Le ski de printemps, non, ce n'est pas ce que l'on peut
penser si l'on n'y a pas goûté : ce n'est pas la prolongation de la saison
d'hiver aux altitudes où l'hiver dure encore lorsque la neige a déjà fondu dans
les vallées. C'est bien autre chose ; c'est un sport très différent du ski
classique et dont les joies ne sont pas les mêmes, sinon contraires.
L'hiver ne persiste pas plus longtemps en altitude. La
neige, certes, y demeure plus longtemps et même tombe encore souvent, et le
froid nocturne y est encore très vif; mais ce n'est plus le véritable hiver. Ce
n'est pas non plus le printemps tel que nous le connaissons dans la zone des
habitations. Exactement, c'est une saison aux caractéristiques particulières :
elle allie des tempêtes hivernales et un tapis de neige à une insolation
estivale.
Oui, en avril et mai, l'insolation est estivale, la même
qu'en août et juillet. Le soleil haut dans le ciel, les jours longs, voilà d'où
vient toute la différence entre le ski traditionnel et le ski de printemps :
d'une part, en effet, la qualité de la neige change du tout au tout ;
d'autre part, la longueur des journées et l'altitude inférieure de la neige
bouleversent les conditions de ce sport.
La neige, l'hiver, est ou bien poudreuse, ou bien dure,
avec, évidemment, toutes les gradations et variantes entre ces deux extrêmes.
Au printemps, elle est d'une contexture bien spéciale : la chaleur du jour
l'amollit, le froid de la nuit la reprend. Ces alternatives de dégel et de gel
lui donnent un grain particulier, également éloigné de la poudre et du marbre
que nous connaissons l'hiver.
Elle est souple, moelleuse comme de la poudreuse ; mais
les skis ne s'y enfoncent pas profondément, car elle est tassée par le poids
des accumulations hivernales. Elle nivelle tout, recouvre les pierres, les
blocs, les souches, les talus, les crevasses. Les skis ne risquent pas de s'y
faire prendre au piège d'une barrière ou d'un tronc d'arbre caché comme dans la
neige molle d'hiver et, encore plus, d'automne.
Mais, le matin, surtout sur les crêtes ventées, elle est
parfois couverte en surface d'une glace à gros grains et, à partir de 11 heures
ou midi, elle s'amollit exagérément.
Enfin, elle commence à régner seulement à partir de 1.600,
1.800, 2.000 mètres ou au-dessus.
Tous ces caractères de la neige printanière conditionnent un
sport bien particulier.
L'altitude de sa limite oblige à ne plus faire de ski dans
les stations, mais à monter plus haut, dans la véritable montagne. Cette
contingence bouleverse totalement le sport, même du point de vue moral. En
effet, on doit produire un effort pour mériter la neige ; on ne profite
plus des remontées mécaniques des stations ; on doit parfois porter ses
skis sur l’épaule durant une heure ou plus ; on doit partir tôt le matin
pour avoir fini sa journée à l'heure où la neige s'amollira trop. Tout cela
redonne au ski son véritable aspect montagnard et lui enlève le caractère
mondain qu'il a trop souvent. Dès le printemps, c'est entre purs amoureux de la
neige et de la montagne que l'on se retrouve : les snobs et les perruches
ne s'imposeront pas un lever matinal et une dure montée. La camaraderie y gagne.
Quand on parvient à la neige, on n'éprouve nul désir de s'y
livrer à des montées, descentes, remontées, redescentes, d'y « astiquer »
les pentes, comme l'on dit : on vient d'accéder à un monde de hautes
montagnes et l'on n'a que le désir d'y pénétrer plus avant : le ski de
printemps incite à monter, à faire des ascensions vers des cimes qui ne sont
jamais plus belles qu'à cette époque où le soleil éclate sur des neiges
aveuglantes ; qui ne sont jamais, aussi, plus faciles d'accès.
Cette facilité d'accès nécessite quelques explications.
L'hiver, la rigueur du climat rend les hauts vallons souvent peu agréables ;
l'instabilité de la neige fraîche les met quelquefois sous la menace des
avalanches ; la brièveté des journées empêche toute longue ascension. Maintenant,
au contraire, tout semble aisé dans ce monde bien moins surhumain.
