la ruse d'abord pour dérober sa progéniture mâle aux poursuites et recherches de leur seigneur, puis n'hésite pas à lutter pour la défendre, le cas échéant.

On dit que la race des hippopotames s'éteint peu à peu ... Ne serait-ce pas là l'explication ?

J'ai connu un Français, un Corse, qui habitait, quand je le rencontrai pour la première fois, une petite île du Niger, pas loin de l'entrée occidentale du lac Déban, dans la province de Niafouké.

Ce brave homme, après avoir travaillé comme maçon à Bamako-Koulikoro, fut pris du désir de devenir propriétaire. Comme il n'avait plus de famille directe et qu'il aimait avec passion cette Afrique qui lui assurait l'indépendance en même temps qu'une liberté chérie par-dessus tout, il choisit cette île et la demanda en concession. Elle lui fut concédée avec d'autant plus de facilité qu'elle était inhabitée, simple petite expression géographique.

Notre colon s'y installa avec sa mousso (négresse). Il eut même, dit-on, plusieurs moussos, la polygamie n'étant pas interdite en ce pays, et de ces unions naquirent de nombreux enfants, garçons et filles.

La petite colonie commençait ; il attira peu à peu des noirs avec leur famille, facilita leur établissement, leur donna du terrain avec la permission de cultiver librement, sans redevances. Ainsi, un village se forma peu à peu.

Dès mon arrivée, il me conduisit sur la partie la plus élevée de l'île, où il avait planté quelques arbres abritant son futur tombeau, car c'était le plus parfait des philosophes.

— Je mène ici une vie de patriarche, me dit-il, mais, comme je commence à vieillir sérieusement et que les travaux des champs deviennent un peu durs pour moi, j'ai conçu le projet de domestiquer des hippopotames, qui abondent dans la région. Oh ! pas de pièges ! rien de barbare pour arriver à mes fins ! J'attirerai simplement toujours un peu plus avant dans mes domaines, que je leur permettrai de saccager, quelques femelles avec leurs petits, et, par la douceur, j'arriverai à leur donner confiance, la parole, aidant.

» N'est-ce pas un beau plan ? Avec la Corse, je n'ai gardé que les relations indispensables pour me faire envoyer chaque année une provision de vin à 14° et de la charcuterie ... Je vous en ferai goûter tout à l'heure ... Mais mon pays est ici à présent. »

Invité le soir à dîner avec lui, je me souviens d'un excellent repas fait de figatellis, saucisses fortement pimentées, arrosées de ce vin capiteux dont les litres succédaient aux litres avec une vitesse inquiétante pour un buveur d'eau comme moi ... mais il était si naturel que je « tins le coup » !

Aux dires des indigènes du village, mon hôte avait déjà obtenu des résultats appréciables dans la domestication des hippopotames, et, quand je le quittai après avoir passé toute la nuit à boire, manger, causer avec lui, il m'affirma qu'au bout d'une année encore de patience il arriverait à faire tirer la charrue par ces aimables animaux.

Il comptait surtout sur les jeunes femelles qui finiraient par prendre leurs ébats dans une immense mare naturelle, aménagée par mon hôte pour recevoir directement l'eau du Niger grâce à un canal de dérivation.

J'ai la conviction que là se trouvait le secret d'une réussite dont je lui souhaitai de tout cœur le plein épanouissement !

Souvenirs de chasses coloniales du commandant Paul H ...
recueillis par

Louis SMEYSTERS.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 141