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Les origines du camping

Une autre catégorie de peuples nomades (1) utilisa la tente depuis les temps les plus reculés. Ce sont les peuples chasseurs, parmi lesquels on peut citer plus spécialement les Indiens d'ailleurs improprement et les Esquimaux.

Les premiers, plus fréquemment appelés Peaux-Rouges, sont bien connus de tous. Les exploits de Sitting Bull ou de la Longue-Carabine n'ont-ils pas passionné nos lectures d'enfant ? Et la forme-caractéristique de la tente indienne est assez familière à beaucoup. C'est le tipi ... Précisons tout de suite qu'il était employé par l'Indien des plaines, seul « campeur ». Car, contrairement aux idées largement répandues, beaucoup d'Indiens étaient sédentaires et vivaient dans des pueblos, ou villages, et s'adonnaient à l'agriculture. Mais revenons à l'Indien des plaines, chasseur et nomade.

Le tipi était une tente conique, dont la base était un cercle de cinq à six mètres de diamètre, pour une hauteur sensiblement égale. Pas de mât central, mais une armature de perches, généralement au nombre de treize. Ces perches venaient s'appuyer les unes contre les autres, au quart environ de leur hauteur (en partant du haut). Leurs extrémités inférieures étaient disposées régulièrement sur la circonférence délimitant la base du cône formé. Dessus, étaient étendues des peaux de bisons, et une ouverture restait toujours ménagée au sommet de la tente, afin de laisser passer la fumée du feu, qui était allumé au centre du tipi. Deux oreilles, orientables suivant le vent, permettaient d'activer le tirage et d'assurer une meilleure ventilation. La porte était une ouverture circulaire, ou ovoïde, fermée par un panneau mobile de même forme.

À l'intérieur, un rideau circulaire attaché aux perches faisait le tour de la tente. Son utilité était multiple. Tout d'abord, il protégeait les occupants de l'air pouvant passer au ras du sol ; ensuite, il canalisait l'air vers le haut du tipi, activant ainsi la ventilation de bas en haut. Enfin il créait un espace entre lui et la paroi du tipi, espace utilisé pour ranger toutes sortes de choses.

Pas de tapis sur le sol. Autour du foyer, des nattes jetées sur la terre. Sur ces nattes, des lits faits de baguettes entrecroisées, enfilées à chaque extrémité dans une lanière de cuir et supportées par un cadre reposant sur des pieux à la tête et aux pieds. Des couvertures, des peaux de buffle venaient agrémenter l'intérieur, très confortable, même par temps très froid. Le feu servait à la fois au chauffage, à la cuisine et à l'éclairage.

Les femmes — les squaws — étaient chargées du montage et du démontage des tipis. Les hommes, toutefois, s'en réservaient la décoration. L'ensemble, très lourd, était transporté par les chevaux. Les perches attachées de chaque côté du cheval traînaient par terre. Sur l'extrémité arrière, reposait une claie, que l'on pouvait charger de différents fardeaux.

Un autre peuple chasseur est le peuple esquimau, que les explorations récentes de Paul-Émile Victor viennent de replacer au premier plan de l'actualité. En hiver, l'Esquimau vit sous une hutte de neige, l'igloo ; en été, sous la tente.

La tente esquimau se compose d'une sorte de fronton en bois, sur lequel viennent s'appuyer des perches, dont l'autre extrémité repose sur le sol. Cette armature est recouverte de peaux de phoque, quelquefois en double épaisseur. La porte est un rideau en peau d'intestins de phoques.

L'explorateur Nansen, qui exécuta la première traversée du Groenland, nous a laissé de nombreux récits sur la vie de la famille esquimau. Dans les grandes tentes s'entassaient quatre ou cinq familles. Devant le compartiment de chaque famille brûlait la lampe à huile, dont la flamme, très large, était entretenue par les femmes. Elle servait à faire la cuisine, au chauffage et à l'éclairage, comme dans le tipi indien.

