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Le "savoir-vivre" du campeur

Voici revenu le mois d'avril et, avec les fêtes de Pâques, le renouveau annuel du camping. Bientôt, sur les routes et les chemins de France, à travers plaines et forêts, l'on va revoir, en nombre accru, les amateurs de plein air, à la recherche du coin idéal pour monter leurs tentes multicolores.

Et cela est bien sympathique, à condition que nos amis campeurs observent quelques règles bien simples qui, si elles sont suivies, leur concilieront partout la sympathie des propriétaires de terrains et des habitants de la commune où ils séjourneront.

Loin de moi l'idée de m'élever en moraliste sévère contre la mauvaise tenue de certains ! La plupart du temps, cette mauvaise tenue n'est pas consciente. On a répété sur tous les tons que le camping était la liberté, l'évasion, une réaction contre la vie mécanisée. Je l’ai dit et écrit moi-même à maintes reprises. Il s'en est suivi tout naturellement que certains campeurs se sont imaginé que, dès les limites de la ville franchies, ils étaient libres d'agir sans contrainte, que la campagne était à eux en un mot. Et se remémorant, d'autre part, les récits de grands voyages ou d'explorations, ces mêmes campeurs croient qu'ils partent pour l'aventure et jouent, sans bien s'en rendre compte, à l'indien et au trappeur. En ce qui me concerne, d'ailleurs, je trouve cela également assez sympathique en soi, mais il faut bien se mettre dans la tête que nous ne sommes pas dans un pays neuf comme le Canada ou l'Amérique du Sud et qu'il n'existe pas chez nous d'espaces vierges où toute liberté est permise ...

Bien au contraire, hélas ! Et tout campeur devrait savoir que, n'importe où il campe, en France, il est fatalement « chez » quelqu'un. Ce quelqu'un peut être soit un particulier, soit la commune ou le département, soit l'État. La première chose à faire est donc de solliciter l'autorisation de camper. Je ne m'étendrai pas davantage sur cette question, que j'ai traitée plus longuement dans ma chronique d'octobre 1949.

Mais il ne suffit pas d'avoir l'autorisation de camper pour se croire délivré de certaines règles qui, au fond, relèvent de la plus élémentaire politesse ...

J'ai maintes fois dit que ces règles se réduisaient au fond à trois grands principes que je répète ici une fois de plus.

Les voici :

    — ne choquer personne ;

    — ne gêner personne ;

    — ne porter préjudice à personne.

Ne choquer personne.

— Il est bien évident que c'est là une question d'ambiance et de lieu. Cela relève du tact et de la politesse ordinaires. Si l'on est seul dans la nature, ou bien avec une bande de bons copains habitués à camper ensemble, on peut bien prendre certaines libertés qui ne seront plus tolérées si le camp est établi à proximité de maisons habitées ou si l'on est sur un camp permanent où se trouvent d'autres campeurs inconnus.

Il faut connaître un peu les usages et la mentalité de nos provinces françaises.

Si le short et le bikini seront tolérés sur un camp installé au bord d'un torrent ou sur la côte d'Azur, il est bien certain que cette même tenue sera mal vue dans certaines régions de l'intérieur, près d'un village de Bretagne par exemple. Et telle tenue qui sera admise à l'intérieur du camp ne conviendra pas pour aller au bourg faire des provisions. Dans un camp permanent, il y aura lieu de songer qu'il peut y avoir des jeunes garçons ou des jeunes filles avec leurs parents et d'en tenir compte dans son comportement verbal ou vestimentaire.

Enfin, il faut abandonner cette habitude de vouloir « épater » le paysan ! C'est une mentalité trop souvent répandue parmi les campeurs de la ville ... Or on n'« épate » personne, mais on passe pour des gens mal élevés et des hôtes indésirables.

Ne gêner personne.

— Pas plus les autres campeurs que le public non campeur. C'est là encore une question d'éducation générale.

Certes, je suis le premier à reconnaître qu'un sac de camping n'est pas plus encombrant dans une foule que de lourdes valises qui vous meurtrissent les tibias ou vous enfoncent les côtes. Cependant, prenez l'habitude de pénétrer dans une rame de métro, ou dans un autocar, ou dans un couloir de wagon de chemin de fer, avec votre sac à la main, ce qui est facile si vous avez en haut de l'armature une poignée spéciale (1).

Au cours du voyage, pensez que vous n'êtes pas en plein désert et ne hurlez pas des chansons à tue-tête. J'ai eu souvent l'occasion d'entendre les réflexions de voyageurs. Jamais je n'ai entendu de protestations lorsqu'un groupe de campeurs s'est mis à chanter, normalement et bien, des chants de notre vieux terroir, mais je suis le premier à me boucher les oreilles et à protester lorsque partent d'un compartiment des hurlements informes et grossiers qui n'ont avec le chant qu'un rapport bien lointain.

Au camp, pensez à vos voisins. Ne plantez pas votre tente juste à côté de celle qui y est déjà installée, à moins qu'elle n'appartienne à un ami consentant. Ne vous installez pas devant un ami déjà arrivé, surtout lorsque vous êtes campeur motorisé et que vous devez monter une immense tente familiale. La nuit, faites attention aux tendeurs et parlez bas. Il y a des campeurs qui veulent dormir, et rien n'est plus odieux que d'entendre la conversation des voisins. Campeurs-auto, ne faites pas abus de votre radio et surveillez vos chiens, qui doivent être tenus en laisse; il n'appartient pas à vos voisins de les nourrir contre leur gré !

Ne porter préjudice à personne.

— Respecter les cultures et les pâtures. Campeurs des villes, sachez que l'herbe constitue une récolte aussi précieuse pour le cultivateur que celle du blé. Demandez aux fermiers où vous pouvez vous installer. Bien souvent — cela m'est arrivé maintes fois — le propriétaire ira chercher sa faux et vous préparera un joli petit coin qui vous ravira. Respectez les arbres et les fleurs. Ce sont les enchantements de la campagne. Si vous n'avez pas encore adopté le réchaud, demander du bois, mais n'allez pas, hache en main, dévaster le boqueteau proche. Respectez les clôtures. Refermez les barrières soigneusement après être passé dans un pâturage. Enfin, respectez les fruits ... Pas de chapardage ni de maraude ...

Mais beaucoup de lecteurs du Chasseur Français vont me dire que tous ces conseils sont bien naturels et qu'ils relèvent seulement de la bonne éducation ... Et ils auront raison ! Que c'est à l'école que tous ces bons principes devraient être inculqués à tous. Et je suis d'accord sur ce point. Mais, comme malheureusement le résultat n'est pas absolument probant, et que, d'autre part, nous voudrions que les campeurs soient des exemples et constituent une élite, toujours bien accueillie partout, nous avons cru qu'il était bon, à l'orée de la saison nouvelle, de répéter quelques règles qui, si elles étaient appliquées, supprimeraient radicalement tous les incidents qui s'élèvent chaque année entre campeurs et habitants ruraux.

Jacques-J. BOUSQUET,

Président du Camping-Club de France.

(1) Cette poignée est prévue de plus en plus par de nombreux fabricants de matériel de camping.

Le Chasseur Français N°638 Avril 1950 Page 224