La cape est une position d'attente que doit prendre un
bateau si le temps est trop mauvais pour lui permettre de faire route. On prend
la cape sous voilure très réduite, soit en gardant les voiles au bas ris, soit
en les remplaçant par une petite voile en forte toile, dite voile de cape. Le
bateau doit se tenir alors presque debout à la lame, épaulant celle-ci, le cap
à 6 ou 8 quarts du vent. Il vaut toujours mieux, quand la chose est possible,
prendre les lames de biais pour empêcher la partie avant du yacht de tomber
trop brutalement dans le creux de la lame. Dans cette position d'équilibre, le
bateau ne doit ni avancer, ni reculer, mais seulement dériver en gardant une
toute petite vitesse pour que le gouvernail puisse agir et permettre au barreur
d'épauler, avec le cap optimum, les lames dangereuses. Le bateau dérive alors,
laissant en avant de lui une zone de remous dans laquelle les lames viennent
s'amortir. Cet effet est probablement causé par le déplacement latéral de la
quille qui crée un vide, ce qui atténue la hauteur et la force des lames. On a
donc intérêt à augmenter cette zone protectrice, c'est-à-dire à augmenter la
vitesse de dérive.
Si un bateau en cape abat et tend à prendre de la vitesse,
puis vient ensuite dans le vent, il recevra de dangereux coups de mer au moment
où il viendra du lof. D'autre part, si le bateau est en fuite, même à sec de
toile, son sillage pourra susciter des lames brisantes. Le déplacement du
bateau crée, dans le sillage, un courant de direction opposée à celle des
lames, ce qui provoque le déferlement de ces dernières. À cela s'ajoute la
forte vague formée par la coque d'un yacht se déplaçant à grande vitesse. C'est
pourquoi on conseille, en fuite, une vitesse aussi réduite que possible. Cependant,
il est des cas où des cruisers, fuyant à 10 nœuds, se sont mieux comportés qu'à
la cape ou sur ancre flottante. D'autres, par contre, abandonnant la cape et
fuyant vers un abri, ont embarqué, empanné, et se sont perdus corps et biens.
Dans la position théorique de la cape, la direction du
sillage de dérive est approximativement à angle droit avec la quille du yacht.
La vitesse de dérive est essentiellement variable, mais l'expérience nous
enseigne qu'elle dépasse rarement 4 nœuds. Le manœuvrier devra donc en tenir
compte avant de prendre une décision. Cette vitesse représentant un maximum de
100 milles par vingt-quatre heures, et étant donné le sens probable de la
dérive par rapport au vent, il faut avoir du large à courir libre de tout
danger, et prendre les amures de cape qui conviennent pour dériver dans la
direction la plus favorable.
J'ai expliqué quelle devait être la position « idéale »
à la cape, mais, en fait, les choses ne se passent pas toujours ainsi.
L'expérience montre que chaque bateau réagit à sa manière propre. Il était
généralement admis, voici quelques années, que seuls les bateaux d'un certain
tonnage pouvaient tenir la cape. Les yachts de petit et moyen tonnage viennent
de plus en plus nombreux à la croisière en haute mer. Les courses-croisières
transocéaniques réunissent à chaque saison les cruisers les plus fameux, et
certains furent pris dans de vraies tempêtes. (Je précise « vraies »,
car les terriens ont l'habitude de qualifier tempête un simple coup de vent.)
Les comptes rendus de bord sont riches d'enseignements, et il découle de cette
documentation quelques principes de base. Mais il faut se garder de dogmatiser,
et bien se convaincre qu'il n'y a pas de règles absolues. On ne peut retenir
que de simples suggestions, la conclusion définitive restant à l'expérience de
la mer et au comportement du bateau.
