Deux coureurs revendiquent l'honneur d'être le routier n°1
du cyclisme professionnel français : Jean Rey et Jacques Mougica, dit Moujica.
Jean Rey d'abord, parce qu'il gagna le titre officiel et le
maillot tricolore de champion de France, en juin, à l'autodrome de Montlhéry,
sur le meilleur circuit qui soit comme s'apparentant du plus près à la route.
Ce jour-là, Rey, au 250e kilomètre, émergea d'un peloton réunissant
le gratin des cracks professionnels.
Champion d'un jour, a-t-on dit, ce qui, selon certains,
élève encore la performance, l'homme et le titre. Car le fait de se présenter
au jour J dans la forme F et d'obtenir le résultat R serait pour eux la
caractéristique même du champion.
D'autres sont partisans des mathématiques en sport et se
trouvent en opposition avec les défenseurs de l'incertitude. Sans elle, disent
ces derniers, sans mystère, sans surprise, dans la substitution partielle de
l'intelligence à la force, pas de sport.
La Fédération, en s'efforçant, au moyen d'épreuves
qualificatives décentralisées atteignant toutes les régions de France, de
réunir à Montlhéry ceux — et plus encore — qui méritent de courir
l'épreuve nationale a rallié, sur sa formule, le maximum de suffrages.
Outre Jean Rey, donc, Jacques Moujica a obtenu des titres
officieux. D'abord celui de « meilleur routier français 1949 »,
décerné par un aréopage, au demeurant fort sympathique et compétent, de
journalistes spécialisés (une sorte de Concourt du cyclisme). Nos confrères,
usant de considérants, ont décrété, par une voix d'écart (un point en quelque
sorte), que le gagnant de Bordeaux-Paris, le deuxième de Paris-Bruxelles, l'une
des principales victimes de la fatalité qui s'abattit sur l'arrivée de
Paris-Roubaix, était le « meilleur cru 1949 », devant Camille Danguillaume,
lui-même second du championnat derrière Rey et vainqueur de Liège-Bastogne-Liège,
de la Coupe Marcel Vergeat, puis du championnat de Zurich.
Notre même Moujica est, par ailleurs, selon un classement
établi par points, vainqueur du Challenge Yellow ; cette fois devant
Robic, Diot, Deprez, Danguillaume, Mahé, etc. ...
Mais, voyez-vous, les classements confectionnés autrement
que sur la route même conduisent aux pires oppositions, puisque notre autre
confrère André Costes, qui s'y connaît, le bougre, classant dans Sport-Digest
les meilleurs « routiers complets », établit ce palmarès : 1er
Robic ; 2e Bobet ; 3e Apo Lazaridès ; 4e
Géminiani ; 5e Dussault, etc. ... (Marinelli hors
concours).
En « courses classiques », Robic n'arrive que 10e
derrière Danguillaume, Moujica, Diot, Deprez, Mahé, Bobet, Idée, Caput, Tassin.
C'est une fiche de consolation pour Camille Danguillaume.
Mais reconnaissons que les courses à étapes, dont le
prototype est l'énorme Tour de France (auprès duquel s'installent, en chapelet,
de grands tours régionaux, des Six Provinces, des Critérium du Dauphiné
et autre Tours du Maroc), marquent d'une empreinte particulière le cyclisme
routier et impressionnent fortement l'opinion. Encore demeurons-nous
volontairement sur le plan français, ce qui nous évite de parler du « Giro
d'Italia » notamment. De telle sorte qu'on se demande, parfois, si
l'avenir n'est pas dans ces courses à répétition journalière, qui créent
l'euphorie.
Le ville à ville serait-il trop vite bâclé ? Le
spectateur n'exige-t-il pas que le coureur, une fois la ligne d'arrivée
franchie, pénètre dans le monde des civils et lui apporte ce sentiment qu'il
sait se vêtir selon l'usage, manger à table, arguer d'autres propos que ceux du
cycle et dormir comme le plus humble des mortels ... quitte à ce que
s'établisse autour de son existence d'un soir la masse dorée des légendes et,
devant son réveil, face à un proche départ, l'image du sacrifice.
Si le public veut voir encore, c'est qu'il ne voit pas
assez. Dans notre esprit, cependant, les ville à ville, les classiques ont la
qualité rare de l'aristocratique vitesse.
Les jours de repos du tour, dans les villes-étapes, sont une
bénédiction pour l'habitant lorsque le champion-roi consent, à tort souvent, à
quitter sa couche pour une sortie de boulevard.
Il faut à une vedette le pâle sang-froid et une âme bien
trempée pour résister à la caresse populaire.
Les Antonin Magne, qui, à l'instar de Fausto Coppi,
savaient, ou savent, rester cloîtrés sont rarissimes. Au demeurant, s'ils font
la richesse de leur potentiel musculaire et nerveux, ils n'observent pas à
l'égard du « patrimoine organisation », ou seulement propagande, le fair
play magnifique et éreintant ...
Ces mots suffisent pour déceler la faiblesse et la grandeur
à la fois du métier de coureur .professionnel sur route et de champion adulé ;
pour accentuer, également, le délicat du mécanisme d'une organisation routière.
