Une sélection longtemps suivie permet des réalisations
poussées à un point de perfection qu'il y a intérêt à ne pas dépasser. On sait,
en effet, qu'une qualité très affirmée peut dégénérer en défaut.
Travaillant les instincts du chien de chasse, du chien
d'arrêt en particulier, parti du chien pointant et surpreneur, dont les spaniels
demeurés à ce stade nous donnent une exacte image psychologique, nous avons
réalisé en certaines races l'arrêteur parfait qui n'est que cela et ne conçoit
rien au delà de ce rôle. Nous y sommes parvenu en recherchant la descendance
des sujets les plus immobiles au départ du gibier et avons confirmé cette
immobilité en interdisant le rapport du gibier blessé ou même mort. Il en est
résulté des arrêteurs parfaits, découvrant le gibier à distance, et j'entends
par là non les émanations d'un gibier qui s'est éclipsé, mais sa présence
réelle. Conséquence de toutes ces exigences, on a vu de ces chiens du meilleur
nez, et ne se trompant pas sur la présence ou la non-présence, considérer
l'arrêt ferme, de roc, inébranlable, comme le summum du travail exigible de
leur part et refuser en conséquence de couler à l'ordre.
À qui la faute ? Mais à nous-mêmes. Peu à peu, nous
avons refusé à la descendance des surpreneurs primitifs de s'emparer de la
proie après qu'ils l'avaient éventée, de faire un mouvement quand elle leur
partait sous le nez ; enfin, nous l'avons privée en certains pays de la
médiocre satisfaction de la tenir un instant dans la gueule après que nous
l'avons blessée ou tuée. Après quoi, on vient se plaindre qu'après des siècles
consacrés à obtenir l'immobilité parfaite de la découverte à la mort ou à la
fuite du gibier ce geste, si on ose dire, deviendra le seul qu'ose concevoir le
descendant de tant de générations de condamnés à l'immobilité.
Ce résultat fâcheux n'est dû qu'à l'exigence dernière,
partie d'un certain manque d'esprit d'observation consistant à refuser au chien
la satisfaction du rapport. Les être vivants ne sont pas des machines et, tout
comme nous, les animaux ont leurs instincts et leurs passions. Prétendre qu'un
chien peut être machine à éventer et rien de plus, qu'un autre se doit
contenter de suivre éternellement des pistes sans faire curée participe de la
même erreur. Il faut être dépourvu de réflexion pour penser qu'une telle
hyperspécialisation, un tel échenillage des instincts peut aller sans
inconvénients. À ceux qui se plaignent on peut dire : « Tu l'as
voulu, Dandin. »
Le plus élémentaire esprit d'observation enseigne que, pour
combattre l'immobilité de pierre du chien d'arrêt maintenue en dépit des
sollicitations, il n'est que d'autoriser le rapport. Cela est si vrai que le
refus du couler est le quid proprium, peut-on dire, des représentants de
quelques familles des races soumises de tout temps au régime étroit plus haut
décrit. Ayant pratiqué insulaires et continentaux, je suis fixé. Aucun des
derniers ne refuse le coulé et même faut-il en régler l'allure chez certains.
Leurs ascendants ont pratiqué de tout temps ce qu'on peut exiger d'un chien
d'arrêt chassant, et ceci explique cela. D'autre part, tel pointer et du
meilleur type, parfaitement doué en outre comme il se doit, montre tendance à
se borner à l'immobilité de statue.
Certains en prennent prétexte pour crier haro et le
condamner sans rémission, allant jusqu'à l'assimiler à l'idiot, arrêteur
éternel de places chaudes et vides. On peut s'étonner de la promptitude avec
laquelle l'espèce humaine tranche et décide, sans faire appel aux ressources de
la raison. En somme, de quoi s'agit-il ? Vous avez exigé d'un chien qu'il
découvre un gibier de loin, s'arrête à telle distance qu'il ne le fasse pas
voler. Un point, c'est tout. Vous lui avez interdit tout ce qui peut atténuer
la rigueur d'un tel programme, si pénible à certains de ses instincts. Vous en
avez fait en somme une mécanique. Estimez-vous heureux, puisque vous avez
réussi, et ne vous en prenez qu'à vous si vous êtes allé trop loin.