On a longtemps contesté l'aptitude à capeyer des yachts
modernes à élancements. Mais les yachts de course-croisière, conçus pour la
haute mer, ont des élancements moyens et un plan de dérive suffisant pour tenir
honorablement la cape. Ils doivent être et sont des compromis entre le pur
bateau de régate et l'ancien yacht classique à étrave verticale et étambot peu
incliné. Il n'en reste pas moins vrai que le cruiser moderne est d'un maniement
plus difficile à la cape, l'élancement de l'étrave, le manque de « pied
dans l'eau » à l'avant tendant à faire abattre le bateau sous l'action du
vent et des lames. Les mâts marconi, hauts et creux, offrent au vent plus de
résistance que le mât du gréement aurique ; et dans tous les gréements,
sauf celui de goélette, et à un degré moindre ceux du Ketch et du Yawl, cette
pression s'exerce sur l'avant du centre de dérive latéral, augmentant la
tendance à l'abatée.
Les défenseurs du cruiser moderne répondent : sa forme
le rend plus flottant et plus sec. Les mâts marconi sont moins lourds et ont un
centre de gravité plus bas. Le gui est plus court et plus léger. La tête de mât
est mieux tenue dans tous les sens. On tend, d'autre part, à reculer le mât du
cotre marconi vers le milieu du bateau, ce qui lui donne une meilleure tenue et
place la voile de cape suffisamment sur l'arrière. Tous ces arguments comptent,
évidemment, dans une tempête ! Mais il y a l'expérience des faits, et
ceux-ci montrent que les comportements à la cape de bateaux à peu près
identiques sont d'une grande diversité. Si vous voulez vous faire une opinion,
essayez donc de manœuvrer sous voile de cape par gros temps — je ne vous
souhaite pas la tempête, — recherchez la position d'équilibre et observez
les réactions de votre bateau. Votre sens marin interviendra et, d'instinct,
vous sentirez ce qu'il faudra faire pour aider votre yacht à se mieux défendre.
Retenez cependant des enseignements toujours valables. La voile de cape ne doit
pas être trop petite. Sa surface doit être trois ou quatre fois la surface
présentée au vent par le grand mât. Elle ne doit surtout pas faire « sac ».
Ne pas oublier que plus ce vent est violent, plus la voile doit être plate et
robuste. Les conseillers théoriciens recommandent, avec le Yawl ou le Ketch, de
se mettre en cap en rentrant la grande voile et en conservant les phares avant
et arrière. Mais les voiles ordinaires ne sont pas faites pour un vent
soufflant en tempête, et, d'autre part, il est sage de ramasser la voilure
solidement. Or le mât de tapecul du Yawl est d'une solidité précaire et sa
voile à l'extrémité du bateau est moins accessible et maniable qu'une voile
centrale. Une voile de cape doit être à bordure libre et solidement fixée sur
le pont. Sur un marconi, elle est hissée avec la drisse de grande voile et
maintenue contre le mât par le chemin de fer, ce qui est plus sûr que le transfilage,
qui peut se couper. À la hauteur du point de drisse de la voile de cape, le
chemin de fer doit être spécialement renforcé en prévision de l'effort
considérable qu'il devra supporter dans cette partie.
Si la toile ne peut plus tenir, on prendra la cape à sec de
toile, à moins qu'on ne juge préférable de mouiller l'ancre flottante où de
fuir devant le temps, si on a du large à courir. À sec de toile, le bateau est
abandonné à lui-même. Il se tient généralement entre 5 et 10 quarts du lit du
vent. Mais il faut être au grand large et en eaux profondes. Dans ces
conditions, on peut poser en principe qu'un petit bateau est absolument sûr,
pourvu qu'il ait un gréement et une coque en bon état. Mais dès que les fonds
se relèvent, au voisinage du plateau continental par exemple, les lames
deviennent hautes, courtes et brisantes. Le yacht ne peut plus être abandonné à
lui-même et l'ancre flottante devient nécessaire.
En conclusion, malgré tout le travail théorique auquel on
peut se livrer, c'est l'expérience de la mer et du bateau qui apporte la
solution définitive. C'est l'habileté, l'endurance et le courage de l'équipage
qui en assurent le succès.
A. PIERRE.
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