* * *
En faisant parler les tables de résultats, celles de 1949
portées à l'actif des Français n'offrent aucune tiédeur. À l'absence d'un
trophée dans le Tour de France, ou l'inégalable Coppi et ses équipiers ne
permirent point, précisément, qu'on les égalât ; à l'absence d'un titre de
champion du monde, privilège que s'octroya l'athlétique belge Van Steen-bergen
devant Kubler et Coppi lui-même, suppléent de magnifiques victoires.
D'abord un Paris-Bruxelles gagné par Maurice Diot en
finisseur remarquable, plus heureux que Danguillaume l'an dernier ; puis
un Bordeaux-Paris enlevé par Moujica devant un lot de spécialistes dont le
chassé-croisé final n'aboutit point à sa perte ; un Liège-Bastogne-Liège
pour Danguillaume, qui récidiva en France dans la Coupe Marcel-Vergeat et, en
Suisse, dans le championnat de Zurich ; un Tour du Maroc pour le
fantaisiste Brûlé, classé en outre 4e dans le Tour de Suisse ;
un Tour de l'Ouest et un Critérium des As pour Bobet ; un étourdissant
Grand Prix des Nations pour Coste ... et cette demi-victoire de Mahé dans
Paris-Roubaix, qui, pour n'être pas complète, n'en reste pas moins belle ...
le tout donné sans aucun ordre chronologique.
Mais encore ?
Paris-Clermont-Ferrand : Quentin ;
Paris-Valenciennes et le Grand Prix du Pneumatique : Deprez, un homme qui
fera, un jour, un très grand Tour de France ; Paris-Limoges : Pontet ;
Critérium du Dauphiné Libéré et Six Provinces : Lucien Lazaridès,
auquel il ne fallait que cet élan pour atteindre à la vedette ; Grand Prix
de L'Équipe : Mahé, Dussault, Barbotin.
Évidemment, il y a le Tour, le Grand, le vrai, avec
l'exploit sensationnel de Marinelli, qui termine troisième derrière Coppi et Bartali,
mais devant Robic, quatrième.
Le souvenir du Tour 49 est encore présent à nos mémoires ;
ce Tour où nos géants français mesuraient 1m,60, ce qui ne nous
défrise en rien, tant nous savons que le muscle ne se mesure pas au poids, pas
plus d'ailleurs que le courage, l'énergie et la classe.
Nous croyons que les échassiers modèle Coppi, Speicher et
consorts sont les types mêmes du coureur cycliste routier parce qu'ils portent une
mesure pulmonaire excellente, sur un système d'échelles où les leviers ont
partie facile, sans transport de poids inutile ; mais nous savons aussi
que les petits châssis ont l'avantage du poids, du rythme, de l'énergie
condensée et de l'astuce.
Aussi avons-nous été transportés de joie lorsque sont
rentrés au Parc des Princes Marinelli, nouveau promu, et Robic.
* * *
Pour mémoire, nous citerons la victoire d'Idée dans le
Critérium national de la route sur un lot de compatriotes habitués à le voir
gagner, comme Léon Georget le Bol d'Or en son temps lointain. Nous rappellerons
aussi que Dorge-bray, dans les mêmes conditions nationales, aidé enfin par une
bonne fortune, gagna les Boucles de la Seine.
Apo Lazaridès, survolté, s'envola dans la Poly à Chante-loup.
Le jeune champion dont on ne cesse d'admirer le cœur, autant lorsqu'il s'agit
de le déployer à l'ouvrage que lorsqu'il faut le mettre à contribution
sentimentale, est parmi ceux dont on aimera dans un avenir prochain saluer
l'avènement définitif après des Tours de France concluants.
Exploits ...
Nous en recherchions tout à l'heure. Celui d'Antonin
Rolland, premier des Français dans le Tour de Lombardie gagné par Coppi, avec
notre Baratin fort peu loin ; celui de Molineris, seul coureur ayant
réussi à conserver la roue de ce même Coppi dans le col de la Madonna del Ghisallo,
n'en sont-ils point ?
* * *
Mais nous parlerions longtemps de la saison ... et je
ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais nous ( !) avons parlé en
oubliant vraisemblablement des noms.
Coupons ! Ce soliloque à bâtons rompus valait bien,
n'est-ce pas, un alignement de colonnes avec des noms, des temps, des
classements ... une litanie quoi !
René CHESAL.
Note de l’Auteur.
— J'ai réfléchi. Un tableau ne serait pas mal venu,
alors que s'estompe le premier demi-siècle ... un tableau qui ferait
apparaître l'échelle de grandeur des différents taux auxquels s'inscrivit le
plus beau des records, celui du monde de l'heure sur piste, sans entraîneur.
Lisez-le, ci-après, et confessez avec nous, lecteurs, que
depuis les 35km,325 de Henri Desgrange, du chemin a été parcouru ...
Neuf fois un Français (dont trois pour le seul Marcel Berthet) a porté son nom
au pinacle du cyclisme intrinsèque sur dix-huit performances homologuées ...
Recueillez-vous sur une telle liste ... la plus belle
de toutes.
R. CH.
(1) Distance rectifiée de 45km,840.
(2) Distance rectifiée de 45km,87l (76e
Congrès de l'U. C. I., Paris, 7 février 1948).
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