Cela peut se corriger, je le répète, comme je l'ai fait vers
1900 avec un pointer au nez des plus remarquables et sûrs, en le faisant
chasser et rapporter même les runners, qu'il retrouvait le nez haut en
bon pointer qu'il était.
Et voici qui vient à point. Il est pourtant entendu que ces
admirables chiens aux pouvoirs olfactifs éminents sont perdus à jamais s'ils se
mettent au métier de retriever, s'ils chassent les oiseaux coureurs, dont tous
les gallinacés de montagne, tous les gallinacés même, sauf la perdrix grise.
Telles sont les théories nouvelles dont le Garrigou méridional de Jean Castaing
doit bien s'amuser. L'aboutissement en serait en effet : « Plus de
chien d'arrêt avouable au sud de la Loire. » Comment peut-on prendre au
sérieux pareilles propositions, lorsqu'on sait dans quel style ont triomphé aux
épreuves de montagne des pointers tant indigènes que venus d'autres contrées,
il est vrai — mais, en tout cas, le résultat enseigne que les premiers
n'étaient pas si détériorés par la pratique de la perdrix rouge, leur gibier
habituel.
Les trials donnés en plaines dépourvues de couvert, la
chasse même telle qu'elle doit s'y pratiquer ont donné mauvaise réputation au
chien maintenant trop fermement après perception. Un passage trop peu connu du Dressage,
de Fram, enseigne l'art de se servir du chien d'arrêt en ces lieux où les oiseaux
n'attendent pas l'approche à portée ; c'est une sorte de rabat effectué
par le chien, très bien imaginé d'ailleurs, mais qui comporte pour ce dernier
sélection moins poussée et peut-être courants de sangs étrangers, afin de
réaliser l'équilibre qu'il faut. Le problème à résoudre comporte certains
périls. C'est ainsi qu'un temps fut où l'on vit des personnages aux
physionomies révélatrices.
Mais il faut convenir qu'on ne peut baser la sélection du
chien d'arrêt de chasse pratique sur des exercices exécutés en un milieu où la
chasse au chien d'arrêt ne peut avoir sa véritable physionomie. Le chien
chassant en terrain varié, et par conséquent entraîné à la pratique du rapport,
même aux fonctions de retriever, ne tardera pas à comprendre l'intérêt que présente
pour lui le coulé à l'ordre. S'il a grand nez et distingue bien la présence
réelle, son maître le préférera toujours à celui dont la fermeté d'arrêt est
très relative.
Ceci montre assez bien qu'il ne faut pas de principes trop
rigides. Ce qui convient à un milieu ne convient pas au voisin. C'est pourquoi
ne réalisera-t-on jamais unité de doctrine, les besoins variant suivant les
services demandes. On ne peut pas en effet oublier les contingences.
Il faut, par exemple, protester contre la théorie qui assimilerait
au stupide animal arrêtant obstinément les places chaudes le sujet vraiment
doué découvrant la présence réelle, mais seulement difficile à faire couler. Le
premier n'est bon à rien qu'à faire un chien de compagnie, s'il est d'aimable
caractère. Au second, peut-on seulement reprocher ses scrupules, qu'il tient
d'une hérédité hautement sélectionnée, avec quelque rigueur sans doute. Il
s'amendera aisément, pour peu que son maître l'exerce là où il faut et
l'autorise à exécuter des gestes commandés par l'instinct, le respect de cette
faculté étant le meilleur moyen de remettre en équilibre ce que l'excès de
notre zèle dérange parfois.
R. de KERMADEC.
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