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Comment chassent les carnassiers nuisibles

Nous ne nous occuperons ici que des carnassiers nuisibles à la chasse faisant l'objet d'un piégeage régulier.

J'ai toujours été un ennemi des prévisions mathématiques ; les statistiques sont une excellente chose pour comparer des faits passés, mais, pour les faits soumis aux lois de la nature prévoir en se basant sur leurs conclusions est très aléatoire.

Que de fois ai-je lu de savants-calculs chiffrant le nombre de pièces de gibier que détruit tel ou tel animal nuisible dans le cours de l'année. Que de bourdes magistrales ont été pondues sur ce sujet ! Par contre que de fois ai-je trouvé dans mes pièges des animaux dont l'état physique était loin de correspondre au régime alimentaire qu'on lui attribuait. Je ne veux pas prendre ici la défense de ces animaux, mais simplement essayer de me rapprocher de la vérité. Comme je l'ai dit dans Animaux nuisibles et dans Le Manuel du piégeur, les jours de festin sont rares pour les carnivores sauvages ; quand il s'en présente un, ils en profitent, digérant après parfois un ou deux jours sans sortir. Il n'est qu'à suivre en hiver une piste de renard sur la neige pour se rendre compte que bien souvent, malgré des kilomètres parcourus dans la nuit à la recherche d'une proie, l'aube arrive, et l'animal doit se contenter de rogner un vieil os ou un vieux bout de cuir déterré dans un tas de fumier. Le régime alimentaire de ces animaux est saisonnier, et très irrégulier. Quant à la recherche de la nourriture, elle est, malgré toutes les ruses déployées, souvent mise en échec par la défense qu'oppose le gibier. Ce point de vue de la défense du gibier est trop souvent négligé et pourtant il offre une importance capitale. C'est cette défense qui fait qu'après les deux dernières guerres gibier et nuisibles étaient en abondance, bien que la chose paraisse paradoxale. L'influence de l'homme disparue, on voit donc le gibier lutter honorablement contre ses ennemis naturels et toutes leurs ruses. Voyons donc comment chassent ces nuisibles et comment agissent leurs sens.

Le loup, le chacal et le renard chassent aussi bien au vent (comme le fait un chien d'arrêt) qu'à la piste (comme le fait un chien courant). Ces trois espèces offrent la particularité de se réunir parfois pour chasser en grappe : loups et chacals en petites bandes, renards par deux individus ensemble.

Le renard chasse contre le vent, cherchant à éventer sa proie, puis à l'approcher par une marche rampante et, enfin, à bondir sur elle par surprise. Il lui arrive aussi d'affûter à une bordure de bois, attendant l'occasion propice pour bondir sur d'imprudents lapins ou poulets qui se sont aventurés en plaine. L'ouïe, l'odorat et la vue sont à égalité d'importance pour le renard.

Le blaireau ne chasse pas à proprement parler : il fouine de-ci de-là au cours de sa randonnée nocturne, éventant tantôt un nid, une rabouillère, des fruits tombés, un nid de guêpes. Il n'est ni taillé pour poursuivre et forcer sa proie, ni bâti pour bondir sur elle. Il est, du reste, un parfait omnivore et son menu comprend certainement plus de végétaux que de viande. Son odorat est certainement le sens le plus développé, puis son ouïe et enfin sa vue. Il n'affûte jamais ses proies.

Le chat est le spécialiste de l'affût patient et de l'approche insoupçonnée que termine une série de bonds fulgurants. Son ouïe très fine, sa vue excellente compensent la déficience de son odorat. Toute nichée, tout terrier de lapin repéré par ses soins devient l'objet d'une destination effrayante de sa part et qui ne se termine qu'avec l'extermination du dernier occupant.

Martre et fouine chassent à la piste et à la surprise au bond. L'ouïe et l'odorat jouent les premiers rôles ; la vue est bonne et n'intervient que pour la chasse à vue. Toutes deux suivent parfaitement une piste, mais dans les branches elles chassent à vue. Ni l'une ni l'autre n'affûtent.

Le putois chasse à la piste, son odorat et son ouïe jouant les premiers rôles. Il poursuit sa proie, l'accule dans un terrier, ou bondit sur elle par surprise. Il n'affûte jamais.

L'hermine et la belette chassent à la piste, poursuivent, forcent ou acculent leurs victimes dans un terrier, ou bondissent sur elles par surprise. Il faut voir une hermine pistant un lapin échappé d'un terrier, ou une belette chassant les mulots dans les champs pour apprécier l'acharnement déployé par ces animaux au cours de leurs chasses. L’odorat et l'ouïe servent plus que la vue. En général, félidés et mustélidés voient bien tout ce qui bouge.

Le hérisson, nuisible à certains moments, chasse comme le blaireau ; il fouine partout au hasard de ses randonnées, éventant ce qui peut être un repas pour lui, mais il n'affûte pas et est incapable de poursuivre utilement une proie. Il est autant frugivore que carnivore.

La loutre, qui pêche plus qu'elle ne chasse, ne se sert vraisemblablement pas plus de son odorat que de son ouïe ; sa vue peut jouer un rôle, mais c'est, à mon avis, le « toucher », sous forme de poils tactiles entourant les yeux et le museau, qui joue le rôle principal dans la capture des poissons : ce sont de véritables antennes réceptrices prévenant de la présence du poisson.

A. CHAIGNEAU.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 203