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Le courre du daim

Le daim, animal plus de parc que de forêt, a connu au XVIIIe siècle le destin des animaux de vénerie. Courir le daim était plaisir de dames. Le daim se courait comme le cerf, et il n'était presque pas d'espèce de chiens courants qui ne pût et ne voulût le chasser. Mais, comme cet animal est moins sauvage, moins effarouché, plus domestiqué donc que le cerf, sa chasse présentait peut-être plus de finesse, tout en réclamant moins de monde.

Il était inutile de faire le bois avec le limier, parce que le veneur savait toujours les cantons où se tenait la harde et qu'il était sûr de l'y trouver. Il suffisait par conséquent de lancer seulement le daim ; on découplait à peine cinq ou six chiens sages pour fouler l'enceinte, et, l'animal une fois choisi, mis debout et séparé des autres, le gros de la meute n'était jamais découplé avant que les veneurs n'aient vu le daim par corps.

Les relais étaient supprimés, car le daim ne se forlongeait pas ; toutefois une plus grande attention devait être déployée pendant le laisser-courre. La bête pourchassée cherchait toujours à se dérober par la ruse et le change ; elle tournait et retournait sans jamais beaucoup s’éloigner de la harde dans laquelle elle rentrait, se mêlait avec les autres daims et en faisait sortir le change. Ou bien encore elle revenait sur ses voies et, les entremêlant, elle dépistait la meute. Le daim y réussissait d'autant plus facilement qu'il ne laisse pas sur la terre ni aux portées une impression forte et durable. Délicate était alors la tâche du piqueur qui devait rapprocher l'animal de meute et relivrer aux chiens tombés en défaut.

Pressé, épuisé, le daim se jetait à l'eau, mais ne se hasardait pas à traverser de trop larges étendues. L'hallali était court, l'animal aux abois étant vite coiffé par les chiens. Sa curée se déroulait comme celle du cerf. Pour courir le daim, Louis XV eut un petit équipage spécial qui n'était rattaché ni à la Grande Vénerie, ni à aucun autre service, et qu'il entretenait sur sa cassette. Le roi le forma dans le courant de l'année 1738, en remaniant un équipage précédemment affecté au lièvre et dont il augmenta la meute de quelques chiens. Il courut le daim pour la première fois le 26 novembre 1738 à Saint-Germain, avec cet équipage vert ou des chiens verts, ainsi désigné à cause de la couleur de l'uniforme de ses veneurs.

Le marquis de Dampierre, gentilhomme des Menus Plaisirs et ancien commandant de l'équipage du Grand Prieur, avait été choisi pour diriger la meute du lièvre ; il resta à la tête de celle du daim.

Mais là ne réside pas la gloire de ce remarquable veneur, qui fut surtout célèbre pour ses admirables fanfares de chasse. À quarante-cinq ans, alors qu'il était un homme d'expérience, il composait sa première fanfare : « La Royale », qui date de 1723. Il émerveilla la cour entière ; le Roi lui-même lui demanda des conseils, et chacun sait que Louis XV est l'auteur de la « Louyse Royalo ».

Le marquis de Dampierre mourut le 17 juin 1736, à l'âge de soixante-dix-huit ans. Ainsi disparaissait le plus mondain et le plus courtisan peut-être des veneurs de Louis XV. Il laissait un nom dans la vénerie et un équipage qu'il avait conduit avec maîtrise et talent.

La meute avait aussi un commandant en second, qui fut Lebel, ancien concierge de Versailles et premier valet de chambre du roi. Quant aux piqueurs et aux valets de chiens, ils étaient peu nombreux, quatre ou cinq.

À partir de 1744, Mesdames commencèrent à suivre les laisser-courre. Élégantes cavalières, elles aimaient ces chevauchées qui les délivraient de l'étiquette et de l'ennui du grand Versailles. Bientôt Louis XV leur fit cadeau de cet équipage, et elles en suivirent presque toutes les chasses. Le Roi les accompagnait souvent, le Dauphin plus rarement : il s'y comportait en homme qui n'aimait pas la chasse, abandonnait les veneurs et ne s'inquiétait aucunement ni de la poursuite ni de l'hallali.

Chaque année se déroulaient en moyenne cinquante à soixante laisser-courre, la plupart du temps couronnés de succès.

Le 1er septembre 1774, Louis XVI décidait la réforme de l'équipage par raison d'économie.

C'en était fini de la chasse du daim.

F. VIDRON.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 197