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Chasse au chien courant

D'un personnage muet

(ou qui devrait l'être)

Si les maîtres d'équipage, si ceux qui, plus modestes, ne font que diriger des chiens courants de chasse à tir que, fort justement, ils ne désignent pas sous le nom, en l'occurrence un tantinet ridicule, de meute, n'auront, du moins je le pense, que peu de purgatoire à faire (et ce, grâce à l'intercession toute puissante de saint Hubert), c'est aussi parce que les suivants, invités, pétulants cavaliers ou chasseurs bien ignorants, leur auront donné tant de prétextes à coup de sang, « enguirlandades rentrées » et autres vérités gardées d'une manière si indigeste sur le cœur, que ces pauvres martyrs de la vénerie récolteront enfin le prix de leurs souffrances.

La chasse au chien courant, pour se dérouler dans le calme d'une belle chose fort bien ordonnée, voudrait qu'elle ne fût pratiquée que par des connaisseurs ou, tout au moins, par des néophytes possédant le feu sacré et tout disposés à considérer comme des oracles ceux sur qui repose le poids de mener au succès ces chiens et gens lancés à la poursuite d'un animal sauvage, qui n'a de bête que le nom.

Si tout se passait ainsi, ce serait trop beau. L'heureux mortel ne chassant qu'avec ses chiens, un homme et quelques compagnons triés et dont il sait tous les défauts et toutes les qualités, ne connaît pas son bonheur. Je crois, du reste, qu'à notre époque ce type-là à disparu avec la trompe à la Dampierre et le fusil à marteau.

Je vais donc me permettre, sans acrimonie aucune, de suggérer aux personnes peu qualifiées, amenées à suivre un équipage ou à prendre part à une chasse à tir au chien courant, quel pourrait être leur comportement afin de ne gêner ni les hommes, ni les chiens, et éviter quelques-unes de ces grosses — et très habituelles — fautes que l’on peut commettre dans toute l'innocence d'un enthousiasme fort compréhensible.

D'abord, il faut bien se dire que notre présence n’apportera qu'une aide réduite à un ensemble qui fonctionne très bien depuis longtemps ; la simple réflexion nous oblige à convenir que ce n'est pas notre venue qui, d'un seul coup, puisse modifier cela. Il sera donc prudent de nous tenir dans une sage expectative et de nous garder d’initiative pouvant être fort mal reçue.

Je me souviens — car, dans ces causeries sans prétentions, nous remuons pas mal de souvenirs — d'un homme fort aimable mais bien ignorant en fait de chasse à courre, qui assistait pour la première fois un laisser-courre en notre compagnie ; au début, il se contenta de suivre, collant derrière les chevaux du maître d'équipage ou des boutons sans poser trop de questions oiseuses ; mais par la suite, après un balancer où le piqueux encourageait ses chiens de la voix, il se crût obligé de pousser lui aussi des cris inarticulés qui nous plongèrent dans la stupeur la plus absolue ; je crois qu'il vit tout de même, à la tête que nous faisions, l'effet qu'il avait produit. Il se le tint pour dit, mais nous ne le revîmes plus jamais à la chasse.

Sera-t-il utile de rappeler qu'il est de fort mauvais goût, pour ne pas dire que c'est faire preuve d'une bien mauvaise éducation, de critiquer ou les chiens, ou la manière de découpler, ou de mener la chasse ? Cela semble élémentaire, et pourtant j'ai entendu de ces remarques à faire frémir et qui étaient le fait de gens bien innocents et que l'on eût pu croire de bonne compagnie ...

La chasse au chien courant, comme le football ou le polo, est un sport d'équipe ; il est absolument ridicule et malséant d'y faire preuve d'individualisme ou de chercher à y briller au détriment du reste de la société. Même à la chasse à tir, celui qui tue l'animal de chasse n'a souvent qu'un bien petit mérite à côté de celui qui a aidé à relever un défaut, à rallier des traînards sur la bonne chasse, etc. Il ne s'agit donc pas de vouloir à toutes forces tirer sans s'occuper si, en remuant ou en courant, au-devant, ces manœuvres gênent nos autres compagnons, qui sont aussi capables de donner le coup de grâce.

Maintenant, i1 y a quelque chose d'absolument « tabou » pour l'invité ou le débutant : c'est la meute. S'il fallait énumérer les circonstances où des maladroits, ou des ignorants, ce qui revient au même, ont été la cause de défauts ou de chutes de voies inexplicables, nous n'en finirions pas. Lorsque des chiens chassent, laissez-les tranquilles, je vous en conjure. Vous avez vu sauter un animal que vous supposez (je dis supposez, car rien ne vous l'assure) être l'animal de chasse ; abstenez-vous de ces cris sauvages, de ces taïauts retentissants qui sont aussi pénibles pour les vrais chasseurs que ridicules et inopérants ; si les chiens sont assez volages pour y courir, le plus souvent ils s'emballeront, suralleront la voie et, au lieu d'avancer la menée, vous serez cause d'un retard, à moins que ce soit une rentrée au chenil sans gloire.

Et, pour finir, je vais vous répéter cette « Prière à saint Hubert » que composa, il y a bien longtemps, M. de Puy-perdu : « O saint Hubert, mon grand Patron, toi qui fus si miraculeusement touché de la grâce, accorde à tous tes disciples un peu de ta merveilleuse clairvoyance, mais surtout donne-leur à chaque moment, et dans les circonstances les plus difficiles de la châsse, une parfaite sérénité dans le silence absolu et complet, et délivre-nous des enthousiastes. Ainsi soit-il. »

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 196