Nous n'avons pas eu la prétention de citer tous les peuples qui utilisèrent ou utilisent encore la tente comme habitation habituelle. Ceux que la question intéresserait d'une façon plus vive pourront se reporter avec fruit au bel ouvrage de Jacques Bidault et Pierre Giraud : L'Homme et la Tente. Nous n'avons voulu qu'indiquer quelques-uns des précurseurs de notre camping moderne.

Avant de parler de ce dernier, signalons enfin qu'une autre catégorie d'individus utilisèrent la tente. Ce sont les explorateurs divers qui, au cours des siècles, s'en allèrent à la découverte du monde. Tous, que ce soit au Canada, en Amérique du Nord, en Afrique, en Asie ou aux pôles utilisèrent l'abri de toile qui nous est si cher.

Cavelier de la Salle, Livingstone ou Stanley, Savorgnan de Brazza ou Gallieni, Nansen ou Paul-Émile Victor n'eurent pas d'autres abris. Et, tout récemment, la tente ne vient-elle pas, à deux reprises, d'être utilisée, au cours d'explorations souterraines, par nos amis du Spéléo-Club de Paris, à La Henne-Morte, en 1947, et à Padirac, en 1948 et en 1949 ?

Le camping moderne

C'est à la fin du XIXe siècle qu'il faut faire remonter l'origine du camping moderne. Dès cette époque, les hommes, devenus de plus en plus sédentaires, attirés de plus en plus par les villes et les usines, ayant à leur disposition des moyens de transports en commun ou particuliers de plus en plus perfectionnés, s'éloignèrent de plus en plus de la vie naturelle. Et, peu à peu, au fond de leurs tristes maisons à étages multiples, au milieu des fumées et des odeurs d'essence, il y eut certains pionniers qui désirèrent repartir vers la nature et, au moyen du camping, se retremper, à chaque fin de semaine, dans le silence réparateur des champs et des bois ...

Et ainsi naquit, il y a une cinquantaine d'années, le camping moderne, sous forme d'une réaction contre la super-industrialisation des villes. Car il est évident que c'est au sein des grandes cités que se rencontrèrent les premiers campeurs, et le titre de fondateur du camping moderne peut être attribué à un Anglais, T. H. Holding, qui, après avoir campé en solitaire de longues années, fonda, en 1901, à Oxford, la première association de cyclo-campeurs, qui devait devenir, par la suite, le Camping-Club de Grande-Bretagne. En France, ce mouvement suivit, et des pionniers pratiquèrent le camping dès le début du siècle ; mais il faut attendre 1910 pour voir se créer le premier club de camping, fondé par J. Cudorge, le Camping-Club français, qui devait devenir ultérieurement, par suite de la fusion avec un groupement plus jeune, les Campeurs de France, l'actuel Camping-Club de France.

C'est entre 1918 et 1939, et surtout à partir de 1936, que le camping prit, dans la vie sociale, l'importance qu'il a acquis aujourd'hui. Après une interruption forcée de 1939 à 1941, par suite de l'invasion, le camping reprit son essor, malgré l'occupation, dès 1942, et, depuis la Libération et la fin des hostilités, il subit une vogue croissante. Des considérations autres que celles des premiers campeurs sont venues pousser nos contemporains à pratiquer le camping.

Il y a d'abord ceux qui font du camping parce que c'est « à la mode » ; il y a aussi la masse de ceux qui, ne pouvant plus se payer les vacances à l'hôtel ou en villas, cherchent dans le camping un moyen bon marché de vacances ...

Certes, ce n'est pas là la mentalité initiale des premiers campeurs et, souvent, l'on est bien loin de cet amour de la Nature qui poussait et qui pousse encore, heureusement ! le campeur 100p. 100 ... C'est la raison pour laquelle il y a maintenant, hélas ! trop à dire sur la conduite de certains « campards » qui déshonorent le camping. Mais cette question mérite que l'on s'y étende. Et cela fera l'objet d'une de mes prochaines chroniques.

Jacques-J. BOUSQUET,

Président du Camping-Club de France.

(1) Voir Le Chasseur Français de février 1950.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 161