L'ensoleillement attiédit l'atmosphère ; les longues journées permettent
de lointaines randonnées, et, surtout, l'accumulation des neiges hivernales a
nivelé le terrain sous des draperies aux larges plis : bien des barres
qui, l'été, opposent de durs obstacles ont disparu sous ce matelassage ;
là où, bientôt, règneront les éboulis ou les clapiers, la neige régulière du
printemps offre le plus facile des cheminements ; pas un bloc qu'il faille
contourner, pas un talus un peu raide, pas une faille ; et, sur bien des glaciers,
même pas de crevasses ni de séracs : les vallons ne sont que de mols
berceaux blancs que domine l'or des rochers. Certaines cimes sont plus faciles
alors qu'elles ne le sont jamais. D'autres, de moyenne altitude, qui offrent
alors de merveilleux spectacles, ne seront plus qu'arides et nues, sans aucun
intérêt touristique, quand l'été sera venu. Et, dans cet univers qur l’on a comparé
à un Sahara de neige, les skis sont un merveilleux moyen d'accès ; ils
redeviennent un outil, non un but. Ils mordent bien sur la neige du matin, et,
si la neige est trop dure, on met sous ses « planches » des peaux de
phoque dont les poils jouent le rôle d'antidérapant. Vers 7 ou 8 heures, il ne
fait pas chaud ; en montant, il ne fait pas froid. On grimperait à
l'Himalaya ... La vie est belle !
Mais les crêtes sont souvent glacées, souvent inskiables à
cause des rochers qui pointent dans la neige. Aussi le but de ces ascensions
est-il plus souvent un col qu'une cime, parfois un passage de col. Chaque
région offre des circuits classiques de ski printanier avec deux ou même trois
passages de cols entre 2 et 3.000 mètres, permettant de visiter plusieurs hauts
vallons.
Les conditions climatiques imposent le rythme de la journée :
après 11 heures, la neige sera trop amollie et les skis risqueront de
s'enfoncer dans une véritable « soupe ». Il faut donc commencer la
descente vers 10 heures.
Alors, c'est un enchantement, le plus extraordinaire des
enchantements du ski. Il fait chaud. On n'est pas engoncé dans d'épais
vêtements. On ne redoute aucun obstacle traître sous la neige. Les pentes
n'offrent aucune cassure brusque, rien que des courbes molles. La neige est
régulière. En avant !
C'est un tapis d'une admirable souplesse qui se déroule sous
vos pieds. Les skis s'enfoncent juste assez pour se tracer des rails qui les
maintiennent en ligne droite. On file, mais point trop vite. On a une
impression de sécurité totale, de merveilleuse facilité. Le plus médiocre
skieur découvre l'ineffable jouissance de longues descentes sans chute, sans
même la crainte d'une chute, cette jouissance qui, l'hiver, n'est donnée qu'aux
as capables de dominer leur technique. Quand on arrive au refuge, au hameau ou,
simplement, aux sacs laissés près du torrent, sous un sapin, il est 11 heures.
La journée est finie. Là-haut, la réverbération rendrait la neige trop
brûlante. Déjà, les ultra-violets vous ont rôti malgré votre chapeau, vos
lunettes, votre pommade. Qu'il fait bon se reposer ! ...
Ah ! ces repos à l'ombre d'un sapin, dans un refuge aux
portes grandes ouvertes, sur le toit d'une grange encore à demi enfouie dans la
neige ... Vous n'êtes pas bousculé comme l'hiver par l'horaire étroit que rend
nécessaire une journée courte ; vous n'avez pas froid, mais délicieusement
chaud. Jusqu'à 4 ou 5 heures, vous pouvez vous livrer au plus absolu farniente,
à la plus animale des vies, et aussi à la plus joyeuse camaraderie. C'est seulement
lorsque le soir aura raffermi la neige du sentier que vous descendrez vers le
village, vers la route où des fleurs vous accueilleront dans les premières taches
de verdure ...
Cela ressemble-t-il en rien aux montées et descentes sur les
pentes « savonnées » par les foules ; aux grandes pistes des
téléphériques ; à la neige glacée qui vole sous les skis ; au soleil
bas qui allonge des ombres froides ; aux gants et aux cache-nez qui vous
bardent de cuir et de laine ; à l'air trop vif qui vous coupe le souffle ;
à la chaleur soudain retrouvée dans les hôtels bondés ; aux longues
soirées qui commencent dès quatre heures ? ...
Non, le ski de printemps ne ressemble pas plus au ski
d'hiver que, dans les plaines, un champ d'anémones ou de muguets ne ressemble à
un champ de neige. Il n'a de commun avec lui que les skis eux-mêmes, ces
planches magiques, l'instrument qui prolonge le mieux le corps humain et lui
donne le plus de nouvelles possibilités.
Pierre de LATIL.
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