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Baux à ferme

Causes mettant fin au bail.

Pendant de nombreuses années, les fermiers se sont efforcés d'obtenir, pour les exploitations agricoles louées par eux, la même protection que celle dont jouissent les commerçants pour les baux de leurs locaux professionnels et que l'on désigne communément sous le nom de propriété commerciale.

Les fermiers ont finalement obtenu satisfaction : l'ordonnance du 17 octobre 1945, modifiée et complétée par la loi du 13 avril 1946, a institué en leur faveur le régime du statut du fermage, qui se caractérise notamment par le bail de neuf ans et par le droit au renouvellement de celui-ci lorsqu'il arrive à expiration.

On pourrait croire, par suite de cette institution du statut du fermage, que le fermier est définitivement assuré dans l'exploitation, qu'il y a pour lui une sorte d'immobilisation et que le propriétaire de l'exploitation n'a guère qu'une sorte de nue propriété de son domaine, dont le fermier a l'usufruit.

Il n'en est pas tout à fait ainsi : comme on va le voir, ce principe du bail de neuf ans et de son renouvellement obligatoire comporte diverses exceptions.

Le bail peut cesser pendant qu'il est en cours : par suite de résiliation amiable, de résiliation judiciaire, de résiliation en cas de décès du fermier, de reprise du bailleur, de vente de la propriété louée.

Le bail peut ne pas être renouvelé à son expiration, si le propriétaire a de justes raisons pour opposer un refus ou s'il veut exercer le droit de reprise.

I. Causes de résiliation du bail

1° Résiliation amiable.

— Le bail peut prendre fin pendant qu'il est en cours par la volonté réciproque des parties. Il y a là une application de l'article 1134 du Code civil.

Cet article 1134 est ainsi conçu : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour des causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

2° Résiliation Judiciaire.

— La résiliation judiciaire ou résolution peut être prononcée à la demande du bailleur ou du preneur.

A. Au profit du bailleur.

— Le bailleur peut faire résilier le bail par le tribunal paritaire s'il justifie à l'égard du preneur de l'un des motifs graves et légitimes définis comme il est dit à l'article 28 du statut du fermage.

Peuvent être considérés comme motifs graves et légitimes :

    a. Les retards réitérés du payement du fermage, à moins que ces retards ne soient dus à une cause de force majeure ;

    b. Les agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, notamment le fait qu'il ne dispose pas de la main-d'œuvre nécessaire aux besoins de l'exploitation ;

    c. Le refus du preneur d'appliquer les mesures d'amélioration de la culture et de l'élevage préconisées à la majorité des trois quarts des voix par la Commission consultative départementale des baux normaux.

Le bailleur peut aussi invoquer, le cas échéant, les dispositions de l'article 1766 du Code civil, qui est ainsi conçu :

« Si le preneur d'un héritage rural ne le garnit pas des bestiaux et des ustensiles nécessaires à son exploitation, s'il abandonne la culture, s'il ne cultive pas en bon père de famille, s'il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou, en général, s'il n'exécute pas les clauses du bail et qu'il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.

B. Au profit du preneur.

— La résiliation du bail peut être demandée par le preneur :

    a. Lorsque lui ou l'un des membres de sa famille est frappé d'une incapacité de travail grave et permanente ;

    b. Lorsque la famille est, par suite de décès, amputée d'un ou plusieurs de ses membres indispensables au travail de la ferme ;

    c. Lorsque le preneur a acheté une ferme qu'il doit exploiter lui-même.

Si l'événement qui motive la résiliation est intervenu au moins neuf mois avant la fin de l'année culturale en cours, la résiliation peut prendre fin, au choix du bénéficiaire, soit à la fin de l'année culturale en cours, soit à la fin de l'année culturale suivante.

Si l'événement qui motive la résiliation est intervenu moins de neuf mois avant la fin de l'année culturale en cours, la résiliation doit avoir lieu à la fin de l'année culturale suivante.

3° Résiliation en cas de décès du fermier.

A. Au profit des membres de sa famille.

— En cas de décès du fermier, ses ayants droit peuvent demander la résiliation du bail dans les six mois de sa mort.

