Nous avons la chance, en France, de posséder un réseau
nautique incomparable, tant pour la beauté des sites et des villes qui
l'encadrent, que pour l'intérêt présenté par la majorité des rivières, au moins
dans la partie haute de leur cours, pour le tourisme nautique tel que le
conçoit le canoéiste. L'abondance et la variété des rivières françaises sont à
l'origine du développement pris chez nous par le tourisme nautique.
Il est difficile de demander à un canoéiste, surtout au début
de sa carrière, de connaître les caractéristiques de toutes nos rivières ;
il lui faudrait pour cela avoir à sa disposition un nombre important de
documents, récits de croisières, guides, cartes, et consacrer beaucoup de temps
à leur étude. Cependant, tout canoéiste, s'il veut tirer du canoé tous les
avantages qu'il est en droit d'en attendre, doit avoir une notion précise des
difficultés qu'il peut rencontrer sur chaque rivière.
Cette notion est donnée par une cote, exprimée par un
chiffre de 1 à 6, qui situe la valeur sportive de la rivière, sans tenir compte
de l'intérêt touristique. L'idée n'est pas neuve, elle a fait ses preuves
depuis fort longtemps dans le domaine de l'alpinisme, et ce furent les Suisses
et les Autrichiens qui les premiers adoptèrent ce procédé, mais seulement pour
situer la valeur d'un rapide plutôt que la classe générale d'une rivière.
En ce qui concerne notre pays, nous retrouvons, dans un
bulletin du Canoë-Club de France datant de quelques années avant guerre,
un premier essai de classification de nos rivières. Actuellement tout canoéiste
averti connaît parfaitement la valeur de cette cotation, qui lui permet
d'apprécier d'emblée le genre de navigation qui l'attend sur une rivière de
classe 4, par exemple, et de savoir qu'il ne doit pas s'engager dans un passage
coté 6.
Voici, pour nos rivières, à quoi correspond cette
cotation :
Classe 1.
— Facile. Rivière sinueuse, courant vif, déversoirs de
moulins souvent franchissables.
Classe 2.
— Même type de rivière, avec petits rapides et seuils
aisément franchissables.
Classe 3.
— Toutes les caractéristiques de la rivière sportive,
mais sans grosses difficultés ; rapides courts avec fortes vagues ou
manœuvriers sans gros volume d'eau. Pour descendre les rivières de
classe 3, un canoéiste doit savoir exécuter toutes les manœuvres et avoir
déjà l'expérience des rivières de classe 2. Le pontage est nécessaire pour
franchir la plupart des rapides.
Classe 4.
— Rivière difficile. Gros volume d'eau ou longs rapides
très encombrés. Nombreux passages à reconnaître avant de s'engager. Un pontage
parfaitement étanche est indispensable et le gilet de sauvetage souvent
nécessaire. Les équipiers doivent pouvoir rester maîtres de leurs manœuvres
dans toutes les circonstances.
Classe 5.
— Rivières très difficiles, à forte pente, avec longues
suites de rapides très violents et très encombrés. Reconnaissance absolument
nécessaire des plus fortes difficultés, dans des conditions souvent difficiles.
Les canoéistes qui descendent les rivières de classe 5 doivent avoir une
longue expérience des rivières de classe 4. Le port du gilet de sauvetage
s'impose presque continuellement.
Classe 6.
— Cette cote est utilisée pour signaler les parties
infranchissables, dans lesquelles il y aurait un danger mortel à s'engager.
Nous devons attirer l'attention du lecteur sur la façon
d'interpréter cette cotation. Bien qu'établie par des canoéistes de grande
valeur, connaissant les aspects différents de nos rivières suivant des hauteurs
d'eau variables, elle ne saurait avoir une précision mathématique.
La cote est donnée pour une hauteur d'eau moyenne,
permettant une descente normale de la rivière. Il faut bien savoir qu'une crue,
si elle facilite parfois le passage de rapides très encombrés en noyant une
partie des obstacles, rend toujours la descente plus délicate et supprime
souvent la possibilité d'aborder entre deux rapides. Une crue rend dangereuse
une rivière à gros volume.
Il ne faut pas hésiter à coter 4, par exemple, une rivière de
classe 3 dont la hauteur d'eau est supérieure à celle qui est prise pour
base et généralement indiquée dans le guide.
Par contre, en basses eaux, les difficultés seront d'un
autre ordre, créant plus de dangers pour les bateaux que pour les équipiers, et
rendant la descente moins attrayante, sinon impossible.
Il est rare que la classe d'une rivière puisse être indiquée
par un seul chiffre, à moins qu'elle ne soit très courte ou présente sur tout
son parcours un ensemble de difficultés de même valeur. Il est généralement
fait usage de plusieurs chiffres, ou bien un passage est nettement indiqué par
un chiffre supérieur.
Prenons l'exemple de l'Orne, rivière facile de
classe 1, dont la partie des gorges de Saint-Aubert est cotée 3. Il
est raisonnable qu'un canoéiste débutant descende l'Orne, mais il ne devra
s'engager dans les gorges qu'avec beaucoup de prudence et après
reconnaissance ; si les eaux sont fortes, ce passage atteint la
cote 4 et notre débutant devra absolument l'éviter.
Un canoéiste doit toujours suivre une progression constante
dans le choix de ses croisières et l'exemple de l'Orne nous permet d'observer
qu'un canoéiste ayant déjà fait ses premières armes sur des rivières de
classes 1 et 2 aura plus de chances de franchir sans incidents les gorges
de Saint-Aubert, en eaux normales, bien entendu, et d'apprécier ainsi son
aptitude à entreprendre des descentes plus difficiles.
Cet exposé sur la classification des rivières nous
facilitera, au cours des prochaines causeries, l'étude des rivières françaises
que nous vous présenterons par régions pour vous en faire connaître les
caractéristiques et vous aider dans la préparation de vos -croisières.
G. NOËL.
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