Lorsque le décès intervient au moins neuf mois avant la fin de l'année culturale en cours, la résiliation peut, au choix des ayants droit, prendre effet soit à la fin de l'année culturale en cours, soit à la fin de l'année culturale suivante.

Lorsque le décès a lieu moins de neuf mois avant la fin de l'année culturale en cours, la résiliation ne prend effet qu'à la fin de l'année culturale suivante.

B. Au profit du bailleur.

— La résiliation du bail peut jouer aussi au profit du bailleur, sur sa demande, en cas de décès du fermier.

Mais il faut pour cela que le preneur ne laisse pas de conjoint, d'ascendant ou de descendant âgé d'au moins seize ans au jour du décès, habitant ou cultivant l'exploitation avec lui ou justifiant, dans des conditions fixées par décret, d'un ensemble de connaissances théoriques et pratiques agricoles, ou lorsque le preneur, étant mort pour la France, n'a pas laissé de parents jusqu'au quatrième degré inclus ayant assuré en son absence la bonne marche de l'exploitation et en état de la continuer.

4° Résiliation pour reprise du bailleur.

— Le bailleur a la possibilité, en cours de bail, d'exercer au profit de ses descendants le droit de reprise de l'exploitation louée.

Ce droit de reprise est subordonné aux conditions suivantes :

    a. Il faut que la faculté d'exercer ce droit lui ait été expressément accordée lors de la conclusion du bail.

    b. Cette reprise du fonds loué ne peut s'exercer qu'en faveur d'un fils ou d'une fille du bailleur, ayant atteint l'âge de la majorité.

    c. Elle ne peut intervenir qu'à la fin de chaque période triennale du bail.

    d. Le fils ou la fille bénéficiaire de cet avantage doit exploiter personnellement le fonds pendant neuf ans au moins et occuper lui-même les bâtiments de l'exploitation.

5° Résiliation en cas de vente de l'exploitation.

— L'article 1743 du Code civil, modifié par le statut du fermage, dispose que, « si le bailleur vend la chose louée, l'acquéreur ne peut expulser le fermier qui a son bail authentique ou dont la date est certaine ».

Le rapporteur de la Commission de l'Agriculture à l'Assemblée nationale, commentant ce texte, a déclaré : « Ainsi l'acquéreur du fonds loué ne doit pouvoir, en aucun cas, expulser le preneur. »

Mais les fermiers doivent bien se garder d'avoir seulement une location verbale ou un bail sous-seing privé non enregistré, car, ne possédant pas, dans ce cas, de bail authentique ou dont la date est certaine, ils seraient exposés à voir résilier leur location en cas de vente de la propriété louée.

II. Refus du renouvellement du bail

1° Motifs graves du propriétaire.

— Le propriétaire peut s'opposer au renouvellement du bail lorsqu'il a des motifs graves et légitimes à faire valoir contre le fermier.

Ces motifs graves et légitimes sont ceux qui ont été examinés lors de la résiliation judiciaire du bail.

Les manquements du fermier à ses obligations visés dans l'article 1766 du Code civil, dont le texte est également reproduit ci-dessus, peuvent aussi constituer des motifs graves et légitimes de nature à justifier le refus de la part du propriétaire de renouveler le bail.

2° Droit de reprise du bailleur.

— Le propriétaire peut refuser le renouvellement du bail lorsqu'il veut exercer le droit de reprise dans l'un des cas expressément prévus par la loi.

    a. Ce droit lui est reconnu lorsqu'il veut reprendre le fonds loué pour l'exploiter lui-même personnellement d'une manière effective et permanente pendant neuf ans au moins et à charge d'occuper lui-même les bâtiments d'habitation du fonds.

    b. Si le bailleur est déjà propriétaire ou usufruitier d'un autre fonds qu'il exploite personnellement avec sa famille, il peut exercer le droit de reprise du bien loué, mais seulement pour y installer ses fils et filles ayant atteint l'âge de la majorité qui doivent l'exploiter pendant neuf ans au moins et occuper eux-mêmes les bâtiments d'habitation du fonds.

    c. Par une clause expresse du bail, le propriétaire a pu se réserver le droit de reprendre le fonds loué à l'expiration de chaque période triennale, donc à la fin du bail également, pour y installer un fils ou une fille ayant atteint l'âge de la majorité.

L. CROUZATIER.

Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 177